La nouvelle ressemble à un cadeau de Noël, même si beaucoup ne croient pas encore à son sérieux. Pourtant, le Courant du futur et le Hezbollah se préparent consciencieusement à entamer le fameux dialogue tant attendu, prévu en dans la dernière quinzaine de décembre.
A peine le chef du cabinet de Saad Hariri, son cousin Nader, est-il rentré au Liban au début de la semaine, que ses rencontres se sont intensifiées avec le ministre des Finances Ali Hassan Khalil, également conseiller du président de la Chambre Nabih Berry. Une première réunion de plusieurs heures a eu lieu lundi, une autre mardi, suivies d’autres encore, dans le but de préparer le terrain au dialogue entre le Courant du futur et le Hezbollah, sous la houlette de Berry sous la voûte accueillante du Parlement ou même à Aïn el-Tiné. Ali Hassan Khalil a, en principe, un mandat de la part du Hezbollah pour fixer avec son interlocuteur l’ordre du jour des réunions à venir, en concertation permanente avec Berry informé des moindres détails des discussions.
La démarche n’est pas facile, sachant que les sujets conflictuels sont nombreux entre les deux parties. Ali Hassan Khalil voudrait fixer une échelle des priorités en commençant par les sujets les plus faciles pour ne pas prendre le risque de faire capoter le dialogue.
A chacun ses objectifs
En réalité, même si tous sont convaincus de la nécessité d’entamer ce dialogue, chacun des deux camps a ses propres attentes et ses objectifs. En ce moment précis, il y a eu donc une convergence d’intérêts qui a poussé les deux partis à s’asseoir ensemble et à parler. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient prêts à aboutir à un accord global.
Un rapide retour en arrière s’impose. Conscient de la gravité de la situation et surtout des menaces qui pèsent sur la communauté druze, prise en étau entre Israël, la Syrie et le Liban (la région de la Békaa-Ouest et Sud), Walid Joumblatt décide de tenter un rapprochement entre le Courant du futur et le Hezbollah. Pour lui, un tel rapprochement est le seul moyen de protéger sa communauté, qui risque de payer le prix d’un affrontement généralisé entre les sunnites et les chiites. Il en a donc touché un mot au secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, au cours de leur dernier entretien, ainsi qu’à ses amis du 14 mars. Mais c’est surtout avec Nabih Berry qu’il est le plus à l’aise et qu’il peut s’étendre sur le sujet. Le président de la Chambre a aussitôt saisi l’idée pour la développer, d’abord parce que le rôle qu’il aime le plus est celui de médiateur et, ensuite, parce qu’il est conscient que face à l’impasse actuelle et après la prorogation impopulaire du mandat de la Chambre, il fallait à tout prix donner un peu d’espoir aux citoyens.
C’est dans ce contexte que Berry reçoit dans son bureau, l’ancien Premier ministre et chef du bloc parlementaire du Futur Fouad Siniora, accompagné de Nader Hariri. Il évoque la possibilité d’un dialogue avec le Hezbollah et alors que Nader Hariri se montre positif, Siniora émet des réserves. Selon ce dernier, il ne sert à rien de dialoguer pour le principe. Il faut aboutir à des résultats concrets, notamment dans le dossier présidentiel. Et, avec franchise, Siniora déclare à Berry: «Nous devons cesser de jouer avec ce dossier. En ce qui nous concerne, nous avons trois candidats que nous considérons consensuels. Choisissez l’un d’eux et allons au Parlement pour l’élire à la présidence. Les trois candidats sont: l’ancien ministre Jean Obeid, le commandant en chef de l’armée Jean Kahwagi et le gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé». Berry est quelque peu estomaqué, car il sait bien que ce n’est pas ainsi que le dossier présidentiel peut être réglé. Mais il considère que les propos de Siniora indiquent malgré tout une volonté chez le Courant du futur de dialoguer. Il fait part donc de son impression au Hezbollah et dans son discours du 3 novembre, sayyed Hassan Nasrallah tend la main au Courant du futur, après avoir salué sa position dans la bataille de Tripoli.
«Ni Aoun, ni Geagea»
De son côté, Saad Hariri ne tarde pas à réagir et, dans un entretien télévisé, il répond à la main tendue par une volonté claire de dialoguer, tout en prenant soin de préciser que la discussion ne portera ni sur les armes du Hezbollah ni sur la participation de ce dernier aux combats en Syrie. Même si l’ancien Premier ministre critique violemment la participation du Hezbollah aux combats en Syrie, la qualifiant de démarche «folle», il fait une concession au 8 mars en évitant ces deux sujets conflictuels. En revanche, il reste dans le ton de Siniora, en misant sur une percée dans le dossier présidentiel et il lance au camp adverse la formule suivante: ni Aoun, ni Geagea, essayons de nous entendre sur un candidat consensuel.
Ne voulant pas fermer d’emblée ce sujet, le Hezbollah laisse ouverte la possibilité de dialoguer sur ce dossier. Mais sayyed Nasrallah a quand même donné le ton, puisque dans ses derniers discours, il affirme clairement, pour la première fois, que son parti appuie la candidature de Michel Aoun à la présidence et que toute discussion sur ce sujet doit passer par «le général». Il faut noter que cette position avait déjà été exprimée par le numéro 2 du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, à l’émissaire de l’Onu chargé du dossier syrien, Staffan de Mistura. Ce dernier avait alors précisé que les Français sont en train de parler de ce dossier avec les Iraniens et le cheikh Kassem avait répondu: «Les Iraniens donneront la même réponse
que nous».
En résumé, le Courant du futur a annoncé qu’il ne considère pas le général Aoun comme un candidat consensuel et qu’il est prêt à examiner d’autres noms que ceux de Michel Aoun et Samir Geagea. Toutefois, le Hezbollah continue de voir en Aoun le seul candidat possible tant que lui-même souhaite être dans la course.
Bénéfique aux deux
Dans ces conditions, et alors que chaque camp campe sur ses positions, pourquoi veulent-ils le dialogue? Selon les sources du 8 mars, le Hezbollah est favorable à tout ce qui peut apaiser la scène interne pour pouvoir continuer à se consacrer à la bataille en Syrie et pour rester vigilant le long de la frontière avec la Syrie et Israël. Un dialogue avec le Courant du futur ne peut donc que lui être bénéfique, d’autant qu’il ne portera pas sur ses armes ni sur sa participation aux combats en Syrie. De leur côté, les sources du 14 mars précisent que le Courant du futur a beaucoup perdu en popularité sur la scène sunnite au cours des dernières années, en raison de l’absence de son chef Saad Hariri. Les tiraillements internes l’ont aussi affaibli, tandis que les mouvements extrémistes ont gagné en influence, notamment face au vide laissé par le Futur.
De plus, l’affaiblissement du Courant du futur sur la scène sunnite a été nuisible aux intérêts de l’Arabie saoudite au Liban, au profit du Qatar et de la Turquie. Pour cette raison, Riyad encourage Saad Hariri à renouer le dialogue avec le Hezbollah, d’abord pour montrer qu’il a repris les rênes sur la scène libanaise, mais aussi pour prouver qu’il reste la seule force sunnite légitime, suffisamment forte et populaire, pour mener un tel dialogue avec fermeté et clarté dans la vision. Les sources du 14 mars estiment que le Courant du futur souhaite reconquérir son influence au sein des institutions publiques libanaises. Or, seul un dialogue, dit «des forts», avec le Hezbollah peut ouvrir la voie à une telle reconquête. Qui passe bien entendu par l’élection d’un président de la République.
Même si ce dossier paraît pour l’instant bloqué, le Courant du futur ne désespère pas de convaincre le Hezbollah «de faire preuve de réalisme» et de conclure «un deal» qui permettra l’élection d’un président accepté par les deux camps.
En attendant d’y arriver, le dialogue devrait porter sur des sujets plus simples, tel l’apaisement de la rue, notamment dans les régions qui ont été des foyers de tension au cours des dernières années, comme Abra, Ersal et son environnement, Tripoli et sa région. Sans oublier les questions sociales qui restent une priorité pour les Libanais.
En somme, les deux camps ont du pain sur la planche…
Joëlle Seif
Moustafa Allouche sceptique
Moustafa Allouche est le coordinateur du Courant du futur dans la région du Nord et ancien député de Tripoli.
Les Libanais attendent l’ébauche du dialogue entre le Hezbollah et le Courant du futur. Sur quoi ce dialogue va-t-il porter?
Les deux parties vont essayer de se mettre d’accord sur trois points: la présidence de la République, la loi électorale et la nécessité de réduire la tension politique actuelle. Mais je crois que tous ces sujets découlent d’une affaire plus importante: celle des armes du Hezbollah, surtout que ces trois questions ne se posaient pas avant, alors qu’il y avait un président, un Parlement et un gouvernement. Pourtant, la situation était la même.
Vous n’espérez pas que ce dialogue puisse déboucher sur des résultats positifs?
Saad Hariri a dit qu’il ne fallait pas attendre des miracles de ce dialogue, tant que de profonds différends persistent, mais que l’on peut aller vers le dialogue autour de petits détails. Je crois, quant à moi, que la seule voie est de retirer les armes illégales. Nous tournons autour de la question principale sans la résoudre. Il ne faut pas qu’il y ait deux autorités militaires: le Hezbollah et l’Etat. Je n’attends pas beaucoup du dialogue parce que les anciennes expériences de ce genre n’ont pas été concluantes, mais on ne peut pas éviter d’y aller.
Pourquoi ce dialogue aujourd’hui? Les événements régionaux ont-ils poussé les Libanais à se rencontrer?
Les événements régionaux n’encouragent pas au dialogue. Au contraire, il n’y a pas de solution à ce niveau, et le dialogue entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ainsi qu’entre l’Iran et l’Occident, n’a pas encore abouti. Daech poursuit son œuvre et l’extrémisme existe toujours, ainsi que les divergences sur les méthodes de le combattre, donc rien n’indique au double niveau régional et international que l’heure du dialogue a sonné. Quand il y a une entente au niveau régional et mondial sur une question, le dialogue n’est plus nécessaire.
Une entente reste-t-elle possible sur les trois points qui seront discutés?
En ce qui concerne la présidence, le Hezbollah ne peut pas laisser tomber Michel Aoun, sur quoi portera alors le dialogue? Quant à la loi électorale, la meilleure sur laquelle les parties peuvent s’entendre est la loi actuelle. La discussion sur la proportionnelle pourra noyer les Libanais dans les détails. Le dernier point est le résultat de ce qui s’est passé au cours des dix dernières années. Est-ce que le Hezbollah est prêt à livrer les accusés dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri? Est-ce qu’il est prêt à ne plus provoquer les sunnites à travers sa participation aux conflits en Syrie et en Irak? Je ne crois pas que le dialogue seul puisse mettre fin à la tension actuelle.
Donc pas de solution pour les élections présidentielles dans un proche avenir?
Il n’y a pas de perspective de solution sur ce plan. Il se peut qu’une entente régionale-internationale vienne nous surprendre, mais jusqu’à présent, rien n’indique que cela puisse se faire. Je crois que la question est reportée de plusieurs mois. Les intentions sont bonnes, mais cela ne suffit pas pour créer le miracle.
Propos recueillis par Arlette Kassas
Un scénario possible ou plausible?
Après la main tendue de sayyed Hassan Nasrallah à laquelle Saad Hariri a rapidement répondu, un scénario circule dans les coulisses du Parlement. Selon ce scénario, à la suite de la déclaration de Saad Hariri sur le rejet aussi bien de Michel Aoun que de Samir Geagea pour la présidence de la République, la prochaine date fixée pour une élection présidentielle pourrait, contrairement aux précédentes, marquer le début d’un déblocage. Les députés de tous les blocs se rendront au Parlement, car conformément à la suggestion de Michel Aoun, la candidature d’Henri Hélou sera retirée et seuls Geagea et Aoun seront en lice. Le quorum des deux tiers sera alors assuré, mais aucun des deux candidats n’aura suffisamment de voix pour être élu. La séance sera aussitôt levée et les deux candidatures seront éliminées ouvrant la possibilité à une entente sur un candidat accepté de tous… Politique fiction? Des députés du 14 mars y croient en tout cas.