Dans quel monde vivons-nous? Celui de la modernité, de la technologie et des découvertes? Un monde fou où les crises, plus ou moins violentes, et plutôt plus que moins, explosent un peu partout? Les voyants extralucides n’avaient-ils pas déjà annoncé la fin du monde? Mais trêve de questions. Les réponses sont évidentes. Sur toute la planète, la pauvreté d’une part, les ambitions démesurées et la corruption d’autre part, sont sans doute la cause des révolutions qui secouent aujourd’hui, comme hier, les sociétés les plus brimées. Des populations qui ont lancé le Printemps arabe, sans avoir su le protéger, jusqu’à celles des Etats riches à la tête desquels sévissent des dictateurs omniprésents et que rien ne déloge, sinon les soulèvements massifs ou des coups d’Etat qui, très souvent, ne font qu’ouvrir la voie à d’autres despotes du même calibre.
La situation au Liban n’échappe pas à cette folie et n’en est pas moins dramatique et tout autant explosive. Le passé pas si lointain, vécu par la majorité des dirigeants actuels, semble avoir laissé des traces dans leur mémoire et le laxisme d’aujourd’hui est justifié, pour certains d’entre eux, par celui d’hier. Supposés gérer un pays démocratique, ils sont confrontés au Hezbollah et à ses armes dont les alliés politiques sont pris entre deux feux et tentent de s’en sortir par des entourloupes politiciennes. Le président de la Chambre, qui sévit sur le perchoir depuis des décennies, est un jongleur qui se joue autant des mots que du peuple. Quand le jeu lui échappe, il se cantonne dans des formules qui sonnent creux. L’autre allié, le CPL, s’est séparé, non sans difficulté, de l’Energie avec laquelle le ministre Gebran Bassil «protégeait si bien les chrétiens du Liban et de la région» pour la confier, ironie du sort, à un membre du même courant. Si l’on avait cru, l’espace de soixante-douze heures, que tout était réglé, le diable a vite fait de resurgir dans les détails. Il ne s’agit plus d’un simple jeu de chaises, mais d’une exigence bien plus grave et si bien ancrée qu’il est difficile de s’en sortir. La Résistance, avec un R majuscule, veut garder le monopole de la décision. Celle de faire la guerre. Mais pas seulement. Les pontes du mouvement se sont succédé dans tous les médias, pour confirmer leur détermination à ne pas rendre les armes, et encore moins à se placer sous l’autorité de l’Etat et à coordonner son action, qui engage le pays, avec le pouvoir en place. Derrière cet entêtement, s’agite sans aucun doute le spectre de la prochaine présidence. Si on ne sait pas encore qui sera l’élu avec lequel ils daigneraient collaborer, on peut, d’ores et déjà, imaginer son profil.
Après l’attitude, qualifiée de courageuse, du président Saad Hariri qui, de La Haye où se jouait le sort des meurtriers de son père, a donné son aval à une participation dans un gouvernement avec des représentants du Hezbollah, contre le gré de nombre de ses alliés, pouvait-il aller plus loin et donner un blanc-seing à un mouvement qui avait déjà exposé le pays à une agression israélienne meurtrière? Chacun se souvient, et beaucoup l’ont rappelé ces derniers jours, de la phrase devenue célèbre du secrétaire général du Parti de Dieu: «Si j’avais su». Or, ce qui lui est uniquement demandé c’est de ne plus faire cavalier seul. Son refus est sans appel. Il s’accompagne d’une diatribe et d’une rare agressivité contre le chef de l’Etat pour ses positions nationales. Une majorité de politiques et de citoyens se sont indignés des attaques dirigées contre le président de la République, mais de Bkerké qui ne reconnaît pourtant que l’autorité de Baabda, le silence est resté étonnant pendant quelques jours. Le 5 mars, par leur communiqué mensuel, les évêques remettaient les pendules à l’heure et dénonçaient les attaques injustifiées dont le chef d’Etat a été la cible.
Nous nous étions laissés berner, pendant les quelques jours qui ont suivi l’accouchement du gouvernement pourtant handicapé à la naissance, par les propos lénifiants garantissant «l’entente cordiale». Mais la baguette magique censée transformer les antagonistes en partenaires a, visiblement, perdu de ses effets. Que pouvons-nous encore attendre de la reprise des rencontres après le sommet libanais de Paris? Un sommet qui dérange ceux qui, de toute évidence, ne sont pas favorables au renforcement politique et militaire de l’Etat.
Mouna Béchara