Le directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py, était de passage au Liban pour rencontrer des artistes libanais qui se sont rassemblés autour de lui à l’initiative de la compagnie de théâtre Zoukak et de l'Institut français du Liban. Magazine l’a rencontré pour une interview exclusive.
Quel est le but de votre visite au Liban?
Je suis là pour prendre contact avec des institutions, des artistes, pour voir des spectacles, en partant du constat que le monde arabe, surtout le sud, avait été sous-programmé ces dernières années au Festival d’Avignon.
Il me semble important de donner à voir des spectacles du monde arabe, qu’ils soient anglophones, francophones ou arabophones, peu importe. J’ai aussi une sensibilité particulière au monde arabe en général, et à cette région en particulier. C’est un chemin à longue vue, pour les années à venir, puisque le programme de 2015 est déjà bouclé.
Vous avez évoqué votre sensibilité particulière au monde arabe. Pour quelles raisons?
J’ai d’abord beaucoup voyagé dans cette région, étrangement jamais au Liban, mais énormément en Syrie, ce pays magnifique pour lequel j’ai un grand attachement, en Jordanie évidemment, dans les territoires palestiniens aussi, avec la volonté de prêter une oreille à ce qui se passait au Moyen-Orient. Ensuite, par rapport à mes origines, je suis issu de parents nés en Algérie, donc il y a un lien particulier. Puis je crois que la question arabe est une question aussi française extrêmement importante. Ou plus exactement, le fait qu’on ne se soit pas posé la question, notamment celle de l’intégration. Pour moi, ce qui s’est passé aujourd’hui (ndlr, l’attaque contre Charlie Hebdo), je ne peux pas encore en tirer de conclusions, parce qu’on ne sait pas encore exactement ce qui s’est passé, mais on peut penser que tout ça va avec une sorte d’échec de l’intégration. Et c’est une grande souffrance pour la France. Si la France n’arrive pas à comprendre et à aimer sa partie musulmane et arabe, elle perd une partie d’elle-même aussi. C’est ça qui est complètement raté dans l’intégration. C’est une question politique majeure. A part les Etats-Unis, nous sommes la plus grande communauté juive et la plus grande communauté arabe. J’ai toujours eu la sensation que ce qui se passait au Moyen-Orient se déroulait aussi en France. On n’est pas étranger à tout ce qui se passe dans cette région. On ne peut pas rester immobile. Le monde des arts et de la culture doit donner une autre image du monde arabe que celle des médias. Qu’est-ce que cette image pour un Français qui regarde la télé tous les jours? C’est très loin de la vérité. Je pense que c’est ça que nous devons, que nous pouvons, que nous voulons faire.
Vous avez eu l’occasion de voir quelques spectacles au Liban. Votre avis?
Je n’en ai pas du tout. Je pense que je vais être humble par rapport à ce qui est présenté et attendre d’en voir plus pour faire un choix. Je n’ai pas d’avis si ce n’est que je suis émerveillé de voir que dans des situations quelquefois si difficiles dans cette région, il y a des gens qui travaillent, qui créent, qui s’en sortent. Voir un spectacle au Caire ou un spectacle palestinien, je suis toujours plein d’admiration pour le courage de ces hommes et femmes qui continuent à faire de l’art dans un monde difficile à vivre, tellement plus difficile que le nôtre.
Qui opère la sélection des spectacles au Festival d’Avignon et en fonction de quels critères?
C’est moi qui décide. J’en prends l’entière responsabilité. Une responsabilité très lourde qui n’est pas toujours joyeuse. J’essaie de le faire sur la pluralité des esthétiques pour montrer toute la diversité du théâtre dans le monde, mais aussi sur des critères géographiques. Ensuite, je me fie également dans chaque partie du monde à des avis de gens qui sont liés à la région.
Vous êtes à la tête de la direction du festival depuis 2013, quelle en est la ligne?
J’ai un seul festival derrière moi et je travaille sur mon deuxième. Je veux, bien sûr, apporter des changements et c’est toujours la même ligne. Justement, il faut que le festival évolue pour rester fidèle à ses idées fondamentales, qui sont celles du théâtre populaire. Qui sont tout simplement que la culture et la pensée ne peuvent pas appartenir à une élite. Aujourd’hui, d’ailleurs, cette élite n’existe plus vraiment. Mais je crois que l’idée fondamentale du festival c’est qu’il ne devait pas être que le lieu de consommation de spectacles, mais la réunion de forces spirituelles pour faire de la politique. On aimerait que ce soit une sorte de grande université, de ville utopique, pendant trois semaines. Le spectacle lui-même, la rencontre des artistes, ce sont des objets qui servent à penser le monde, autour desquels on peut penser le monde, à partir desquels on peut penser la situation d’une partie du monde qui est particulièrement en connexion avec le monde global, et qui lui pose une question. C’est quelque chose qu’il faut réinventer chaque année.
Les arts du spectacle sont-ils nécessairement engagés?
Tous les théâtres ne sont pas des théâtres engagés, mais tous les théâtres sont des théâtres politiques. Quand un pays comme la Grèce, plongé dans une situation économique proche de l’explosion, vient au festival pour parler d’amour, non d’argent ou de politique, c’est politique. Tous les théâtres sont politiques, même ceux qui ne le sont pas. Engagé, c’est encore autre chose. L’idée du théâtre engagé c’était celle d’un théâtre qui donnait un moteur de conduite politique qui, je crois, n’existe plus. Le théâtre engagé aujourd’hui l’est plus dans un questionnement que dans l’idée d’un engagement idéologique. Ce sont des nuances qu’il est important d’apporter. Le théâtre est d’autant plus politique dans un monde majoritairement dominé par les médias, l’image. Ce que nous faisons, cette réunion, archaïque diront certains, dépassée diront d’autres, c’est politique en soi. La réunion physique des êtres, dans une salle, pendant une journée de festival, pendant trois semaines, c’est une réunion politique, un grand meeting. Et ça doit l’être au service, d’abord, de l’égalité sociale devant la culture, mais aussi de la conscience du monde.
Dans un monde dominé par les médias justement, quelle peut être encore la fonction du théâtre?
Je crois qu’il a une fonction d’altérité. Il a toujours une fonction, celle de sortir les gens de chez eux, aller à la rencontre de leurs contemporains. Déjà cela en soi est une force politique. Ils ne vont pas rester devant leurs écrans, ils vont aller au festival, puis dans un café pour parler des spectacles qu’ils ont vus. C’est une sorte de fête de la pensée, de la conscience. Je crois que c’est la plus grande force du festival, de manière paradoxale. Je le vois très bien sur le public jeune, pour qui les écrans, c’est une évidence, la vie, c’est un luxe. Le vivant, le présent, la rencontre de l’autre, c’est ça le luxe. Et non l’iPhone 8 ou 10. Et ils ont raison. Le luxe, c’est d’être là.
Propos recueillis par Nayla Rached
Quelques infos sur son parcours
Poète, auteur dramatique, romancier, metteur en scène de théâtre et d’opéras, acteur, chanteur… Olivier Py a le profil d’un agitateur qui ne mâche pas ses mots, ni ses positions et, pour qui, le monde du théâtre est presque une seconde peau. Directeur du Festival d’Avignon depuis 2013, après avoir été directeur du centre dramatique national d’Orléans et du Théâtre national de l’Odéon, son engagement au service du théâtre public comme dans le combat politique l’a mené jusqu’à menacer, en mars 2014, de démissionner de son poste ou de délocaliser le festival à l’issue du premier tour des élections municipales donnant le Front national majoritaire.