Mues par leur volonté de circonscrire la contagion de la guerre en Syrie, les puissances étrangères ont pesé de tout leur poids pour que soit installé un gouvernement de plein exercice capable de gérer les débordements sécuritaires et le vide présidentiel qui se profile.
La rédaction de la déclaration ministérielle, son adoption et le vote de confiance au Parlement (voir encadré) étaient inscrits dans les agendas des grandes puissances depuis la désignation de Tammam Salam. Jusqu’à la commémoration du 14 mars, les différentes composantes de la coalition ont utilisé chaque minute de leur capital temps pour rassurer leurs sympathisants. En coulisse, le représentant spécial de l’Onu, Derek Plumbly, l’ambassadeur des Etats-Unis à Beyrouth, David Hale, et Saad Hariri, au nom de l’Arabie saoudite, ont multiplié les coups de téléphone auprès des cadres les plus réticents du 14 mars. Priorité à la stabilisation du pays. La confrontation politique, oui; l’escalade incontrôlée, non. Comme l’entrée en guerre du Hezbollah, l’installation de bases arrière rebelles aux frontières du pays, imaginée par Bandar Ben Sultan (voir page 18), a fini par aspirer le Liban dans la tempête syrienne. La communauté internationale, en train de redéfinir sa stratégie en Syrie, ne veut pas que le conflit s’élargisse et s’installe durablement au Liban. Telle est la mission première du gouvernement.
Les Kataëb entrent dans le rang
Quelques heures avant la session plénière place de l’Etoile, le président Michel Sleiman et le Premier ministre ont entériné, avec Amine Gemayel, le maintien au gouvernement des ministres nommés par les Kataëb. Le parti l’a annoncé, mardi, à l’issue d’une réunion du bureau politique. Trois jours auparavant, il avait clairement mis en balance la démission de Sejaan Azzi, Ramzi Jreige et Alain Hakim si la clause de la déclaration ministérielle relative au droit des citoyens libanais à la Résistance et à l’autorité de l’Etat dans ce cadre n’était pas éclaircie.
Lundi, accompagné des anciens ministres Elie Marouni et Salim Sayegh, Amine Gemayel s’est rendu au Grand sérail pour y rencontrer Tammam Salam. Le chef du gouvernement a été très clair. «La déclaration ministérielle du cabinet d’intérêt national a souligné l’attachement à la souveraineté de l’Etat, son autorité et l’unité de sa décision. La déclaration met l’accent sur l’unité de l’Etat libanais et son autorité de référence exclusive dans tout ce qui concerne la politique générale, ainsi que la responsabilité de l’Etat et son rôle dans la réalisation de la souveraineté et de l’indépendance du pays».
Le lendemain, à la tête cette fois d’une délégation d’une trentaine de cadres de son parti, l’ancien président s’est entretenu avec le chef de l’Etat à Baabda. Ce dernier l’a rassuré, «la déclaration ministérielle, adoptée vendredi dernier, consacrait la reconnaissance de l’Etat comme autorité de référence dans les affaires politiques, la défense et la libération des territoires occupés», a-t-il expliqué à son hôte.
Estimant que leurs positions «ont clarifié la lecture de la déclaration ministérielle, faisant prévaloir une seule lecture officielle du document», les Kataëb ont décidé «de refuser les articles flous du document et d’adopter les clarifications du Premier ministre et du chef de l’Etat, refusant toute autre explication ou lecture de la déclaration. Le parti a demandé à ses ministres de poursuivre le combat politique dans le cadre même du cabinet». Le suspense était ténu. Avec le maintien des Kataëb au gouvernement, l’absence des Forces libanaises et la présence des chrétiens indépendants aux côtés du Courant du futur, le 14 mars couvre l’ensemble du spectre.
La lutte antiterroriste
Le feuilleton des postures en direction de l’opinion publique est clos, place aux choses sérieuses. La séquence post-Yabroud (voir page 40) montre au gouvernement l’étendue de sa tâche. Objectif premier, restaurer l’autorité de l’Etat. «Si elle n’est pas rétablie, nous allons vers notre perte et celle du pays», a déclaré Tammam Salam à l’ouverture de la séance parlementaire de confiance au Parlement. Le vide qui s’est installé à la tête de l’Exécutif a favorisé la balkanisation du pouvoir. Dans les zones frontalières et au sein des communautés sensibilisées par la guerre en Syrie, ont été mis en place des systèmes de pouvoir locaux articulés autour de barons, de dignitaires et d’armées parallèles qui exercent leur propre autorité. En l’absence de colonne vertébrale à l’échelle nationale, le pays ressemble à une mosaïque de cantons qui n’acceptent les corps de l’Etat que lorsqu’ils leur sont favorables. «Le Liban est entouré d’une ceinture explosive de dangers et de défis. Au Sud, c’est le danger israélien, dans la Békaa, à Ersal et dans le Nord, notre terre prend la couleur du sang du conflit syrien qui a rendu notre pays exsangue», expliquait mercredi Najib Mikati. Ce morcellement du pouvoir ne convient pas à la communauté internationale qui a mobilisé de gros moyens pour aider le Liban.
Pour parer au vide
Deuxième mission, lutter contre la prolifération des cellules terroristes. La prise de conscience est internationale. L’Arabie saoudite et les Etats-Unis craignent que la frontière libano-syrienne ne devienne le sanctuaire des organisations jihadistes comme l’est devenu le Sahel africain ou l’était l’Afghanistan du temps d’Oussama Ben Laden. La hantise des conseillers à la sécurité des ambassades occidentales. L’Occident et ses alliés commencent à peine à opérer la reprise en main de la rébellion contre le régime syrien. Ils attendent des leaders la couverture et le soutien aux opérations de sécurisation que devront mener l’Armée libanaise et les Forces de sécurité intérieure (FSI).
Quelques heures avant le début de la séance plénière du Parlement, le chef de l’Etat Michel Sleiman a présidé une réunion extraordinaire de sécurité en compagnie de Tammam Salam. Troisième mission, restaurer l’ordre. Mardi, la nuit de colère organisée par les membres les plus radicaux de la communauté sunnite − et les appels au jihad contre l’armée − illustrent les tensions nées de la guerre en Syrie. Le gouvernement d’union nationale au sein duquel sont représentées les principales composantes du pays a pour mission de pacifier la confrontation démocratique. A ce titre, le président de la République a annoncé la tenue d’une séance de dialogue national dans les très prochains jours.
Aux yeux de la communauté internationale, le gouvernement Salam a une fonction en option qui pourrait se mettre en marche le 25 mai prochain. A deux mois de l’élection présidentielle, les données actuelles de l’antagonisme politique rendent invraisemblable l’élection consensuelle d’un nouveau chef de l’Etat. C’est aussi pour cette raison que les puissances qui comptent ont tant poussé à la formation d’un gouvernement de plein exercice.
Julien Abi Ramia
Confiance quasi unanime
A l’exception des Forces libanaises qui, par la voix de Sethrida Geagea, ont appelé le
Hezbollah à remettre ses armes à l’Etat, les parlementaires ont accordé leur confiance dans leur écrasante majorité au
gouvernement de Tammam Salam. Au nom du Courant du futur, le député Ammar Houri a expliqué que cela était «la meilleure solution possible». Pour le Bloc du Changement et de la Réforme, Ibrahim Kanaan a rappelé que ce gouvernement était «transitoire» et qu’il a pour mission de «préparer le terrain à la tenue des élections présidentielles».