Au loin, le pôle Nord. Au sud, l’immensité de l’océan Atlantique. Face aux tempêtes, à 25 km de Terre-Neuve (province canadienne anglophone), 6 000 Français luttent contre la brume et l’isolement pour maintenir leurs traditions et leur identité.
«C’est fou. Dès qu’on descend de l’avion, on sait qu’on est en territoire français. Les douaniers, les policiers sont habillés comme en France et le parlé est typiquement français». Ce Franco-Canadien y va pour retrouver ses compatriotes, échapper au «nickel» nord-américain, voir flotter son drapeau tricolore, manger dans un des restaurants gastronomiques et payer en euro.
Pourtant, l’hiver est long et rigoureux. Sur les côtes escarpées, la brume peut se lever et couvrir le territoire pendant plus de trois jours. La visibilité devient nulle et plus un avion n’atterrit alors. Même l’été, le maximum qu’on peut espérer est un 17 degrés et une eau toujours agitée par les vents, de quoi rendre la baignade impossible. Initialement pêcheurs de baleine (depuis le XVIe siècle), ces Français vivent sur leur archipel hostile et solitaire de 245 km2, entre la mairie et le bureau de poste (à l’architecture française typique des années 40-50). Ils vont au port une fois par mois et attendent le bateau qui leur apporte fromages, saucisses et viennoiseries de chez eux. Et bien sûr le vin (voir encadré).
Certains habitants ont essayé de retrouver la mère patrie, mais ont vite déchanté. Par ce bizarre phénomène qui les rattache à leur pays, quel qu’il soit, ils reviennent vivre dans l’ancienne Nouvelle-France (que les Français ont ravie définitivement aux Anglais en 1815), mais où il y a très peu de pêche depuis sa régularisation. Ils tiennent de petits commerces et espèrent y accueillir des touristes: quelques curieux de l’exception française en eau d’Amérique, Américains qui y trouvent un raccourci made in France et certains Acadiens nostalgiques de leurs origines bretonnes, basques ou normandes. Et c’est tout.
En bons rapports avec leurs voisins, quatre provinces anglophones, ils leur achètent des matériaux de construction, des voitures… Mais ne se sont pas assimilés pourtant à la culture nord-américaine. Ils vivent entre eux et se connaissent tous. «L’artère principale n’est même pas assez longue pour y aller à fond en voiture». Pas de bus, une sorte de taxi en guise de dépannage et, de toute façon, tout se fait à pied. Dans leurs maisons fortement colorées (pour compenser la grisaille probablement), pas de vie communautaire pourtant, à l’africaine ou au kibboutz. Ils demeurent individualistes, sujets aux dépressions, suicides et forts taux d’alcoolisme.
Mais ici pas de clochards. Pris en charge par le gouvernement français, les Saint-Pierrais et Miquelonnais sont soignés aux frais de la métropole dans un nouvel hôpital ou évacués dans les provinces voisines. «Ils coûtent un œil à la France. Une hérésie. Tant d’argent gaspillé pour si peu de personnes! Ils ont construit une nouvelle piste à l’aéroport, alors qu’il n’y a presque pas d’avions! Et avec ça, il n’y a pas de vol direct pour Paris. Il faut passer par Montréal».
Des arguments qui ne sont pas ceux du gouvernement de l’Hexagone qui tient pourtant à cet archipel qu’avait choisi Chateaubriand en 1791 pour écrire ses Mémoires d’outre-tombe. C’est que dans ses eaux territoriales, outre les droits de pêche, la France a le vif espoir d’y trouver du pétrole et du gaz (voir encadré). De quoi tout expliquer.
Gisèle Kayata Eid, Montréal
Contrebande surveillée?
Saint-Pierre et Miquelon a joué un grand rôle au temps de la prohibition qui ne s’appliquait pas à son territoire. C’était une base stratégique clandestine pour les réseaux illégaux de distribution et de transport de l’alcool vers les Etats-Unis, à la suite du Volstead Act en 1920. De 1919 à 1933, l’archipel a vu s’installer une contrebande extraordinaire qui profita aux consommateurs, aux distilleries canadiennes, aux gangsters du crime organisé et, bien sûr, aux commerçants et marins de Saint-Pierre. Le tout sous l’œil complaisant des autorités gouvernementales.
Canada vs France
Depuis plus de vingt ans, le Canada et la France s’opposent à propos de la souveraineté des eaux au sud des îles Saint-Pierre et Miquelon. Il semble que le dossier soit réactivé avec la nomination par le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, d’Annick Girardin, secrétaire d’Etat à la Francophonie et au Développement. La députée de l’archipel avait auparavant fait voter à l’unanimité la résolution affirmant les droits de la France sur le plateau continental autour de cette collectivité d’outre-mer. Mme Girardin a aussi parrainé la production, l’an passé, d’un documentaire réalisé par Eric Moreau relatant ce conflit politico-économique en Atlantique Nord.
Dernièrement, 18 avril 2014, la France a déposé une demande pour «faire valoir ses droits» et a relancé la question de la French Baguette, surnom donné par les Canadiens à la Zone économique exclusive (Z.E.E.) attribuée au petit archipel français par le Tribunal arbitral de New York en 1992.