Magazine Le Mensuel

Nº 2965 du vendredi 5 septembre 2014

Semaine politique

Le macabre bazar des otages. Ersal: les pressions des politiciens ligotent l’armée

De nombreuses zones d’ombre entourent les affrontements de Ersal, qui provoquent des remous avec, en toile de fond, l’enlèvement des membres de l’armée et de la Sécurité libanaise par des mouvements radicaux syriens. Des sources sécuritaires et locales lèvent le voile.
 

Alors que cinq membres des forces de sécurité − enlevés lors des batailles qui se sont déroulées entre l’armée et les rebelles début août − retournaient chez eux après plusieurs semaines de détention par le Front al-Nosra, la vérité sur cette bataille et sur les kidnappings commence à apparaître.
«Les incidents de Ersal auraient certainement eu un aboutissement plus favorable sans la politisation du dossier et notamment pour ce qui est des enlèvements des militaires et des membres des Forces de sécurité intérieure (FSI)», affirme un officier de l’Armée libanaise ayant participé aux combats. Le 2 août, des hommes armés appartenant au Front al-Nosra et à l’Etat islamique (EI) avaient attaqué des postes de l’Armée libanaise, après l’arrestation de Imad Jomaa, commandant de la brigade Fajr al-islam, allié à l’EI. Ces affrontements ont fait 19 morts dans les rangs des soldats et ont été suivis de l’enlèvement d’environ 35 soldats et policiers.
L’officier assure qu’un détachement de l’armée avait encerclé l’emplacement où les soldats et les policiers étaient détenus à Ersal. «Nous avons toutefois reçu l’ordre de nous retirer. Cette décision était politique», ajoute le militaire. Un petit nombre d’habitants de Ersal combattait auprès des rebelles appartenant aux deux mouvances radicales. Il semble donc que certains milieux politiques aient hésité à porter la responsabilité d’un trop grand nombre de morts dans les rangs des combattants libanais.

 

La 8e brigade mal préparée  
Cette thèse, confirmée par une source locale, est réfutée par un membre des services de renseignements libanais.
Les deux sources militaires sont toutefois d’accord sur le fait que les forces armées étaient au courant de la détérioration de la situation à Ersal, localité dominée par des militants syriens. «Nous avions les mains liées, nous ne pouvions pas agir en lançant une offensive qui nous aurait avantagés; nous devions attendre que la situation suive son cours en nous contentant de répondre en cas d’attaque, ce qui a fini par arriver», assure la source militaire.
Selon les deux sources, la huitième brigade de l’armée, déployée dans la région, était mal préparée et sous équipée. De nombreux soldats se seraient également enfuis lorsque la bataille a débuté, selon l’officier. Les unités d’élite seraient alors intervenues et auraient organisé une redistribution des détachements avant de lancer la contre-offensive. «L’armée a dû mettre fin aux opérations sans reprendre le contrôle des sommets, qui aurait nécessité une longue et coûteuse bataille et des armes dont elle ne dispose pas», assure la source des services de renseignements.
La crise de Ersal a également mis au jour des fissures au sein de la grande muette. En effet, un soldat aurait fait défection pour rejoindre les rangs des rebelles. «De nombreux soldats de la huitième brigade sont originaires du Akkar, ce qui expliquerait qu’ils n’aient pas voulu se battre», assure la source locale.
La décapitation du soldat Ali Sayyed, fils du maire de Fneidek, selon le cheikh salafiste Adnan Oumama, membre du comité chargé de négocier la libération des membres des forces sécuritaires, ne fait qu’envenimer l’affaire. L’armée craindrait la mise à mort d’autres soldats, notamment ceux originaires de la Békaa, ces décapitations visant à attiser le sentiment communautaire déjà à son paroxysme dans la Békaa, zone de forte mixité et dans le reste du pays.
Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, la victime, identifiée par les sympathisants de l’EI comme le soldat Sayyed, apparaît entouré de trois hommes armés, aux visages cachés par des cagoules, qui, avant son exécution, accusent l’Armée libanaise d’être «sous les ordres» du Hezbollah. «Première décapitation d’un soldat libanais par les lions de l’EI», ont commenté des partisans du groupe sur Twitter. Le corps de Sayyed a été remis à la Croix-Rouge à la périphérie de la ville frontalière de la Békaa, Ersal, puis transféré à l’hôpital militaire de Beyrouth.
L’apathie politique et le manque de discernement face à la crise de Ersal, ajoutés à la dégradation de la situation sécuritaire au Liban, pourraient faciliter une répétition des incidents, estiment les diverses sources. «L’armée est préparée à toutes les batailles. Elle a mis en place des plans de gestion de crise qui ne sont jamais exécutés, car ils sont généralement bloqués par les politiques. Nous nous contentons de réagir au lieu d’agir et de traiter les problèmes sécuritaires à leur source avant qu’ils ne prennent des proportions effarantes comme cela a été le cas à Ersal», explique l’officier.
Cette situation désastreuse pourrait être compliquée par les agissements des factions locales. Selon le journal koweïtien al-Raï, le Hezbollah aurait enlevé trois membres de haut rang du Front al-Nosra dans la région du Qalamoun en Syrie. Le parti pourrait chercher à échanger les trois jihadistes contre les militaires otages, enlevés par des islamistes à Ersal.
Selon le cheikh Oumama, «toutes les communautés libanaises seraient concernées par l’affaire des détenus, l’EI ayant montré qu’il n’hésiterait pas à décapiter n’importe quelle personne s’opposant à lui».
 

Mona Alami

Echange de prisonniers
Le gouvernement semble disposé à échanger des détenus de Roumié qui n’ont toujours pas été condamnés contre des membres des forces sécuritaires enlevés par les  jihadistes, selon des sources bien informées. Cette information a été également relayée par la chaîne LBCI qui aurait précisé qu’il était hors de question de libérer les détenus islamistes impliqués dans les batailles de Nahr al-Bared, dans les affaires d’attentats ou liés à Fateh al-islam. Il serait ainsi possible de négocier la libération de ceux qui auraient été appréhendés au cours de la bataille de Ersal ou les détenus qui n’ont pas été condamnés à ce jour. Selon la LBCI, les militants d’al-Nosra ont listé en tête de leurs revendications la libération du chef jihadiste Imad Jomaa. Al-Nosra exige également la libération de Joumana Hmayyed, accusée du transfert de véhicules chargés d’explosifs à partir des montagnes de Ersal en direction de la Békaa.

Libération de cinq militaires
Les soldats Ahmad Ghiyé (de Tekrit-Akkar), Ibrahim Chaabane (de Mechhé-Akkar), Saleh el-Baradei (originaire de Baalbeck), Mohammad el-Kadri (Békaa-Ouest) et Waël Darwiche (Chehim) ont été accueillis en grande pompe dans leurs villages après leur libération par le Front al-Nosra. La famille du soldat Yehia Khodr, porté disparu lors des derniers combats de Ersal, a tenu une conférence de presse dans le village de Azki à Nabatiyé, exhortant le commandement de l’armée à redoubler d’efforts pour obtenir leur retour. Les familles des autres otages de l’armée et des Forces de sécurité intérieure (FSI), toujours captifs, ont bloqué l’autoroute de Abdé, au Akkar au Liban-Nord, réclamant la libération de leurs proches, rapporte l’Agence nationale d’information. Des habitants du Akkar et des villages de la Békaa-Est ont coupé la semaine passée de nombreuses routes en demandant aux autorités de traiter en priorité l’affaire des détenus de l’armée et de la police. Lors de ces manifestations, des appels au rejet de la politisation de l’affaire des militaires pris en otage ont été lancés.

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