Elle est connue par son seul prénom, devenu célèbre dans le monde du catering et de la restauration. Particulièrement réputée pour ses gâteaux, véritables pièces d’art. Plus qu’un grand chef, Nazira est une artiste pionnière dans le domaine. Portrait.
C’est à Aïn Saadé, dans un cadre magnifique avec une vue plongeante sur la capitale et la mer que Nazira Haddad Bitar a élu domicile. Elle nous reçoit dans un intérieur chaleureux, marqué de son empreinte. Naturelle et spontanée, Nazira raconte ses débuts, sa carrière et sa passion pour la cuisine qu’elle a transmise à sa fille Cynthia Bitar, exécutive chef chez Nazira Catering. Diplômée de l’école Paul Bocuse, Cynthia répète très souvent: «Je suis tombée dans la marmite de maman». Quant à Angela, sa fille aînée, elle est ingénieur de maintenance aéronautique et mère de deux garçons, qui font les délices de leur grand-mère: Raphaël (11 ans) et Joshua (6 ans).
A la mesure du client
Quand elle était enfant, Nazira répétait vouloir devenir fleuriste. C’est finalement vers l’Ecole hôtelière de Dekouané qu’elle se dirige. «A l’époque, nous étions cinq filles uniquement et je suis la seule à avoir continué et travaillé dans le domaine», se souvient-elle. Pendant les années de guerre, elle donne des cours de cuisine avant de quitter pour la France, où elle se rend dans les Relais et Châteaux. «J’allais partout pour apprendre, dit-elle. J’ai travaillé pendant cinq mois dans les cuisines des Relais et Châteaux où j’ai appris la nouvelle cuisine, la cuisine sur assiette. J’ai pris, ensuite, des cours de pâtisserie et j’ai commencé à faire du catering pour les Libanais vivant à Paris». En 1992, elle revient au Liban et travaille à l’hôtel Al Bustan. «Au départ, il était prévu que j’y passe cinq mois et j’y suis restée cinq ans. J’occupais les fonctions d’un executive chef». Ce n’est qu’en 1997 qu’elle ouvre sa propre société de catering.
Chez Nazira, rien n’est établi à l’avance. Tout est personnalisé et fait à la mesure du client. Chez elle, pas de formule type. C’est en discutant avec son client du thème de la soirée, en apprenant à le connaître et à découvrir ses goûts qu’elle prépare un gâteau ou un menu correspondant à sa personnalité. Elle ne répète jamais un même gâteau même s’il arrive que l’idée soit la même, l’exécution est toujours différente. «Quand je dois réaliser quelque chose, je ne dors pas la nuit. Je reste dans mon lit éveillée à réfléchir». Sa principale source d’inspiration, elle la tire de la nature. Pour elle, il n’y a pas de recette miracle pour réussir une bonne cuisine. «Tout le secret est dans les ingrédients. Il faut toujours des produits de qualité, frais, que l’on met en valeur et surtout avec une grande générosité et un travail fait avec son cœur. Nous sommes des traiteurs, mais nous sommes avant tout des mamans». En perpétuelle innovation, elle estime que, dans le domaine du catering, on ne copie pas, même si actuellement les choses deviennent systématiques et tout le monde suit un même principe. «Nous sommes spontanés. Nous vivons selon les saisons et nous travaillons selon les thèmes. Chez nous, il n’y a pas de menu, tout est fait en fonction des envies et des besoins du client. Nous le guidons dans ses choix, en l’aidant à bien choisir ce qui lui faut. Je ne sais pas ce qui se passe chez les autres. J’étais là en premier et je n’ai jamais imité personne. Ce ne serait plus nous si nous copions les autres. D’ailleurs, je ne me répète jamais moi-même. Je suis toujours à la recherche d’idées nouvelles», précise Nazira. Dotée d’un esprit pratique, elle sait adapter les produits. «Je travaille en fonction de ce qui existe déjà», dit-elle.
Lorsqu’on lui demande son opinion sur la réputation des hommes meilleurs chefs cuisiniers que les femmes, Nazira répond que les femmes sont les égales de l’homme aujourd’hui. «C’était vrai du temps où la cuisine demandait des efforts physiques, mais aujourd’hui, avec les outils dont nous disposons, il est erroné de penser ainsi. Je suis la première et la seule femme à avoir travaillé dans le domaine de la restauration et du catering. Les femmes travaillent avec plus de finesse et d’élégance. Elles ont une manière différente d’exécuter leur tâche».
Les problèmes majeurs auxquels font face les sociétés de catering sont l’absence de lois protégeant les traiteurs et celle d’une clientèle fidèle, l’imitation et surtout le manque de personnel qualifié. «Alors qu’il y a un besoin de commis, sous-commis et autres, tout le monde veut devenir chef et insiste sur ce titre sans avoir la qualification et l’expérience nécessaires. Souvent, la concurrence est déloyale et les procédés utilisés sont malhonnêtes. De plus, au Liban, on ne peut pas parler de clientèle fidèle. Dès que s’installe du nouveau sur le marché, tout le monde veut essayer, quitte à revenir plus tard». Le personnel qualifié quitte le pays et on n’en trouve plus de compétents. «Un bon traiteur a besoin d’un personnel qualifié, d’un chef, mais aussi de serveurs et commis sans lesquels le service s’en ressent. De plus, aucune loi ne protège les traiteurs». Leur activité étant saisonnière − les pics des fêtes de fin d’année et de l’été − c’est vers les pays arabes que Nazira catering concentre son activité le reste de l’année. «Nous sommes souvent appelés pour des mariages et des réceptions dans les pays du Golfe, ce qui nous aide à combler les périodes creuses». Chez elle, il n’existe pas de cuisine industrielle. «Nous ne sommes pas une usine. Nous faisons la cuisine artisanale, ancienne et moderne à la fois. L’importance de notre cuisine réside dans les ingrédients. Je refuse toute comparaison entre la cuisine industrielle et la cuisine artisanale, que ce soit au niveau des ingrédients ou de la façon de travailler».
Toujours dynamique, Nazira n’hésite jamais à mettre la main à la pâte, au sens propre comme au sens figuré du terme. «Tout véritable traiteur doit être un chef et doit savoir faire la cuisine. Je fais tout moi-même, surtout les gâteaux. Quand un employé quitte, je ne m’inquiète pas. Nous sommes tout à fait capables de continuer seuls sans être à la merci de n’importe qui. Le problème se pose lorsque les chefs travaillent avec des gens qui financent. Lorsque le cuisinier s’en va, la société est paralysée», souligne Nazira.
Aujourd’hui, c’est sa fille Cynthia qui a pris la relève et perpétue la tradition dans le même esprit. Entre la mère et la fille, existe une grande complicité et aucun conflit de génération. «Le seul conflit entre nous est un conflit pour le meilleur. Cynthia représente l’innovation et le sang neuf dont toute société a toujours besoin pour continuer et progresser. Nous sommes complices et l’une complète l’autre. C’est ainsi qu’il faut être dans ce métier», confie Nazira.
Son goût prononcé pour la décoration et sa touche personnelle que l’on retrouve dans tous les coins et recoins de sa maison font que l’on se demande si elle n’est pas passée à côté d’une véritable vocation de décoratrice. «La décoration et la cuisine vont ensemble car la cuisine a besoin de décoration. A mes débuts, j’avais pris des cours d’arrangement floral et de peinture», indique Nazira. Chez elle, on ne trouve aucun artifice. Tout est naturel. «J’aime les fleurs, les jolies choses. J’adore les expositions, acheter des objets que je peux mettre en valeur, faire des arrangements floraux, recevoir des gens. J’aime aussi transmettre mon savoir». Sa devise: «Perfectionniste jusqu’au bout».
Joëlle Seif
Photos Milad Ayoub-DR
La meilleure cuisine au monde
«La cuisine libanaise est la meilleure cuisine au monde. Elle est riche, variée et complète. D’ailleurs, on peut tous les jours en consommer sans s’en lasser et tomber dans la routine», souligne Nazira. Nulle part ailleurs on peut trouver un plat aussi complet que le Tabboulé ou le Fattouche. «Il existe des salades variées dans les autres cuisines, mais rien qui ressemble à ces deux plats traditionnels».
Gâteau présidentiel
Particulièrement célèbre pour ses gâteaux, qu’elle signe tout simplement de son prénom, Nazira se souvient du premier qu’elle avait exécuté et qui fut le début de sa notoriété. «C’était à l’occasion de l’anniversaire du président Camille Chamoun. J’avais conçu un gâteau représentant la carte du Liban sur laquelle trônait un tigre. Tout le monde m’avait dit tu dois le signer. J’ai alors tout simplement écrit mon prénom et, depuis, c’est ainsi que je signe toutes mes pièces montées».