A l’occasion de la Journée internationale de la femme, Linda Matar, membre fondatrice de la première association féministe au Liban, la Ligue des droits de la femme libanaise, confie à Magazine son engagement et ses attentes.
Je suis accueilli chaleureusement par trois femmes d’âges très divers, symbole d’une conscience globale. Je pousse la porte de l’immense salle de conférence des locaux de l’Unesco et me retrouve nez à nez avec celle qui a insufflé les prémices d’un changement au cœur des mentalités libanaises. Visage emblématique de l’évolution et de la lutte pour l’égalité des droits de la femme, Linda Matar me reçoit à son tour, malgré les sollicitations de toutes parts. Nous ne sommes pas le 8 mars, Journée internationale de la femme. Perplexe, cette militante de la première heure, membre fondatrice de la Ligue des droits de la femme libanaise (LDFL), me confie l’engouement qui existe autour de cet événement: «C’est un point plutôt positif. Au départ, nous étions les seuls, il existe aujourd’hui plus de 200 associations féministes au Liban». Et pour cause, cette date ne pouvant être célébrée par l’affluence de nombreuses associations féministes ayant au préalable réservé les lieux.
Membre de la Ligue depuis 1953, année d’obtention du droit de vote des femmes au Liban, elle passe à présent le relais aux nouvelles générations. Toutefois, son statut, son expérience et le dévouement total pour cette cause l’empêchent de mettre un terme définitif à son militantisme. Pionnière du combat pour l’égalité des droits de la femme au Liban, Linda Matar porte un regard passionné mais quelque peu désabusé sur ces derniers. «Il y a eu des progrès, c’est certain, et nous en sommes fiers. Mais le blocage des mentalités reste entier. On ne peut changer les mentalités par la loi», affirme-t-elle. Celle-ci doit répondre à un besoin et n’est au service du peuple que lorsqu’elle est assimilée en profondeur.
La LDFL axe son combat sur le plan juridique, faisant pression auprès du Parlement. A l’ordre du jour, trois grands objectifs évoqués: par ordre d’importance, le statut civil, la nationalité octroyée aux enfants des femmes libanaises et les quotas dans les institutions politiques de l’Etat. «Le combat pour l’établissement d’un droit civil est le plus important, mais également le plus difficile que nous ayons à mener. Les spécificités de notre pays représentent un obstacle de taille», affirme Linda Matar. Pour elle, le combat pour les droits de la femme s’inscrit en effet dans une démarche beaucoup plus vaste, à dessein: un système juridique civil égalitaire et performant. Succombant au repli communautaire, la situation géopolitique de la région ne permet pas l’avancée des droits en général, et ceux de la femme en particulier. «Nous sommes pour un code civil laïque qui chapeaute les tribunaux religieux. Ayant reçu moi-même une éducation religieuse, j’ai toujours mené mon action en étroite collaboration avec nombre de religieux de toutes confessions, sensibles à la condition féminine. Victimes des tensions dont souffre actuellement le Liban, les instances religieuses ne semblent toutefois pas en mesure de faire évoluer leurs juridictions», martèle Linda Matar. La LDFL insiste sur l’abolition du système confessionnel et tend désormais vers un système laïque, avec en point d’orgue l’unification du statut personnel. Un statut dont bénéficieraient équitablement hommes et femmes libanais, pour une réconciliation nationale.
Elie-Louis Tourny
Linda Matar, une vie de lutte
Née en 1925, dans le quartier de Khandak
el-Ghamiq, quartier très populaire de
Beyrouth, Linda Matar parle de son passé avec un sourire en coin. Ce qu’elle dit d’elle et de son enfance, c’est qu’elle était «originale», et «la dernière de la grappe», car elle est née, alors que sa mère avait déjà une cinquantaine d’années. Elle entre tôt à l’école religieuse, où, bravant quelquefois l’autorité, s’est
développé son esprit critique et subversif. Elle doit terminer ses études à cause des difficultés financières de la famille. Ainsi, elle commence à travailler dans une fabrique de soie avoisinante et constate combien la vie des femmes est difficile, travaillant onze heures par jour et devant surmonter beaucoup
d’obstacles pour avancer dans leur profession. Elle voit aussi la double journée de travail, entre l’usine et la maison.
Mais elle arrive quand même à continuer ses études le soir après le travail.
Elle se marie tôt avec un jeune Arménien, bien que son père lui conseille de ne pas se marier avant 20 ans, contrairement aux habitudes de l’époque. Quant à son mari, il l’a toujours encouragée à préparer et à vivre librement son avenir. C’est ainsi qu’elle entre dans la Délégation des femmes libanaises, puis au Parti communiste, auquel son mari est affilié. Elle commence ainsi à s’ouvrir aux questions politiques et au combat pour l’égalité des sexes.