Généreux, humble, simple, sur scène et en entretien, Julien Doré a su captiver et émerveiller son public libanais. Au-delà de ses mots, de sa musique, de son charisme, au-delà de nos applaudissements et de nos cris, le 26 mai au Music Hall Waterfront est un grand moment de partage volé à ce monde.
Løve, votre dernier album, pourquoi ce titre?
En écrivant des chansons d’amour au sujet des beaux souvenirs qu’on peut avoir après une séparation, je tombe sur ce mot love avec une barre sur le o, comme si on avait déjà commencé à rayer le mot. J’ai trouvé que c’était très fort, très beau, que ça sonnait plus comme une image que comme un mot. Quand j’ai vu la signification du mot, qui veut dire lion en danois, j’ai pensé à un parallèle avec la manière dont j’ai écrit ces chansons, très animale, très instinctive, pas forcément réfléchie. Voilà le miroir entre le mot amour et l’animal.
Il s’agit de chansons d’amour tristes, et pourtant la musique est plutôt groovy, dansante?
Les textes sont effectivement assez mélancoliques. Il s’agit de rupture, de séparation. Et en même temps, je ne voulais pas que la musique appuie cette mélancolie-là, que ce soit trop redondant. Je voulais, au contraire, qu’on puisse s’élever, qu’on ait envie de danser sur certaines musiques et d’entendre en même temps des mots sur lesquels ordinairement on ne danse pas. Sur ce disque, il y avait vraiment cette envie-là, la possibilité de danser sur des histoires qui ne sont pas forcément joyeuses. C’est pour résumer une idée assez simple en fait; les jolies choses qu’on va avoir dans la vie, même si à un moment on les perd, eh bien elles ont été là, ont fait partie de vous, et sont toujours en vous. Et il vaut mieux sourire aux choses qui ont existé en soi plutôt que de les pleurer toute sa vie parce qu’elles ne sont plus là. C’est pour cette raison que j’avais besoin que la musique de mon album soit le reflet d’une envie de sourire à ces jolies choses même si certaines ne sont plus là.
Une grande évolution depuis votre 1er album, Ersatz?
L’évolution est celle de n’importe quel être humain; le temps qui s’est écoulé depuis, les années de concerts, de tournées qui m’ont fait grandir, des années de vie qui m’ont sans doute changé, qui ont apaisé certaines choses. Moi, je ne venais pas de la musique, je venais de rien, du sud de la France, j’ai travaillé dans des chantiers, j’ai fait les beaux-arts, j’avais tout un cheminement de vie assez particulier. La musique est venue à moi et j’ai participé à une émission de télé, La Nouvelle Star, qui a changé ma vie du jour au lendemain. En même temps, c’était bizarre, parce qu’à partir du moment où j’ai eu cette chance-là, il fallait me mettre au travail, montrer mes chansons à moi plutôt que celles des autres. Il a fallu un peu de temps pour que les choses s’apaisent, se mettent en place, et que je sache moi-même où j’en étais. Aujourd’hui, je ne me pose plus trop la question de la légitimité dans mon travail, mais juste de faire des chansons, de les proposer au public, aux gens qui m’aiment, qui me découvrent. Je suis surtout animé de cette idée, très importante, que les artistes ont une part de responsabilité dans le monde dans lequel on vit et que le fait de proposer du rêve, des images, des sons, peut nous lever et aider le monde dans lequel on vit. Je suis convaincu que le fait d’écrire une chanson a un pouvoir. Ce sont des milliers de petits éléments, mais tout cela m’aide à me sentir à ma place, à comprendre que la musique se partage, avec les amis, mes collaborateurs qui m’accompagnent depuis le début, avec le public qui est là chaque soir, qui a écouté le disque, et qui me le rend en venant au concert et en partageant un moment suspendu, ensemble, pendant quelque temps, qui est celui d’un concert live où tout peut se passer, parce que rien n’est figé. Un spectacle vivant, c’est ce qu’il y a de plus beau; c’est en même temps suspendu et tout est dans l’instant. Cette fragilité est magique.
En tant qu’artiste, vous arrive-t-il de vouloir renier des éléments de votre passé?
Je suis convaincu qu’il ne faut jamais renier une vie, qu’elle soit artistique ou pas. Ce qui devient dangereux pour un être humain, c’est le moment où il commence à découper sa vie, à se dire qu’il est finalement né à tel moment et que tout ce qui a été avant n’est qu’une bêtise. Même s’il y a des choix ratés, des choix réussis, un parcours est un parcours, on ne peut pas le morceler. Mon album, mes chansons, ne seraient pas ce qu’ils sont, s’il n’y avait pas eu tout ce qu’il y a eu avant, même inconsciemment. Renier ne fait pas partie des choses qui me plaisent ni en tant qu’artiste, ni en tant qu’homme. Il est important d’accepter, de voir, d’envisager son parcours comme un tout, car tout est lié. Après, ma petite carrière est courte; trois albums, La Nouvelle Star il y a sept ans. Parfois, on me parle de l’émission, ça ne me pose pas de problème, car j’étais très heureux et ça a, sans doute, déclenché des choses qui se seraient passées autrement. Je ne renie rien, mais parfois je me dis que j’aurais peut-être agi différemment, dans certaines situations au tout début où j’étais paniqué de ce qui m’arrivait. Mais, non, je n’ai pas de regrets, au contraire.
Propos recueillis par Nayla Rached