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Nº 2977 du vendredi 28 novembre 2014

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[Copy of] Salah Stétié. L’extravagance d’une riche mémoire

Du haut de ses 86 ans, l’homme de lettres, séducteur de la première heure, n’a perdu ni son charme ni sa verve. Au Salon du livre francophone de Beyrouth, il est venu présenter son dernier ouvrage, ses mémoires, baptisées Extravagance. L’histoire d’un poète, diplomate, amoureux des mots et de la peinture qui livre la traversée d’une vie et d’un siècle.

«La mémoire est une illusion. Plus que ne l’est la vie? Peut-être bien», écrit Salah Stétié. Assis devant le stand de la librairie Antoine au Salon du livre francophone, le poète se prête à un entretien improvisé pendant la signature de ses mémoires. Des mémoires dont il n’est pas l’initiateur. «C’est Jean-Luc Barré, éditeur chez Robert Laffont, qui m’a proposé de les écrire. Il aimait, paraît-il, ma façon de saisir le sens caché des événements et trouvait que je traitais avec beaucoup de subtilité le portrait des hommes», explique le poète. Il s’agissait de m’engager pour une sorte d’esclavage d’écrivain. On a peur de ce que l’on va trouver au fond de soi, poursuit-il. Les souvenirs sont remontés à la surface un peu comme si avec une énorme fourchette, j’avais gratté le fond de ma mer intérieure. Ce que je ramenais était souvent lié à des choses négatives dans mon expérience du monde. Et pour tout vous dire, cela n’a pas été une partie de plaisir, mais je me suis accroché». L’exercice lui aura pris quatre ans, quatre ans pour retracer ses vies multiples, à la fois journaliste, créateur, diplomate et écrivain, comme il se définit lui-même. «Il s’agit d’un livre d’histoire, d’une reconstruction plus ou moins logique, plus ou moins abstraite, souvent illogique d’un moment vécu qui est important car complexe, décrit Salah Stétié. L’écrivain des profondeurs n’est pas un logicien, mais un psychanalyste, reprend-il. Je devenais historien de ma mémoire, dans une sorte de dialogue avec moi-même». Un retour sur toute une vie sans forcément la comprendre pour autant. «La vie est incompréhensible à 99%, souligne-t-il au cours d’une rencontre avec des étudiants organisée dans le cadre du salon. Le vent passe et il emporte le 1% de sens. L’incompréhension c’est aussi l’extravagance. Et ce n’est pas là de la philosophie, c’est de la poésie», affirme-t-il l’index levé.

Bercé par les mots
Ses mémoires débutent, comme elles se doivent, par un retour à l’enfance aux côtés d’un père qui écrivait de la poésie classique arabe. «J’ai passé mes premières années, bercé par des cadences verbales incompréhensibles, mais étrangement séduisantes pour le petit garçon que j’étais et qui s’était mis en tête, en alignant des mots sans suite, souvent inventés, de faire son poème à lui. Voilà comment prennent naissance les vocations», écrit-il. Alors que son père, Mahmoud Stétié, avait appris le turc et l’arabe pour faire carrière en tant que fonctionnaire de l’Empire ottoman, il voit ses projets anéantis lors de l’instauration du mandat français et va pousser son fils à maîtriser la langue du nouvel occupant, celle de Molière. C’est ainsi qu’en lisant Alexandre Dumas, Stendhal, Balzac, Nerval ou encore Théophile Gautier et tant d’autres, le jeune Salah va s’amouracher de la littérature française pour ne jamais la tromper. «Ah, chers, très chers amis de mon enfance, je vous dois tout, le rêve et le réel, les émotions et les indignations, les larmes et les joies, les ravissements et les anxiétés, la fascination des paysages et les questionnements devant la mort. La poésie quoi: l’amour des mots, le sentiment de leur pouvoir», écrit-il encore. Le lecteur vagabonde de souvenirs en anecdotes, de l’entrée des forces victorieuses au Liban en 1942 et la découverte du chewing-gum, aux étés de l’écrivain passés à Barouk jusqu’à son obsession d’enfant de découvrir le sexe féminin. «Cette enfance a été un rêve, mais le Liban ne pouvait suffire à alimenter mon ambition d’aller plus loin dans l’aventure humaine du XXe siècle, précise-t-il. De mes voyages, j’ai eu la possibilité de créer des liens avec tous les grands artistes, les grands peintres du siècle passé et de collaborer avec eux».
L’homme de lettres fut également conseiller culturel, ambassadeur du Liban ou encore secrétaire général du ministère des Affaires étrangères pendant les dernières années de la guerre, de quoi alimenter des mémoires denses et riches. «Ce livre se lit comme une traversée de la vie, lance-t-il. Méditez-le, discutez-le. Je l’ai écrit pour moi, pour diminuer ce fardeau que j’ai sur le cœur, mais je l’ai écrit également pour vous le faire partager et pour qu’il ôte un peu de votre propre fardeau. Ce livre restera comme un témoignage fait après la guerre du Liban», ajoute-t-il. «Mais reste-t-il quelque chose du Liban?», demande une femme venue faire signer son exemplaire. «Oui, il faut être patient, lui murmure-t-il à l’oreille. C’est un processus long; le Liban en vaut la peine».

 

Delphine Darmency

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