Que des reporters arpentent les couloirs du Parlement, à l’affût d’une information pour alimenter un article ou garnir un compte rendu, est normal. Mais que des députés s’agglutinent autour de quelques journalistes «branchés» pour les interroger sur «les dernières nouvelles», relève de l’insolite. La scène est d’autant plus inquiétante qu’elle intervient à quelques minutes seulement de la séance, au cours de laquelle les parlementaires sont censés élire, en leur âme et conscience, le prochain président de la République.
Les rôles étaient bizarrement inversés au Parlement mercredi. Deux bonnes douzaines de députés couraient derrière certains hommes et femmes de la presse, pour tenter d’en savoir plus sur telle rencontre à Paris, ou telle autre visite à Riyad. D’autres jouaient à la devinette, en brossant le profil du candidat consensuel idéal, osant même avancer quelques noms, le tout, évidemment, «off the record».
Faut-il rire ou s’attrister de ces fébriles gesticulations et de ces lamentables élucubrations intellectuelles? Les deux, sans doute.
Ces scènes sonnent le glas de l’élection présidentielle «libanisée», quand bien même une telle éventualité a réellement existé, sauf dans les esprits de quelques grands naïfs ou petits manœuvriers.
L’élection d’un président «fabriqué au Liban» n’était donc qu’une lubie, ou, tout au plus, une chance inespérée, qui s’est offerte aux élus du peuple à un moment précis, mais qu’ils n’ont pas su – ou voulu – saisir, tout comme les autres occasions historiques qu’ils ont ratées ces dernières années.
Les députés libanais avaient la chance de prouver que le Parlement est bel et bien une institution souveraine, libre de ses choix, libérée de toute influence extérieure. Ils ont préféré agir comme des membres désignés, et non pas élus, d’une chambre d’enregistrement, appelée à ratifier des décisions prises ailleurs. Ils attendent, désormais, un signal, une consigne ou un ordre, venus d’outre-mer, pour glisser dans l’urne un nom qu’on leur aura dicté.
L’élection du prochain président dépendra donc d’un accord bilatéral entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ou d’un arrangement triangulaire, avec les Etats-Unis en arbitre – ou en chef d’orchestre -, avec une flopée d’intermédiaires, qui revendiqueront leurs commissions dans la transaction.
La présidentielle 2014 ne déroge pas à la règle, confirmée par toutes les échéances qui se sont succédé au Liban depuis 2005, après la fin de la tutelle syrienne: les Libanais sont incapables de se gouverner eux-mêmes. Ils ont toujours besoin de l’aide «d’un ami» étranger, pour les sortir du goulot de la bouteille dans laquelle ils ont la fâcheuse manie de s’enfermer. Les législatives de 2005 étaient le fruit d’un accord irano-saoudien, négocié, à l’époque, par l’ambassadeur de Téhéran à Paris et les responsables saoudiens, avec la bénédiction des Etats-Unis et de la France. La présidentielle de 2008 est le résultat de l’accord de Doha. Les élections parlementaires de 2009 étaient un partage du gâteau, encore une fois entre l’Iran et l’Arabie saoudite. La formation du gouvernement de Tammam Salam, après onze mois d’attente, n’aurait pas pu avoir lieu sans les pressions exercées par les différentes puissances régionales et internationales sur leurs alliés respectifs au Liban. Ces mêmes pressions ont permis de surmonter, comme par enchantement, tous les obstacles relatifs à la rédaction de la déclaration ministérielle.
Ce n’est pas que les Libanais n’ont pas la volonté de prendre en main leur propre destinée, mais c’est que leur système politique ne le leur permet pas. Il a été conçu de manière à privilégier les interférences extérieures dans les affaires internes. Chaque communauté a ses appuis et ses soutiens au-delà des frontières, au détriment de la souveraineté de l’Etat sur la démographie et la géographie nationales.
Le sort de la présidentielle 2014 sera semblable à celui des échéances de ces dernières années. A défaut d’accord bilatéral ou d’arrangement triangulaire, s’installera la quadrature du cercle… qui favorisera le vide.
En ces temps de canonisation, il ne nous reste plus qu’à espérer un miracle.
Paul Khalifeh