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Nº 2934 du vendredi 31 janvier 2014

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Un moment si doux par Raymond Depardon. Une autobiographie haute en couleur

Les Parisiens ont eu droit à une exposition tout en couleurs de quelque 156 clichés du photographe Raymond Depardon. Cette manifestation se poursuit jusqu’au 10 février prochain au Grand Palais. Sur les cimaises notamment, des photographies de Beyrouth prises en 1978 et 1991, l’occasion de revenir sur le parcours libanais du photographe.

Ses premières photographies, Raymond Depardon les prend à l’âge de 12 ans, dans la ferme familiale, en 1954. Trois ans plus tard, il décroche ses premières commandes. Puis à 16 ans, il débarque dans la capitale et devient assistant du photoreporter Louis Foucherand avant d’entrer, en 1960, à l’agence Dalmas où il couvre notamment la guerre d’Algérie. Son premier contact avec Beyrouth a lieu en 1965. «Floris de Bonneville, rédacteur en chef de l’agence Dalmas, me propose de partir photographier les nouveaux Saint-Tropez en Méditerranée. Après Portofino et Hydra, je découvre Beyrouth. Je tombe sous le charme immédiatement, le mélange de populations, sa gentillesse, sa tolérance, la langue française, ses souks, son architecture… Tout est trop beau pour durer», écrit-il dans un livre consacré à Beyrouth, publié en 2010. Beyrouth, qu’il retrouva en 1978 pour son premier reportage au sein de Magnum – créée, entre autres, par Robert Capa et Henri Cartier-Bresson –, qu’il rejoint pourtant après avoir cofondé, en 1966, l’agence Gamma.

«Un grand coloriste qui s’ignore»
Le photographe est également cinéaste de talent et a quelque cinquante-cinq films documentaires à son actif. Capturées sur ses pellicules: des images de Tchécoslovaquie, du Tchad, du Chili, d’Afghanistan, de France bien sûr, d’un hôpital psychiatrique de Venise, de la chute de Berlin, de ses périples en Afrique et bien plus encore. Au Grand Palais, l’exposition baptisée Un moment si doux est tout simplement la plus importante jamais consacrée à la couleur dans son travail. Une sorte de récit autobiographique retraçant plus de cinquante ans de photographie.
A ses débuts, la couleur n’est pas pour Raymond Depardon une évidence, le noir et blanc étant considéré à l’époque les lettres de noblesse du reportage. «De la fin des années 50 au début des années 80, je crois que je faisais de la couleur parce qu’il fallait en faire. Je n’en étais pas vraiment satisfait; la technique n’étant alors pas encore très performante», explique-t-il dans le catalogue de l’exposition. Hervé Chandès, directeur de la Fondation Cartier et commissaire d’Un moment si doux, considère Depardon comme un «grand coloriste qui s’ignore», à raison. «Je ne savais pas que j’étais un photographe de la couleur. Elle était pourtant là. Dès les premières images». Et ces premiers clichés, ce sont ceux de la ferme familiale. Celle-là même qui, une trentaine d’années plus tard, révolutionnera sa vision, justement, de la couleur. C’est en 1984 qu’il participe à la mission de la Datar (délégation interministérielle) souhaitant représenter le paysage français des années 1980. «J’ai commencé les prises de vue en noir et blanc et, tout à coup, la couleur m’est apparue comme une évidence. Il y avait dans la cour de la ferme le tracteur de mon frère, un Massey Fergusson rouge et la mobylette de Nathalie, ma nièce. Je ne pouvais pas photographier cela en noir et blanc. Le temps était venu de faire ce que j’avais envie de faire: photographier en couleurs», se souvient-il.
Au programme de l’exposition, des clichés datant de 1959, d’Edith Piaf par exemple ou de sa mère à la ferme, de la campagne présidentielle de Richard Nixon en 1968, du tremblement de terre au Pérou en 1970 ou des réfugiés touaregs en Algérie en 1974. Puis viennent ses reportages, ses trois reportages «fondateurs». «Que ce soit au Chili en 1971, à Beyrouth en 1978 ou à Glasgow en 1980, il ne s’agissait pas de photographier l’événement, la guerre ou le conflit, mais ce qui se passait autour, dans les marges et les lisières», dit-il. Son séjour au Chili va d’ailleurs être une révélation. Resté cinq semaines sur place, il trouve la bonne distance face à son sujet. «Des photographes comme Gilles Caron entraient de plain-pied dans la violence de l’événement. Quant à moi, je ne me sentais pas à l’aise dans ce type de relation au sujet». Il préfère ainsi s’intéresser au combat des Mapuches (Indiens) luttant alors pour leur terre, un environnement rural, retour aux sources, qui lui convient comme un gant. «J’y trouve une franchise, un universalisme, un humanisme». Et si Depardon se décrit comme peu téméraire, voire trouillard, cela ne l’empêchera pas de couvrir quelques conflits dont la guerre civile libanaise, envoyé par le magazine allemand Stern. A côté des dix-sept clichés libanais de l’exposition, Depardon se dévoile par ce texte: «A Beyrouth, je choisis de photographier non pas la guerre civile, mais ses conséquences. C’était l’été 78. J’ai connu la peur». Quant à Glasgow, «aux antipodes de sa photographie», plus enclin à apprécier le Sud et l’Afrique, le photographe y découvre «une lumière exceptionnelle». De ce reportage, toutes les photographies sont inédites, jamais publiées auparavant. Inédites comme celles du dernier chapitre d’«un moment si doux» qui en porte justement le nom. Celui de quelques mots inscrits sur une boîte renfermant des photographies couleurs sans lien apparent, d’Argentine, de Bolivie, d’Ethiopie, d’Equateur, de France, du Brésil ou encore d’Hawaï. «Des photos plus libres que j’avais faites au cours de voyages. Des photographies en couleurs, assez douces, distanciées, avec une certaine retenue», reprend-il dans le catalogue. Une boîte qu’il donne à son ami Hervé Chandès, le thème de l’exposition était lancé. «Récemment, presque clandestinement, Raymond Depardon use de la couleur pour son plaisir, libéré de toute contrainte, sans thème ni attente. Nomade dans l’âme, riche de solitude, il photographie des lieux sans événements, des apparitions, des scènes de vie, il fait des photos que tout le monde pourrait faire et que personne ne fait et éprouve en elles un moment si doux, coloré, silencieux, songeur, simple, indifférent au moment décisif et parfaitement humanisé», résume le commissaire d’exposition. Car en 2013, pour ce récit autobiographique en couleurs, il sillonne de nouveau la Bolivie, le Tchad, l’Ethiopie et les EU avec son Rolleiflex. «J’ai 71 ans, et il a fallu ce très long détour, toute une carrière pour retrouver la fraîcheur et l’innocence de mon regard d’enfant», déclarera Depardon à Télérama en novembre dernier. 


Delphine Darmency
 

Tous les propos cités du catalogue de l’exposition ont été recueillis par Hélène Kelmachter.

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