Quelques heures après la bataille décisive, remportée par le Hezbollah et les forces du régime syrien, la rébellion jihadiste et ses supplétifs installés au Liban ont violemment riposté à Tripoli et dans la Békaa, à Nabi Othman, contre l’armée, les alaouites et le Hezbollah.
Jeudi 13 mars, Tripoli, à onze heures. Walid Barhoum arpente les rues du quartier de Dam w Farz, à quelques mètres au nord de la mosquée al-Nour, frappée par l’attentat meurtrier dit des deux mosquées en août 2013. Alors qu’il se dirige vers la filiale tripolitaine de la Banque du Liban, une moto se range à deux hauteurs. Deux hommes l’enfourchent. Le passager sort une arme et ouvre le feu à quatre reprises. L’estomac et les deux jambes sont touchés. La victime mourra à l’hôpital Mazloum.
Tripoli, l’armée ciblée
Le mode opératoire ressemble aux opérations de vendetta menées contre les habitants alaouites de Jabal Mohsen. Pourtant sunnite, Walid Barhoum a eu le malheur d’épouser une «ennemie». L’incident est filmé par une caméra de surveillance, Omar Mikati et Fayez Othman sont identifiés. Lorsque la nouvelle est annoncée, la rue de Syrie s’enflamme. Les blindés de l’armée se déploient dans et autour du secteur, Mohsen et Tebbané, et les quartiers alentours sont déjà entrés dans leur vingtième round d’affrontements. Après un calme de quelques semaines toujours aussi précaire, les caïds de quartier, armés de roquettes et de mitrailleuses, et les snipers reprennent du service.
Le bilan de ces cinq jours d’affrontements est extrêmement lourd. Douze morts et une centaine de blessés sont à déplorer jusque dans les quartiers environnants de Kobbé, Mankoubine et Baqqar. Avec l’émoi suscité par la mort d’une fillette de 10 ans, la particularité de la séquence réside sans conteste dans les attaques contre les forces de l’Armée libanaise jusqu’à la frontière nord avec la Syrie, dont les barrages et les blindés sont directement visés. L’institution militaire a perdu un soldat, le caporal Fadi Seqaan, victime d’une grenade à fusil antichar Energa lancée contre un transporteur de troupes dans le secteur de Malloulé. Des attaques de même type ont eu lieu contre des points de surveillance disposés par les militaires dans la zone des combats, faisant une dizaine de blessés dans leur rang.
Derrière les appels au calme des dignitaires politiques et religieux de la ville, les déclarations d’Achraf Rifi, qui règne sur la ville dans l’ombre, ont été suivies avec attention. Le nouveau ministre de la Justice a multiplié les coups de fil jusqu’à mardi pour tenter de calmer les tensions et lancé un énième plan en trois points pour Tripoli: interdire le recours aux armes, mettre en place des projets de développement et indemniser les victimes. Autre prise de position, celle de l’ancien député Misbah el-Ahdab qui se veut le porte-parole de la majorité silencieuse, qui crie stop. Après avoir accusé de complot «certains officiers des services de renseignements de l’armée», il exhorte Saad Hariri à prendre une «position claire afin de faire échec au complot et aux tentatives d’inciter les sunnites à affronter l’armée».
Le Hezbollah visé
Se joue à Tripoli un véritable combat politique pour la récupération de la colère des sunnites de la ville qui voient le régime syrien et ses supplétifs − à leurs yeux, le Hezbollah, les alaouites et l’Armée libanaise − gagner du terrain en Syrie.
Cette colère a été exacerbée par la chute du bastion de Yabroud, dans la région du Qalamoun, passerelle entre la Syrie et le Liban et le village de Ersal. Le pilonnage intensif de l’armée syrienne et les forces terrestres du Hezbollah font tomber cette zone stratégique en quarante-huit heures. En parallèle, selon une source militaire syrienne, quatorze des dix-huit points de passage sur la frontière entre la Syrie et le Liban sont désormais sous le contrôle des forces loyalistes. Conséquence de cette avancée: un afflux sans précédent de rebelles. Après la prise de Yabroud, les forces du régime syrien étendent leur action sur les montagnes de Ersal. Le but, empêcher les combattants rebelles de fuir vers le Liban. Plusieurs routes d’exfiltration sont ainsi pilonnées.
Les risques d’attentats de représailles contre le Hezbollah étaient également craints. La réponse n’a pas tardé. Dimanche soir, un 4×4 piégé de type Grand Cherokee sort du jurd de Ersal, à six kilomètres au nord de la localité, à la hauteur du village d’al-Fakiha, puis prend l’autoroute de la Békaa à Ras Baalbeck, direction sud, vers Laboué. En entrant à Nabi Othman, l’un des pneus crève. Le kamikaze se range sur le bas-côté de la route et attend. Les automobilistes qui passent à sa hauteur remarquent cette voiture qui semble abandonnée. Dans cette région qui vit dans la peur des attentats à la voiture piégée, les gros véhicules sont suspects. Sa présence est signalée aux services de sécurité du Hezbollah. Une équipe se rend sur les lieux. Le conducteur est toujours dans sa voiture, il ne bouge pas. Les deux agents du parti, Abdel-Rahman Qadi et Khalil M. Khalil, l’assaillent de questions. Pris en tenaille, le terroriste déclenche l’explosion des cent kilos d’explosifs chargés dans sa voiture. Qadi et Khalil meurent sur le coup. On déplore plus d’une dizaine de blessés.
Deux organisations revendiquent l’attentat, le Front al-Nosra et les Brigades des sunnites libres de Baalbeck, inconnues jusqu’alors, qui ont prêté allégeance à l’Etat islamique de l’Irak et du Levant (EIIL). Une guerre picrocholine de terroristes qui auraient pu frapper une deuxième fois si l’armée n’avait pas repéré et neutralisé un Grand Cherokee argenté contenant 170 kilos d’explosifs, toujours entre Fakiha et Ras Baalbeck, garé sur une colline, à quelques kilomètres à peine de Nabi Othman.
Julien Abi Ramia
Les roquettes de la colère
En début de semaine, le chef du gouvernement Tammam Salam a demandé au commandant de l’armée, le général Jean Kahwagi, de «prendre toutes les mesures nécessaires pour contrôler la situation dans les zones frontalières de la Békaa et de faire tout son possible pour protéger les civils et maintenir la stabilité à Ersal, Laboué et les villes voisines». Vingt-quatre heures avant l’attentat de Nabi Othman, le village a été la cible de roquettes tirées à partir de la Syrie. Ces tirs ont fait un mort et trois sérieux blessés. L’attaque a été revendiquée par l’EIIL. Lundi, trois roquettes ont été tirées à partir des collines surplombant Ersal sur le village chiite de Laboué, faisant un blessé. A la suite de ces tirs, les habitants de Laboué ont coupé la route reliant leur village à celui de Ersal. En réponse, d’autres roquettes sont tombées sur le village frontalier envahi par la rébellion.