Magazine Le Mensuel

Nº 2985 du vendredi 23 janvier 2015

general

Boko Haram. Le Daech africain

En pleine conquête territoriale, Boko Haram, le groupe islamiste nigérian, qui contrôle le nord-est du pays, s’attaque depuis plusieurs semaines au Cameroun et au Niger voisins dans le but de créer un califat autour du lac Tchad au prix de massacres et d’enlèvements de masse, qui n’ont rien à envier aux agissements de l’Etat islamique au Moyen-Orient.
 

Pendant que la communauté internationale s’émouvait de l’attaque jihadiste contre Charlie Hebdo et les événements qui ont suivi à Paris, les islamistes de Boko Haram menaient l’assaut le plus destructeur jamais perpétré par le groupe, quelques semaines avant les élections présidentielles prévues au Nigeria. Dans une offensive lancée le 7 et 8 janvier contre plusieurs localités de l’Etat de Borno, dans le nord-est du pays, les combattants de la secte islamiste, venus en grand nombre et lourdement armés, ont tout simplement rasé des villages entiers de la carte. Selon l’ONG Amnesty International et Human Rights Watch, qui s’appuient sur des témoignages et des images satellites, 16 localités ont été brûlées dans cette offensive. Plus de 3 700 structures ont été endommagées ou détruites, 620 dans le village de pêcheurs de Baga et 3 100 dans la localité voisine de Doron Baga. Le bilan humain est catastrophique: plusieurs centaines de personnes ont été assassinées, certaines sources évoquent jusqu’à 2 000 morts. Plus de 20 000 personnes ont dû fuir la zone. Depuis 2009, l’insurrection islamiste aura fait plus de 13 000 morts et 1,5 million de déplacés.
 

Flambée de violence
Deux jours après l’attaque meurtrière de Baga, un attentat suicide frappe un marché bondé de Maiduguri, la grande ville du nord-est du Nigeria, considérée comme le fief historique de Boko Haram. Bilan, 16 morts et plus de 20 blessés. La charge explosive était placée… sur une petite fille de 10 ans. L’une des marques du groupe islamiste qui a multiplié le recours à des femmes et des fillettes pour mener des attentats. Le 1er décembre, deux femmes kamikazes, âgées d’une quarantaine d’années, tuent cinq personnes dans la même ville. Le 25 novembre, deux jeunes filles d’à peine vingt ans font exploser leurs charges et tuent plus de 45 personnes au même endroit.
Vendredi 9 janvier, un autre groupe de combattants jihadistes attaquait cette fois Damaturu, dans l’Etat voisin de Yobe. A environ 200 kilomètres: une broutille pour les groupes de Boko Haram, très mobiles sur les anciennes pistes séculaires, qui passent à travers la brousse. La ville carrefour a été attaquée à plusieurs reprises au cours des années passées. La dernière fois, c’était il y a quelques semaines, et il y a eu plus de cent morts, dont 38 policiers tués dans leur caserne investie à la sortie de la ville. Les forces de Boko Haram, loin de pouvoir compter sur une efficacité éprouvée, n’ont pour elles que leur nombre (elles attaquent désormais en masse), leurs armes contre des civils et, surtout, la faiblesse des forces armées, démoralisées, infiltrées, affaiblies par la corruption.

 

La stratégie du califat
Là où les soldats résistent, Boko Haram ne passe pas, mais ces maigres revers ne peuvent cependant dissimuler la réalité d’une extension du territoire sous contrôle, ou sous la menace, des jihadistes. La vaste région frontalière du Cameroun, mais aussi celle proche du Niger, ou encore le triangle aride au nord de Maiduguri: toutes ces régions sont devenues le fief des insurgés qui y frappent lorsqu’ils le souhaitent par vagues sur des pick-up, des petits camions et des nuées de motos, même s’ils ne «tiennent» pas la plupart des agglomérations.
Entamée dans le sang en 2014, la conquête des territoires du nord-est du Nigeria s’étend au-delà des frontières du territoire nigérian. Avant d’être un village de pêcheurs qui finit en cul-de-sac sur les rives du lac Tchad, Baga est avant tout le siège régional de la MNJTF ((Multinational Joint Task Force), la force multinationale conjointe créée en 1994 pour sécuriser la région et, depuis le printemps dernier, affronter Boko Haram. Cette force n’a jamais vraiment existé jusque-là. Le 3 janvier, avant le massacre des civils, Boko Haram s’empare de la base. L’objectif est de première importance. La proximité de Baga avec le lac en fait un endroit stratégique. Boko Haram contrôle certaines des îles du lac, et des convois d’armes qui ont transité par le Tchad, en provenance de Libye, ont sans doute emprunté des itinéraires passant dans cette région. De plus, c’est de là que la réponse militaire régionale est supposée trouver un point d’ancrage.
Le Tchad étudie de très près les possibilités d’intervention contre Boko Haram dans la zone frontalière avec le Nigeria et le Cameroun. Frapper cette base, pour les insurgés, est donc un signal de défi à l’adresse des pays de la région. Boko Haram menace aussi le Cameroun, et son président, Paul Biya, d’une intensification de la guerre sur son sol. Boko Haram a lancé depuis quelques mois une série d’attaques dans la région du nord-est du Cameroun, où une longue frontière commune court avec le nord-est du Nigeria, contrôlé en grande partie par le groupe islamiste. Les jihadistes se sont emparés ces derniers mois de plus d’une vingtaine de localités de cette région, proclamant un «califat» dans les zones sous leur contrôle. L’armée camerounaise a mené en décembre, pour la première fois, des frappes aériennes contre Boko Haram, sans grand succès jusque-là.

 

La riposte s’organise
Le 12 janvier, le groupe islamiste attaque la base militaire de Kolofata, dans le nord-est du Cameroun. Dimanche dernier, à une centaine de kilomètres au sud, à Mokolo, plusieurs personnes ont été tuées et 80 enlevées. Il s’agit du plus important rapt perpétré dans cette région par les insurgés islamistes nigérians, dont les incursions dans ce secteur sont récurrentes depuis des mois. Beaucoup d’habitants de la zone, de même que la plupart des policiers et gendarmes en poste dans les localités proches de la frontière, ont fui plus à l’intérieur des terres afin de se prémunir de ces raids.
Cette attaque intervient alors que le Tchad a commencé à déployer ses troupes au Cameroun pour combattre Boko Haram, affichant aussi sa volonté de reprendre la ville stratégique de Baga. L’heure est à la coopération régionale. En octobre 2014, les quatre pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad (Niger, Nigeria, Tchad et Cameroun) et le Bénin se sont engagés à mettre en place une force régionale de quelque 3  500 hommes dès le 1er novembre. Faute de coordination militaire, les troupes n’ont jamais été opérationnelles.
Après un premier sommet qui a eu lieu cette semaine à Niamey, au Niger, à la frontière duquel Boko Haram s’est installé, le chef de l’Etat ghanéen, John Dramani Mahama, qui assure la présidence tournante de la Cédéao, milite pour que le prochain sommet de l’Union africaine (UA), prévu du 23 au 31 janvier à Addis-Abeba, en Ethiopie, donne naissance à «un plan d’action spécifique pour en finir avec le problème du terrorisme sur le continent». La mise sur pied d’une force placée sous l’égide de l’UA devrait toutefois prendre plusieurs mois, a précisé à Reuters le président ghanéen.

Julien Abi Ramia

Pourquoi le Tchad intervient-il?
Dès samedi 17 janvier, 400 véhicules militaires (chars, véhicules blindés, pick-up transportant des soldats) et des hélicoptères de combat tchadiens ont pénétré au Cameroun. «Nous avons répondu à la sollicitation du président [camerounais] Paul Biya, a expliqué, vendredi dernier, le président tchadien Idriss Déby. Nous ne pouvons pas rester indifférents sur ce qui se passe chez nos voisins». De fait, N’Djamena n’a pas intérêt à ce que l’intégrité territoriale du Cameroun soit entamée. Le Tchad, qui ne dispose d’aucun accès direct à la mer, se sert en effet du littoral de son voisin pour recevoir les marchandises venues d’Europe et exporter son pétrole. Le Tchad redoute, en outre, que les violences de Boko Haram ne poussent encore davantage de civils à trouver refuge sur son territoire. Plusieurs milliers de Nigérians ont déjà fui le nord de leur pays en direction de l’Etat tchadien.

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