Alors que les contingents militaires se multiplient sur le terrain, et que la situation politique locale se débloque, la perspective d’un arrêt des massacres reste encore lointaine en Centrafrique.
Deux nouvelles ont apporté cette semaine une touche d’optimisme en République centrafricaine, où les atrocités commises noircissent toujours un peu plus le tableau et font craindre l’enlisement du pays dans la guerre civile.
Première nouvelle, l’élection par le Conseil national de transition (CNT) de l’actuelle maire de Bangui, Catherine Samba-Panza, au poste de chef de l’Etat. Elle remplace l’ex-président et chef de la Séléka, Michel Djotodia, contraint d’annoncer sa démission le 9 janvier, face aux pressions militaires et diplomatiques. Restée jusqu’à présent éloignée des tensions interreligieuses qui ensanglantent le pays, la nouvelle chef d’Etat a réjoui la plupart des observateurs internationaux.
A peine élue, elle a lancé un «appel vibrant» aux miliciens chrétiens et combattants musulmans à déposer les armes, dans un discours devant les parlementaires. «Manifestez votre adhésion à ma nomination en donnant un signal fort de dépôt des armes», a-t-elle demandé, pour faire «cesser la souffrance des populations».
Le président français a tenu à l’encourager: «Il lui revient désormais de mener à bien la réconciliation et l’apaisement nécessaires en RCA [République centrafricaine], en vue de la tenue d’élections démocratiques (…). La France se tient à ses côtés dans cette tâche difficile».
Ces élections ont eu lieu quelques heures après que les vingt-huit membres de l’Union européenne se soient prononcés en faveur d’une intervention militaire et humanitaire, en soutien aux forces franco-africaines, déjà présentes sur le terrain depuis maintenant un mois.
L’ancienne colonie française avait sombré dans le chaos après qu’une coalition rebelle à majorité musulmane, la Séléka, eut pris le pouvoir en mars dernier, entraînant une vague de meurtres et de pillages qui a déclenché la vengeance des milices chrétiennes appelées «anti-Balaka» (anti-machette).
Plus d’un million de personnes ont été déplacées par la violence depuis que la Séléka a installé son chef Michel Djotodia à la tête de l’Etat. Plus de 1 000 personnes ont été tuées le mois dernier dans la seule capitale Bangui. En outre, les pays voisins ont été contraints d’évacuer plus de 30 000 de leurs citoyens.
La République centrafricaine est désignée par les Nations unies comme l’une des trois situations humanitaires les plus urgentes, avec la Syrie et les Philippines. Cependant, l’appel de l’Onu n’a reçu que six pour cent des 247 millions de dollars visés.
De retour d’un voyage de cinq jours dans le pays, un responsable de l’Onu a dit que la crise était prévisible et s’explique par de nombreuses années de négligence internationale.
«Les éléments et germes d’un génocide sont présents», affirmait John Ging, directeur des opérations pour le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), lors d’une conférence tenue à Genève. «Il y a tous les éléments que nous avons vus ailleurs, dans des endroits comme le Rwanda et la Bosnie».
Il a souligné l’effet positif mais limité du contingent militaire franco-africain. «La République centrafricaine doit monter dans la liste des priorités», a-t-il dit.
Après le feu vert de l’Onu à la Mission internationale de sécurité en Centrafrique (Misca), la France avait rapidement envoyé quelque 1 600 soldats dans son ancienne colonie en décembre. Les troupes françaises sont largement épaulées par celles de l’Union africaine, dont 2 500 des 5 000 hommes sont tchadiens. Lundi, c’était au tour de l’Union européenne de se prononcer en faveur d’une intervention militaire. Bien que la force de l’UE, qui n’a pas été déployée depuis 2007, suscite le doute chez certains experts à propos de l’efficacité de ses forces, cette position a le mérite de donner du crédit à l’initiative française et à l’opération en cours.
L’opération Sangaris est extrêmement délicate. Le mandat de l’Onu ne donne pas pour mission d’éliminer un ennemi précis, mais simplement de s’interposer entre les affrontements interreligieux, en limitant au maximum l’usage de la force. Le commandant des forces françaises, le général Francisco Soriano, lors d’une vidéoconférence à Paris, a indiqué que la situation s’améliore, mais reste encore «extrêmement compliquée et très volatile».
Les atrocités commises, allant parfois jusqu’au cannibalisme, alimentent la peur et divisent encore plus les populations. Pour beaucoup d’experts, la guerre civile dans laquelle le pays est plongé a de grandes chances de s’enliser.
« Ce qui est sûr, c’est que nous sommes là pour longtemps. La difficulté, c’est qu’il n’y a que 1 600 soldats français et que la force africaine sur laquelle nous comptions est très loin, évidemment, d’avoir la cohérence opérationnelle qui lui permettrait de travailler côte à côte avec les Français pour stabiliser la ville. Donc, il y a une difficulté, et nous devons très probablement aller vers un renforcement rapide et important des forces françaises», confiait à RFI le 26 décembre le général Desproges.
C’est pourquoi une source diplomatique a confié à Magazine que «le soutien de l’Union européenne accordé lundi à la Misca, à défaut d’être vraiment utile sur le terrain, procure à la France un crédit supplémentaire». Un crédit d’autant plus nécessaire si l’opération de paix s’inscrit dans la durée, permettant d’éviter que la République centrafricaine soit à la France ce que l’Afghanistan est aux Etats-Unis.
Elie-Louis Tourny
Les Libanais en proie au pillage
La communauté libanaise, étant très importante en République centrafricaine, pâtit des violents développements qui secouent depuis un mois le pays. Composée principalement de
commerçants, les Libanais sont en proie au
pillage et à l’extorsion de fonds. Des
agressions qui sont permises et facilitées par le vide sécuritaire et institutionnel. Perçus comme des exploiteurs par Michel Djotodia et sa Séléka, ils ont été directement visés et pillés par
ceux-ci. Selon le Front révolutionnaire pour la démocratie, opposant à Djotodia, l’extorsion de fonds atteindrait un montant de 700 millions de francs CFA (1,3 million de dollars).
L’ex-président aurait également fait pression auprès des commerçants libanais afin qu’ils meublent à leurs frais la résidence
présidentielle du «camp de roux», un camp militaire situé à proximité du palais de Bangui, selon le chef du FRD, Nelson N’Djadder, qui s’est confié au site d’informations tchadien Alwihda. Par ailleurs, l’ex-ministre des Eaux et Forêts,
Mohammad Moussa Dassane, a supervisé le vol de véhicules, dont une vingtaine appartenaient à des commerçants libanais, pour ensuite les déclarer propriétés du ministère, a assuré Christophe Gazam Betty, ministre de
la Communication.