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Mouna Béchara

L’impardonnable léthargie

Les divisions communautaires ne sont pas le seul mal qui frappe la société libanaise. Elles sont, de plus en plus, doublées par les fractures sociales dont souffre le pays et le laxisme que rares, parmi les supposés leaders, sont ceux qui en ont conscience. Mais, dans l’impuissance d’y apporter une solution, ceux-là mêmes s’empressent d’en occulter la gravité. Depuis, un peu moins d’un an, les Libanais vivent une sorte de roman noir à plusieurs chapitres dont le prologue est connu de tous, mais dont nul, à l’heure où nous mettons sous presse, n’en connaît l’épilogue. Sauf  évidemment ceux qui, dans les salons politiques à l’étranger, mijotent une cuisine à saveurs multiples. Certains parmi ces personnages ont annoncé clairement leurs objectifs, sinon leurs programmes économiques et politiques  qui, pour eux, semblent secondaires. Ils ne cachent pas leur ambition de franchir le chemin les menant au sommet de l’Etat. D’autres, en revanche, annoncent sans vergogne leur priorité: protéger la Résistance et ses armes. Sans oublier ceux qui envisagent la possibilité de réviser la Constitution à leur profit ou même d’en élaborer une nouvelle qui déstabiliserait une fois pour toutes l’équilibre si fragile de la structure sociale.
Ce n’est pas à notre imagination et à nos peurs que nous donnons libre cours et nous ne lançons pas à tort des accusations. Les exigences des élus du peuple, leurs mises en garde et les conditions posées, d’ores et déjà, au futur locataire de Baabda en préalable à son élection, ne laissent aucun doute sur leurs intentions. Autre chapitre de ce roman noir, celui de l’incapacité d’élire un président de la République «libanais pur jus». La Syrie voisine, occupée par ses propres affaires internes et sur le point d’élire, sans problème et sans surprise, son chef d’Etat n’est pas, cette fois, au centre des «négociations présidentielles libanaises». Celles-ci se trament donc plus loin. C’est entre Riyad et Paris que les candidats en lice et les responsables font actuellement la navette pour sauver, si possible, l’échéance présidentielle, ignorant les appels du patriarche maronite qui s’évertue, en vain, à  réclamer une option purement libanaise. Cette option nationale est tellement étrangère au Pays du Cèdre, que l’élection du président Sleiman Frangié, en 1970, à la majorité d’une voix, continue d’être citée en exemple par les inconditionnels d’une indépendance, sinon perdue, du moins dépréciée.
Autre question qui, à chaque échéance constitutionnelle, revient sur le tapis est celle qui porte sur la définition d’une démocratie consensuelle dont certains se font les chantres mais qui, pour d’autres, n’est qu’une hérésie. Les expériences menées sous cette étiquette ont fait leurs preuves. La paralysie du pouvoir n’en est qu’une face, mais elle est flagrante. L’Assemblée nationale ne semble pas plus active ni plus efficace.
Elle avait, à maintes reprises, fermé ses portes, «insécurité oblige». Mais les parlementaires, défiant la précarité de la situation, n’avaient pas manqué, il y a quelque temps, de retrouver courageusement le chemin de la Place de l’Etoile, pour voter d’une seule voix une augmentation de leurs émoluments, toujours aux frais du contribuable. Ils sont revenus, récemment en force, adopter la prolongation de leurs mandats.
Quant à l’éventuelle prorogation de celui du chef de l’Etat, dont avaient tant rêvé des prédécesseurs du président Michel Sleiman, ce dernier affirme la refuser au nom du respect de la Constitution supposée incontournable. Cette quasi-impossibilité de lui trouver un successeur, élu par les représentants de ses propres concitoyens, renvoie encore une fois aux calendes grecques toute autre question vitale. Le Libanais lambda, que nous écoutons partout, ne mise plus que sur un miracle pour retrouver une normalité qui améliorerait son quotidien. Celui que nous apporteront, peut-être, les reliques de saint Jean-Paul II, le pape qui avait qualifié le Liban de «pays message», message perdu au fil des ans par des ambitions individuelles impardonnables en politique, dont le sens propre du mot est d’assurer le bien-être du citoyen. Nous en sommes bien loin.

Mouna Béchara

 

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