Magazine Le Mensuel

Nº 2944 du vendredi 11 avril 2014

Presse étrangère

Réfugiés: à deux doigts du point de rupture

Les Syriens ayant fui leur pays en guerre représentent désormais le quart de la population libanaise. L’occasion pour la presse internationale de dresser le bilan d’une crise humanitaire que le Liban a bien du mal à juguler.

The Christian Science Monitor
Des chiffres affolants

The Christian Science Monitor fait le point statistique de la situation des réfugiés syriens au Liban.
Le Haut-Commissariat de l’Onu pour les réfugiés (HCR) a déploré, jeudi 3 avril, «un record désastreux aggravé par des ressources qui s’épuisent rapidement et une communauté hôte proche du point de rupture». «En avril 2012, il y avait 18000 réfugiés syriens au Liban; en avril 2013, ils étaient 356000 et actuellement, en avril 2014, un million», a résumé António Guterres, le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Le HCR enregistre quotidiennement 2500 nouveaux réfugiés, «soit plus d’une personne par minute» dans ce pays. Et «le flux s’accélère». A ce rythme, fin 2014, le Liban comptera plus d’1,5 million de réfugiés syriens, pour la moitié des enfants, puisqu’aucune perspective de paix à court ou moyen terme n’est actuellement envisagée en Syrie. Toutefois, les autorités libanaises et certaines ONG locales estiment de leur côté que ce cap a déjà été atteint il y a plusieurs mois, sachant qu’un nombre très important de réfugiés syriens ne se sont pas inscrits sur les listes de l’Onu. Le chiffre réel serait plus proche de 1,7 million de personnes. Avec 2,5 millions de réfugiés (sur 22 millions d’habitants), forcés de fuir à l’étranger, les Syriens sont en train de devenir la plus importante population de réfugiés du monde, devant les Afghans.

Vice
Environnement compliqué

Le mensuel Vice brosse le portrait type de la situation des réfugiés syriens installés au Liban.
Jarrahiyé est un petit village libanais de la Békaa orientale situé au sud de la route Beyrouth-Damas, non loin de la frontière entre les deux pays. Il est peuplé pour l’essentiel de sunnites et compte un certain nombre de familles de «bédouins», éleveurs de moutons, qui vivent à la lisière, sous des «tentes» – en fait des baraquements précaires. Longtemps sans nationalité, ceux de Jarrahiyé ont été reconnus comme Libanais en 1994.
C’est là, sur une terre de pâturage, que se sont installées depuis le début de l’été 2013 quelques dizaines de familles syriennes, en provenance de Homs et de la Ghouta (région environnante de Damas), fuyant les bombardements, les destructions et les pillages. Elles louent l’emplacement pour une «tente» 85000 livres libanaises par mois, pour 30 à 40 m2. Les bâches sont fournies par le Haut- Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR) ou «les Danois», comme on les appelle ici; les cadres de bois sont achetés par les réfugiés, avec l’aide de telle ou telle association. D’autres ont pu s’installer dans une pièce, dans les maisons du village, dans les villages voisins, ou encore à Chtaura, grosse bourgade commerçante sur la route de Damas. Dans tous les cas, la situation des familles est difficile. Ayant tout perdu ou presque, elles vivent dans la plus grande précarité et dans l’attente d’un retour incertain. Leurs journées s’étirent dans l’oisiveté.

The Guardian
Une peur de tous les instants

Le quotidien britannique The Guardian cible le sentiment le plus communément partagé par ces réfugiés déracinés.
Rares sont les hommes qui trouvent à s’employer, sur un marché de l’emploi caractérisé à la fois par un fort taux de chômage et l’omniprésence de travailleurs étrangers de toutes origines. Les femmes s’occupent de leurs familles et surveillent leurs enfants tant bien que mal. Elles racontent la peur, les morts, le départ en catastrophe. Les récits sont parfois contradictoires et si le régime est considéré comme le premier responsable de la «catastrophe», il est difficile de les faire parler politique. Une famille au moins raconte aussi avoir fui les exactions de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Mais Nada explique que tous ont intériorisé les injonctions des organismes d’aide, qui tendent à dépolitiser leur action. Et puis tout le monde a peur de la possible présence d’agents du régime.
Expulsions, couvre-feux… Un certain de nombre de villes et villages du nord du Liban, qui comptent désormais plus de réfugiés que d’habitants, ont pris des mesures radicales à l’encontre des ressortissants syriens. Cependant, les tensions avec les autorités et la population locale restent relativement limitées.

Libération
Le Liban saturé

Libération rend compte du débordement des autorités libanaises.
«Trois ans après le début du conflit en Syrie, le Liban est devenu le pays au monde hébergeant la plus forte densité de réfugiés par habitant. Les Libanais manifestent une générosité remarquable, mais ils luttent pour faire face. Le Liban accueille la plus importante concentration de réfugiés de toute l’histoire récente. Nous ne pouvons pas le laisser porter seul cette charge», estime le HCR.
L’impact sur le Liban, lui-même en proie à de nombreux incidents sécuritaires et à des tensions confessionnelles liées à la crise syrienne, est «immense», selon le HCR. Notamment d’un point de vue économique, avec «un déclin du commerce, du tourisme et des investissements, ainsi qu’une augmentation des dépenses publiques». L’offre pléthorique de travailleurs syriens à bas salaires provoque davantage de déréglementation et amplifie l’emploi informel, ce qui se traduit par une pression à la baisse sur les salaires et une détérioration des conditions de travail.
D’après la Banque mondiale, la crise syrienne a coûté au Pays du Cèdre la bagatelle de 1,82 milliard d’euros en perte d’activité en 2013 et menace de faire basculer 170000 Libanais sous le seuil de pauvreté d’ici la fin de l’année. «La croissance du pays a été divisée par quatre depuis le début de la crise syrienne».

The Financial Times
La manne qui s’évapore?

The Financial Times s’intéresse aux gisements de pétrole et de gaz qui font aujourd’hui la fierté du Liban. Et demain?
Après avoir formé un gouvernement de plein exercice, les autorités libanaises sont enfin en mesure de commencer à s’attaquer à la question de leurs gisements. La bureaucratie, les retombées de la guerre syrienne et la démarcation des frontières maritimes posent des obstacles pour les futurs investisseurs. Peut être également pointé le difficile environnement fiscal qui freinerait de nombreuses entreprises. Certaines des plus grandes compagnies énergétiques d’Europe, comme le norvégien Statoil ou l’italien Eni, qui ont passé un premier appel d’offres, font montre désormais d’un intérêt circonspect. «Nous voyons la situation politique dériver sur une trajectoire allant vers plus de déstabilisation. Nous estimons que l’instabilité du Liban va de pair avec ce qui se passe en Syrie», confie un courtier attentif au marché mondial de l’énergie.

Julien Abi Ramia
 

London Review of Books
Main turque dans la Ghouta

C’est sans doute l’article le plus commenté de la semaine dans la région. Dans un long article publié dimanche par la London Review of Books, le journaliste d’investigation américain, Seymour Hersh, rapporte que les attaques au gaz sarin contre la banlieue damascène de Ghouta, le 21 août 2013, ont été en réalité menées par des forces rebelles syriennes pour le compte de la Turquie, afin de fournir un prétexte à une attaque américaine contre la Syrie. D’après Hersh, «le changement d’opinion d’Obama trouve son origine à Porton Down, le laboratoire de la défense dans le Wiltshire. Les Renseignements britanniques avaient obtenu un prélèvement du sarin utilisé dans l’attaque du 21 août et les analyses ont démontré que le gaz utilisé ne correspondait pas aux variétés connues dans l’arsenal chimique de l’armée syrienne. Autre indice troublant, la libération en mai 2013 de dix membres du Front al-Nosra arrêtés dans le sud de la Turquie, avec en leur possession deux kilos de gaz sarin.

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