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Nº 2945 du vendredi 18 avril 2014

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Mgr Béchara Raï et la présidentielle. Le patriarche grand électeur

Mgr Béchara Raï aspire à l’élection d’un président fort et rassembleur, capable d’unifier le pays et de le remettre sur les rails. Autrement dit, un homme de confiance appliquant le programme élaboré par le patriarche, qui pilote en fin politique la campagne présidentielle depuis plusieurs semaines. La semaine dernière, à Genève, sa rencontre avec le médiateur de l’Onu pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, et sa conférence sur les chrétiens et l’avenir du Proche-Orient, ont été effacées par une petite phrase, prononcée au détour d’une discussion avec des journalistes.

Le garant des chrétiens d’Orient est aussi le grand ordonnateur de l’élection présidentielle libanaise. Interrogé jeudi 10 avril sur la possibilité qu’un représentant du 8 mars ou du 14 mars soit élu, il a répondu: «Le président doit être consensuel et accepté par le peuple afin qu’il puisse réunir les parties opposées et non provoquer une nouvelle crise». Les dépêches tombent et les commentaires pleuvent. Prévue à son retour, la réunion des représentants des quatre leaders chrétiens à Bkerké a été reportée. Ils lui reprochent d’avoir confié ses préférences et d’exclure de la course Michel Aoun, Samir Geagea, Amine Gemayel et Sleiman Frangié, candidats potentiels des deux coalitions. La première fausse note d’une campagne présidentielle qu’il avait jusque-là savamment orchestrée.
 

Accélérer le processus
Le vicaire patriarcal, Mgr Samir Mazloum, est chargé d’éteindre l’incendie. «Bkerké n’interfère pas dans le dossier de la présidentielle. Nous considérons que tous ceux qui répondent aux caractéristiques requises ont le droit de concourir. La position du patriarche ne signifie pas qu’il ne soutient pas les candidats du 8 et du 14 mars. Il s’agit d’une analyse qui consiste à dire qu’aujourd’hui, aucun de ces candidats n’est en mesure d’obtenir une majorité de voix. Sa position n’est pas en contradiction avec les attendus de la dernière réunion des leaders chrétiens à Bkerké». Un discours qu’il a tenu à chacun des leaders qu’il a eu au téléphone en fin de semaine dernière. Le tollé provoqué par ses déclarations a contraint le patriarche à éclaircir son propos dès le lendemain, à la sortie de son avion à l’aéroport de Beyrouth. «Il est inconcevable que j’exclus quiconque de la présidence. J’ai dit que s’il n’y a pas consensus sur un candidat du 14 mars ou du 8 mars, il faudrait alors trouver quelqu’un d’autre».
Ce complément d’explication donne un autre sens à sa sortie genevoise. Le patriarche n’a cessé de le répéter ces dernières semaines, il veut à tout prix éviter le vide présidentiel. «En principe, je n’emploie jamais ce mot car le vide signifie la mort. Un vide à la présidence constituerait la plus grande insulte à l’égard des Libanais et de l’Etat», déclarait Mgr Raï avant son départ pour la Suisse. Pour éviter le vide, le prélat tient à accélérer le calendrier. Michel Aoun, Samir Geagea et dernièrement Robert Ghanem se sont plus ou moins clairement déclarés. Le patriarche a obtenu de la part du président du Parlement Nabih Berry, qui a envoyé le député Yassine Jaber à la pêche aux intentions de l’ensemble des partis, l’assurance d’une convocation d’une séance élective pour le 23 avril. Reste désormais aux candidats de mobiliser leurs camps. C’est là qu’intervient le coup de semonce du chef de l’Eglise. Jusqu’à présent, ni le Courant du futur, au sein duquel les rencontres avec Saad Hariri se multiplient entre Riyad et Paris, ni le Hezbollah n’ont affiché leurs préférences. Comme l’explique Mgr Samir Mazloum, aucune majorité ne s’est dégagée pour l’un ou l’autre des candidats. Une réalité qui rend impossible l’élection d’un nouveau président sur ces bases-là.

 

Le profil type
Une autre interprétation peut être tirée des déclarations du patriarche à Genève. Il est déjà à la recherche d’un plan B. Si aucun des candidats déclarés n’obtenait l’onction d’au moins deux tiers des parlementaires au premier tour, et la majorité plus un aux autres tours, sa volonté d’éviter le vide l’obligerait à faire émerger d’autres candidats qui ne gravitent pas dans l’orbite des deux camps qui seraient ainsi neutralisés au cours de la première séance. Ces dernières semaines, le patriarche a défini le profil idéal du futur président par petites touches.
Il devra être «doté d’une personnalité forte et de bonnes valeurs, capable de nous unifier et qui aurait de bonnes relations avec la communauté internationale et le monde arabo-musulman. Nous avons besoin d’un président fort de par son éthique, la suprématie de son parcours, son histoire, sa foi en l’Etat et sa souveraineté». Le futur président devra être «une figure consensuelle soutenue par le peuple de manière à pouvoir guider ensemble les parties en lutte, au lieu de créer une nouvelle crise» et devra disposer «de solides références morales, d’intégrité et d’expérience de manière à revitaliser le rôle des institutions et à gouverner le pays en des temps difficiles».
Le patriarche brosse le portrait d’un homme sage, intègre et respecté aux compétences de gouvernance reconnues. Des caractéristiques que l’on peut retrouver chez Ziad Baroud. Les observateurs de Bkerké estiment que l’ancien ministre de l’Intérieur serait même le joker du patriarche. Avant d’être appelé par le maître de Bkerké pour piloter à ses côtés les discussions sur la loi électorale, les suiveurs politiques se souviennent de l’appel à peine voilé du patriarche en 2011 à renommer Ziad Baroud au ministère de l’Intérieur après la désignation de Najib Mikati. «C’est un ministre patriote qui représente un espoir pour tous les Libanais et dont nul ne peut se passer», expliquait-il à l’époque. Son opinion n’a pas évolué d’un iota. Dans l’esprit du patriarche, ce serait l’occasion de promouvoir une figure appréciée de la société civile et de la jeunesse auxquelles il attache une vraie importance.

 

Incontournable Bkerké
Autre outsider que le débat sur la grille des salaires (voir page 26) a remis sur le devant de la scène, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. Dans son homélie pour la messe des Rameaux, le chef de l’Eglise maronite a exhorté le Parlement à «prendre en considération les droits du peuple et les capacités de l’Etat en étudiant la grille». Une voix exprimée par le gouverneur lors des séances des Commissions auxquelles il a pris part. Autre déclaration qui étaie cette hypothèse, le patriarche n’écarte plus l’idée d’un amendement de la Constitution «en cas de nécessité absolue». D’un coup d’un seul, voilà le commandant en chef de l’Armée Jean Kahwagi qui revient dans la course.
Dans l’orbite du patriarche gravitent deux autres candidats: Joseph Torbey, ancien président de la Ligue maronite, qui bénéficie de sa proximité avec le cardinal, et l’ancien ministre Roger Dib, tout aussi proche du prédécesseur du patriarche Raï, le cardinal Nasrallah Sfeir. Des candidats qui pourraient émerger en dernier recours.
La séquence présidentielle pose en filigrane le projet ambitieux du patriarche pour les chrétiens du Liban. Avec le siège chrétien de Baabda, il boucle la ceinture de protection de la communauté en apposant sa patte sur l’ensemble des pans de la société chrétienne. Au bas de l’échelle, une population éprouvée sur le plan économique et social. Tous les dimanches, elle se réunit autour de prêtres et d’évêques qui transmettent au siège patriarcal les messages d’alerte. La situation dans les écoles et les hôpitaux que l’Eglise contrôle confirme ce sentiment. Sous la férule de ce patriarche, elle entend les cris d’impuissance, le dégoût d’une jeunesse qui s’affirme et le ras-le-bol des citoyens contre le clientélisme et la corruption. Béchara Raï attend d’abord du prochain président qu’il entende la colère du peuple et qu’il agisse pour l’atténuer.
A la fibre sociale s’ajoute le prisme des chrétiens d’Orient, à la peine en Syrie, en Irak ou en Egypte. Plus aucun des leaders chrétiens ne peut en faire l’économie. Devant les alliances et les coalitions, il y a le ressenti chrétien qui a gagné l’opinion au rythme de la guerre en Syrie. Sur la question de la loi électorale auparavant et celle de la présidentielle aujourd’hui, le patriarche s’efforce de mettre les leaders de la communauté sur le gril, il y a une voie chrétienne. Aux yeux du patriarche, le futur président de la République aura pour mission de la porter.
La preuve par l’exemple. Par son charisme et son action, Béchara Raï a tracé la voie d’un maronitisme alternatif qui se départit des alliances partisanes. Embrasser le destin de la communauté dont il est issu et réformer le pays sur ces bases pour l’accompagner, voilà ce qu’il demande au prochain président. On croirait entendre un candidat.

Julien Abi Ramia

Au Vatican, Raï prend du galon
Mardi, le cardinal Béchara Raï a été nommé membre du Conseil pontifical pour la culture, rapporte un communiqué officiel du siège patriarcal. La mission de ce conseil présidé par le cardinal Gianfranco Ravasi? La promotion du dialogue des cultures et des civilisations essentiellement. Les vaticanistes estiment qu’il s’agit d’une récompense pour les relations qu’il a su tisser avec l’ensemble des Eglises chrétiennes orientales et son environnement musulman. Déjà membre de la Congrégation des Eglises orientales, du Conseil pontifical pour l’éducation, du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et du tribunal de la Signature apostolique, Raï s’installe encore un peu plus dans les rouages du Saint-Siège.

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