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Nº 2945 du vendredi 18 avril 2014

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Echelle des salaires. La grille de tous les risques reportée

Une fois de plus, sous la pression de la rue, le Parlement s’est réuni pour tenter de voter la grille des salaires, dont l’impact serait sans doute dévastateur pour le Liban, confronté à une crise économique sans précédent. Cette nouvelle tentative est symptomatique de la politique du moindre mal à court terme, visant à calmer la rue qui gronde, sans apporter de véritables réformes seules susceptibles de sauver le pays du gouffre de l’endettement.
 

Le mardi, sur fond de clivage, les députés libanais ont reporté de quinze jours le vote controversé de loi sur la grille des salaires, déjà approuvée par les Commissions parlementaires conjointes la semaine passée. Le projet de la grille des salaires comprend une soixantaine d’articles dont plus de la moitié portant sur l’imposition et l’augmentation de nouvelles taxes qui permettraient d’assurer son financement. Certains de ces articles ont été avalisés par les Commissions tels ceux portant sur la cherté de vie pour l’ensemble des fonctionnaires, ainsi que la hausse des impôts sur les dépôts bancaires de 5% à 7%; ce qui avait amené le secteur bancaire à observer un jour de grève en signe de protestation. Parmi ces taxes figurent également une série de nouvelles impositions très contestées par les organismes économiques et bancaires, comme le relèvement du taux de la TVA de 10% à 12%, l’établissement d’une taxe de 4% sur le mazout, d’une autre sur les profits des ventes de biens-fonds immobiliers jusqu’à 15% pour ceux acquis et revendus dans une période de moins de dix ans, et un projet d’imposition à 100% sur les stations balnéaires ne disposant pas d’une licence d’exploitation.
«Le danger émane de l’absence d’estimations fiables sur le financement à court, moyen et long termes de l’échelle salariale du secteur public», met en garde Nassib Ghobril, économiste en chef de la Byblos Bank.

 

Agitation syndicale
Le Liban est agité depuis plusieurs semaines par des mouvements de protestation organisés par le Comité de coordination syndicale (CCS). Ce dernier avait menacé  d’avoir recours à l’escalade à partir de lundi si la grille n’était pas approuvée par le Parlement. Les membres du CCS avaient également rejeté l’échelonnement de la grille, une proposition émanant du gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé.
Le président de l’Association des banques du Liban (ABL), François Bassil, avait mis en garde contre l’approbation par les Commissions parlementaires de la grille et, notamment, de l’article sur la hausse des impôts sur les dépôts, qui aurait, selon lui, des répercussions négatives sur les épargnants et les prêts bancaires.
Les impôts proposés par les Commissions auront des retombées négatives sur les épargnants libanais. Cette hausse des impôts aura aussi des répercussions sur tous les prêts, immobiliers, personnels et d’éducation, dont les intérêts augmenteront, a-t-il ajouté. «Les épargnants verront ainsi leur pouvoir d’achat rogné par ces nouvelles taxes, pouvoir déjà affaibli par l’inflation galopante. Le niveau de l’inflation a atteint 7% en 2013, dépassant ainsi les intérêts sur la livre libanaise dont dépendent de nombreux épargnants pour subsister», signale Ghobril.

 

Un coût exorbitant
Cette nouvelle grille des salaires a suscité une levée de boucliers de la part des banquiers libanais. Dans un communiqué de presse, l’Association des banques libanaises a mis en exergue la situation de double taxation envisagée par la nouvelle grille, les banquiers se voyant ainsi taxés sur leurs revenus nets une première fois puis sur leurs profits, ce qui équivaudrait au paiement d’une taxe de près 37%. Pour mémoire, le secteur bancaire libanais finance la dette publique à hauteur de 58%. De nouveaux impôts appliqués sur les dépôts concomitant à une rétrogradation de la note des banques libanaises pourraient également provoquer une fuite de capitaux, très dangereuse dans le contexte actuel, car affectant la capacité des banques à continuer à financer le déficit dépendant en grande partie du maintien de la croissance desdits dépôts.
Le coût estimé de cette nouvelle grille est exorbitant. Le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, a estimé à environ 1,6 milliard de dollars par an le coût de l’augmentation des salaires du cadre administratif, du corps professoral, des militaires, des ministres et des députés. Dans le cadre de cette grille, certains réajustements de salaires touchent des catégories d’employés, dont 22% seront à la retraite d’ici cinq ans, et qui devront non seulement toucher des indemnités de fin de service mais également être remplacés. «Qui financera ces nouveaux recrutements?», s’interroge Ghobril. «Le problème est que ces taxes sont imposées dans des circonstances économiques difficiles sans être accompagnées de réformes, il existe une vague référence à une réduction de la corruption, mais qui s’en portera garant?», se demande-t-il.
D’autres spécialistes comme l’économiste, Louis Hobeika, se sont montrés plus confiants, assurant que l’adoption de la grille va automatiquement enclencher un mouvement favorable, avec un accroissement des salaires, une augmentation des dépenses et donc des impôts. «La grille des salaires se finance par elle-même», a-t-il affirmé, s’appuyant sur le fait que «le Liban est un pays de consommation et l’effet multiplicateur va naturellement réactiver les marchés».
Répondant à ceux qui craignent une inflation et l’effondrement de la valeur de la livre libanaise comme en 1992, Hobeika assure que «la situation a changé». «A l’époque, le pays venait de sortir de quinze années de guerre, ses institutions financières étaient fragiles et les réserves en devises de la Banque du Liban (BDL) largement inférieures à celles d’aujourd’hui», a-t-il indiqué.
Cependant, dans le contexte actuel, dominé par une crise économique à l’horizon incertain et un plan de réformes inexistant, l’impact de cette nouvelle grille de salaires est plus qu’aléatoire. Bien que nul ne conteste le droit des fonctionnaires à exiger une révision de leurs émoluments, l’échelle des salaires ne résout pas les nombreux problèmes de l’administration dont l’amélioration de la productivité, le recrutement de fonctionnaires plus qualifiés, la mise en place de vraies mesures permettant une collecte plus efficace des taxes, ainsi que l’adoption d’une stratégie permettent de mieux lutter contre la corruption. «Les mesures de ‘réformes’ attachées à ce projet de loi sont timides et ne traitent pas les problèmes essentiels d’un secteur public pléthorique, inefficace et improductif», ajoute Ghobril.

Mona Alami

Berry pour, Joumblatt contre
Alors que le président du Parlement, Nabih Berry, semble défendre la nouvelle grille, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, a déclaré que son bloc parlementaire s’opposait au projet de loi sur la nouvelle grille des salaires. «Mon bloc rejettera la nouvelle grille si des moyens de financement clairs ne sont pas trouvés», a déclaré Joumblatt lors d’une interview accordée à Magazine. «Nous n’adopterons pas la grille malgré son caractère légitime».

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