Le Liban, porte du Moyen-Orient, jadis modèle de démocratie envié non seulement de ses voisins, mais par de nombreuses autres populations de la région qui revendiquent aujourd’hui le droit à la gestion de leurs pays par des responsables sortis des urnes électorales, a perdu ce privilège. Où sont donc nos hommes d’Etat qui, pendant deux générations, avaient eu gain de cause contre le mandat français et débarrassé le pays de la tutelle syrienne? Nous n’oublions pas cette période d’ailleurs pas très lointaine où nos dirigeants s’en remettaient encore aux locataires de Anjar pour toute décision ou action, même la plus banale, comme celle de désigner les fonctionnaires de l’Etat ou les représentants du pays dans les chancelleries étrangères. Nous avons cru naïvement en avoir fini. Il nous revient sans cesse en mémoire les propos d’un Premier ministre libanais des années soixante-dix, pour qui «le Liban indépendant n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité et avait donc toujours besoin d’une tutelle». A la trentaine et des poussières, le pays restait donc mineur. Une déclaration qui n’avait pas manqué de choquer. Hélas, il avait tellement raison que, quelque quarante ans plus tard, nous ne parvenons pas encore à assumer nos responsabilités. Laissés à nous-mêmes, nous perdons les pédales. Former un gouvernement tient désormais de l’utopie. Et pendant que dans les hautes sphères, chacun tire la couverture à lui, les Libanais, les pieds scotchés sur terre, souffrent dans leur vie quotidienne et regardent effrayés un futur qui leur paraît de plus en plus incertain pour eux comme pour leurs enfants. Ne serait-il pas temps pour ces messieurs «de l’élite» – le masculin s’impose dans l’hémicycle où les femmes sont en si grande minorité – de regarder un peu plus haut que leur nombril, un peu plus loin que leurs intérêts personnels, ceux d’une population qui aspire à un Etat dont l’autorité s’étendrait à tous, sur tout le territoire national?
***
Les chrétiens du Liban, dit-on à juste titre, sont privés de leurs droits dans les administrations publiques. Certains mènent donc la bataille du rééquilibrage. Un rééquilibrage lié, pour le Courant patriotique libre, au sort de Gebran Bassil, champion et défenseur unique et absolu des chrétiens qui ne manquent pourtant pas de représentants au Pays du Cèdre. Les Kataëb, les Forces libanaises ou les chrétiens indépendants, riches de leurs succès dans les urnes, n’ont-ils plus aucun pouvoir représentatif? Doivent-ils tous donner un blanc-seing à M. Bassil faisant de lui le patriarche laïque des chrétiens du Liban? Ou serait-ce plutôt le précieux ministère énergétique qui pèse le plus dans la balance du maintien de son détenteur actuel? Qui d’autre pourrait garantir un courant autant rationné dans nos foyers? Quelle qu’en soit la raison, le CPL, fort d’un chèque en blanc mais aussi en bois délivré, semble-t-il à leur corps défendant, par certains de ses alliés, constitue l’ultime barrage à la formation d’un gouvernement dont le besoin se fait de plus en plus pressant. Malgré leurs réticences, d’autres forces politiques mettent de l’eau dans leur vin au détriment, souvent, de leur popularité et de leur électorat. L’avenir de l’Etat serait-il tributaire de la volonté d’un seul camp, quel qu’il soit? Annoncé, à cor et à cri, pour la fin de la semaine en cours, ce cabinet verra-t-il le jour? Le doute est permis. Il n’en reste pas moins que la question cruciale est celle de savoir à qui profite cette abdication dramatique du pouvoir? Les parlementaires qui profitent de la prorogation de leur mandat ne devraient-ils pas briser les tabous et se réunir en prenant conscience, plutôt que de leurs intérêts, de ceux du pays et de toute une population en mal de vivre? Oublions-nous le Pacte national conclu par nos aînés entre les minorités libanaises? Ce pacte qui ne se basait pas sur un compromis mais sur «une volonté des diverses communautés de vivre en commun au sein d’un Etat souverain et indépendant?». Le Premier ministre désigné, Tammam Salam, se souvient sans doute, comme nous, du principe fondamental de la politique de son père le président Saëb Salam: «le Liban ne peut prendre son envol, son essor qu’avec ses deux ailes». Où en sommes-nous donc à l’aube de cette année 2014? Enfoncés dans un tunnel qui ne cesse de s’assombrir?
Mouna Béchara