Au lendemain du référendum en Crimée, rejeté par l’Occident, et alors que la Russie se prépare à faire face à des sanctions, le Kremlin se tourne déjà vers l’Ukraine et envisage la création d’une «fédération ukrainienne».
La Russie récupère la Crimée cédée à l’Ukraine pour des raisons purement administratives en 1954. Reste que cette annexion, justifiée par un référendum rejeté par l’Ukraine et l’Occident, ne constitue qu’un ballon d’essai pour le maître du Kremlin, qui doit maintenant conforter son avantage en établissant son contrôle sur l’est et le sud de l’Ukraine. Dans ce contexte, le ministre des Affaires étrangères russe a appelé Kiev à convoquer une Assemblée constituante afin de transformer l’Ukraine en une fédération constituée d’entités jouissant d’une large autonomie.
Dimanche 16 mars, les habitants de la Crimée se sont prononcés en masse pour le rattachement de la presqu’île à la Fédération de Russie. Selon Mikhaïl Malychev, président de la commission électorale, qui s’est félicité du fort taux de participation (64%), 96,6% des votants ont exprimé leur volonté de rejoindre la Russie.
Au lendemain du vote, les autorités de Simferopol, qui ont fait le voyage à Moscou, ont fait savoir qu’elles allaient demander «l’admission de la Crimée comme nouveau sujet de la Russie avec le statut d’une République».
La Russie isolée
C’est la première fois depuis la fin de la guerre froide que la Russie se retrouve aussi isolée. La crise ukrainienne a mis un point final au «reset» initialisé par le président Dmitri Medvedev, déjà mis à mal par les lois de Poutine qui avaient provoqué le refus des leaders occidentaux de participer à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Sotchi, le 7 février dernier.
La communauté internationale a critiqué sévèrement le référendum et a fait savoir qu’elle ne le reconnaissait pas, et a menacé la Russie de sanctions. Dès les premiers résultats connus, Barack Obama a appelé Vladimir Poutine pour lui dire que «ce référendum est illégitime, contraire au droit international, aux statuts de l’organisation des Nations unies et viole la Constitution de l’Ukraine. Le président russe a répliqué en faisant valoir le précédent kosovar et le droit des peuples à l’autodétermination. Même réaction chez les autres responsables politiques occidentaux. «Il faut envoyer un message aussi fort que possible tout en prenant soin d’éviter l’escalade», a déclaré Catherine Ashton, chef de la diplomatie européenne. Enfin mardi matin, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a menacé la Russie de rompre le contrat d’armement «Mistral». Seuls deux pays ont apporté leur soutien à la Russie: la Corée du Nord et la Syrie. Lors du vote de la résolution du Conseil de sécurité sur la Crimée, la Chine, pourtant fidèle alliée de la Russie, s’est abstenue. Il faut dire que les Chinois, qui ont des problèmes de minorités, n’encouragent jamais les tendances séparatistes. Quant aux pays de la CEI, ils se sont cantonnés dans un silence prudent et le président de Biélorussie, Alexandre Loukachenko, a déclaré après Maïdan qu’il avait l’intention de continuer d’entretenir de bonnes relations avec l’Ukraine.
Lundi, joignant le geste à la parole, Américains et Occidentaux ont publié des listes de hauts fonctionnaires et de membres du gouvernement dont les avoirs à l’étranger seront bloqués au nombre desquels on trouve de très hauts responsables. Cette nouvelle n’a pas troublé le Kremlin. «Nous sommes reconnaissants aux Occidentaux de s’être occupés de ceux qui n’ont pas encore fermé leurs comptes à l’étranger», a plaisanté Dimitri Peskov, conseiller de presse de Vladimir Poutine. Cette réaction n’est pas vraiment surprenante. La récupération de la Crimée a fortement fait remonter la popularité de Poutine qui atteint plus de 60% d’avis favorables, selon l’institut de sondage Levada. Et les sanctions, qui ne touchent ni le président ni le Premier ministre, jouent en faveur de Poutine, qui apparaît aux yeux de nombreux citoyens comme le défenseur des Russes humiliés par les autres nationalités et comme le rassembleur des terres russes.
C’est ce tournant de la diplomatie de Moscou, qui a commencé lors du troisième mandat de Vladimir Poutine, qui explique la suite de malentendus entre Moscou et Washington. Les Américains dont la diplomatie est de plus en plus basée sur des considérations mercantiles, à savoir l’ouverture de nouveaux marchés, n’ont pas pris au sérieux les déclarations de Poutine affirmant haut et fort que «la fin de l’Union soviétique avait été une catastrophe pour la Russie». Dans ce contexte, la volonté de Kiev de signer un traité d’association avec l’Europe était inacceptable, car dans l’esprit de Poutine elle menaçait les intérêts géostratégiques de la Russie. Profitant de la confusion régnant à Maïdan et de la présence parmi les nouveaux responsables ukrainiens d’éléments franchement antirusses et parfois fascistes, et également de la passivité des Occidentaux qui n’ont pas envie de faire la guerre pour sauver l’unité territoriale de l’Ukraine, Poutine s’est appuyé sur la population russe de Crimée et a initialisé ce référendum qui n’est autre qu’un premier pas vers le démembrement de l’Ukraine.
Nathalie Ouvaroff
La Tauride de l’Antiquité
La Crimée, qui correspond à la Tauride de l’Antiquité, est une péninsule de 27 160
kilomètres carrés, située au sud de la Russie. Elle est peuplée principalement de Russes, mais y on trouve également des Ukrainiens et des Tatars. Elle appartenait à l’Empire
ottoman avant d’être conquise pendant la guerre russo-turque de 1787-1792 par l’armée russe, conduite par le prince Grigori Potemkine, amant de l’impératrice. Pendant la période soviétique, la Crimée devient une République socialiste autonome puis un «oblast», qui fait partie de la République fédérative de Russie.
En 1954, elle est cédée à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev pour des raisons purement administratives.
En 1991, elle devient une République autonome au sein de l’Ukraine, mais Kiev ne respectera jamais ce statut.