Dans un pays, berceau de la première faculté de droit de la région, fondée en 1875, les lois élaborées par le gouvernement et votées par des parlementaires à majorité juristes, continuent d’être contestées par d’éminents professeurs de droit et par des constitutionnalistes chevronnés auxquels les dirigeants n’accordent aucun crédit. Est-ce par indifférence ou par souci de protéger des intérêts individuels inavouables? Où en est le Liban, pays message, dont l’Histoire même est sujet à contestation et dont il n’a jamais été possible d’écrire la moindre page sans susciter une crise d’identité? Ce pays où, qu’il s’agisse d’économies, de taxations, d’impositions ou de tout autre secteur financier, économique ou juridique, les lois s’accumulent dans les tiroirs, Place de l’Etoile, faute d’entente ou de vote démocratique. Cela étant, les lois sont élaborées au hasard des humeurs de ces messieurs du Sérail ou de la Chambre. Le pouvoir, dit la logique, est une continuité. L’héritage du gouvernement Mikati permet-il l’application de ce principe par le gouvernement Salam, déjà handicapé par le spectre du vide institutionnel? Quant aux députés, vont-ils proroger, une fois de plus, et toujours sans aucune légalité, leur propre mandat sous prétexte de n’être pas en mesure d’organiser des élections? Preuve en est leur volonté de ne pas réformer la loi électorale désormais caduque. Tous les prétextes sont bons pour sauvegarder leurs sièges, malgré l’avis du Conseil constitutionnel dont l’action a été artificiellement paralysée. Mais même si l’échéance électorale était respectée, les électeurs potentiels jureraient ne plus se laisser prendre et ne pas répondre aveuglément présents dans les bureaux de vote le jour où ils seront appelés à décider de leurs représentants à travers les urnes. Qu’est-ce que cela changerait? Encore faut-il que ces derniers soient libres de leurs opinions et non hypothéqués par des politiques étrangères.
Faute d’obtenir ses droits les plus élémentaires par des circuits naturels et justes, l’électeur jettera son dévolu sur celui qui pourrait devenir son député, le transformant en courtier pour des services personnels. Des anecdotes, à goût amer, circulent, depuis plusieurs années, sur l’attitude bienveillante et les promesses du candidat et… l’arrogance du même, une fois élu. Les locataires de l’hémicycle reviendront sans doute, à quelques exceptions près, regagner leurs fauteuils. L’option qui reste aux Libanais en âge de remplir leur devoir de citoyen est le bulletin blanc ou l’abstention. Généraliser est, certes, injuste, même si les exceptions se font de plus en plus rares.
Au moment où, partout dans la région, les rébellions se multiplient pour appeler à la démocratie et à la liberté, d’ailleurs si souvent sans résultat, le Liban s’en écarte allègrement. La Constitution, aujourd’hui objet des débats conflictuels, est bafouée sans vergogne. La vacance du pouvoir semble inévitable pour deux raisons déclarées, plus absurdes l’une que l’autre: le conflit sur un quorum défini au gré des intérêts de chacun et une entorse évidente à la démocratie qu’une partie de la classe politique, armée de sa propre force, ignore totalement en annonçant haut et fort que son candidat sera élu ou personne. Nul ne paraît s’inquiéter des conséquences d’une telle attitude sur l’ensemble de la population dont la situation sociale et économique n’est pas enviable. Il devient fastidieux de rappeler les problèmes qui, depuis plusieurs années, s’aggravent sans arrêt, alors que les gens du pouvoir font la sourde oreille.
Enfin, la question cruciale qui se pose, et qui n’est pas d’hier, est celle de savoir où campe la faille de notre système: est-ce dans l’apathie et la corruption de nos administrations? Est-ce la conséquence de la crise aiguë que traversent la région et le Liban? Ou est-ce l’égocentrisme des plus nantis qui font fuir leurs capitaux laissant derrière eux un chômage de plus en plus lourd dans le pays? La réponse à cette question est facile. Ce ne sont pas les politiques qu’il faut changer mais les hommes. Cette conclusion est celle des politologues, des sociologues et des économistes. Reste à ceux qui ont le devoir d’empêcher le vide institutionnel, en espérant que cela soit encore de leur ressort, de réagir très vite afin d’éviter que les catastrophes accumulées ne s’effondrent sur le Liban. La liste de nos maux devient fastidieuse, mais la réalité nous l’impose. Nous pouvons encore rêver, l’espace de quelques jours, que le mauvais sort qui frappe le pays ne soit qu’éphémère et que la crise connaisse un début de solution. Encore faut-il que les prétendus leaders du pays renoncent à leurs accointances étrangères et récupèrent leur liberté d’action, leur indépendance et celle du pays.
Mouna Béchara