Après Moqren, le prince héritier confirmé par le roi Salmane que lui avait destiné son prédécesseur, le pouvoir passera, pour la première fois dans l’histoire du royaume, aux princes de la troisième génération de la famille royale, plus précisément à Mohammad Ben Nayef, nommé vice-héritier.
Le problème de la succession est le talon d’Achille des Saoud depuis la création du premier Etat saoudien au XIXe siècle. Lorsqu’au début du XXe siècle, Abdel-Aziz Ben Abdel-Rahman Al Saoud, fondateur du royaume unifié et de la dynastie régnante, désigne son fils aîné Turki, à peine majeur, héritier du trône, il contrevient une première fois aux règles traditionnelles de transmission du pouvoir. Dans les tribus saoudiennes, la succession est adelphique. Le pouvoir se transmet entre frères. Pour pérenniser son pouvoir, le premier roi d’Arabie saoudite a dû écarter les siens. Après la mort de Turki en 1919, Ben Saoud désigne en 1933 son deuxième fils, Saoud, héritier. Deuxième contrevenue. Durant son règne, jamais Abdel-Aziz, qui laissera 34 fils à sa mort en 1953, n’aura fixé de règles claires de succession. Les luttes de pouvoir sont ouvertes. Lorsque Saoud accède au trône, il tente lui aussi de pousser ses enfants, mais il fait face à l’opposition de son frère Fayçal, troisième fils du fondateur, qui le contraint à abdiquer en 1964. Saoud est écarté par une coalition fraternelle qui effectue là ses premières manœuvres.
Le clan des sept Soudeyri porte le nom de sa mère, Hassa el-Soudeyri, considérée comme l’une des épouses préférées du fondateur du royaume. Elle est la descendante d’Ahmad el-Soudeyri, chef de la tribu du même nom, qui a aidé à financer la conquête de Riyad conduite par Abdel-Aziz. Hassa lui a donné sept enfants. Par rang d’âge, Fahd, Sultan, Abdel-Rahman, Nayef, Turki, Salmane et Ahmad. Durant le règne de Fayçal, de 1964 à 1975, le clan pousse le roi à stabiliser le mécanisme de succession en créant le conseil de la famille royale, un organe informel qui marque un retour aux traditions tribales. Non seulement le pouvoir se transmettra entre frères, mais son héritier devra être confirmé par ce conseil. Le clan s’impose comme le faiseur de rois et d’héritiers. Si les Soudeyri acceptent l’arrivée au pouvoir du prince Khaled après l’assassinat du roi Fayçal par l’un des ses neveux, ils imposent le plus âgé du clan, Fahd, comme héritier.
Lorsqu’il devient roi en 1982, Fahd est en pleine santé. Il a 60 ans et tout le monde pense qu’il va asseoir la prééminence des Soudeyri. En 1992, il promulgue une loi fondamentale qui régit pour la première fois les règles de succession. L’alinéa b de l’article 5 stipule que «le pouvoir se transmet uniquement aux fils du roi fondateur Abdel-Aziz et à ses petits-fils. Le plus capable d’entre eux est reconnu roi». Alinéa évasif mais important. Alors que depuis la mort de Abdel-Aziz, la compétition ne concernait que les fils encore en vie, Fahd l’étend à des centaines de prétendants. L’embolie pulmonaire dont est victime le roi en 1995 vient casser les rêves de domination du clan au sein de la famille royale. Face à un Fahd souffrant qui meurt en 2005, le prince héritier Abdallah, nommé parce que le plus âgé des frères après lui, exerce la régence du royaume jusqu’à la mort de Fahd et occupera le trône jusqu’à sa propre mort le 23 janvier dernier.
Ces dix dernières années, le roi Abdallah a désigné trois héritiers. Dès son arrivée au pouvoir, il désigne Sultan, le deuxième membre le plus âgé des Soudeyri, mais il mourra en 2011 des suites d’un cancer qu’il soigne depuis plusieurs années déjà. Lorsqu’en 2006, Abdallah crée le comité de l’allégeance, le pendant officiel du conseil de la famille royale, il sait que les trois frères Soudeyri, susceptibles d’accéder au trône, sont gravement malades. Abdallah désigne Nayef pour succéder à Sultan, mais il mourra en 2012. Le troisième, Salmane, sera le bon.
En Arabie saoudite, les centres de décision se partagent entre fonctions royales – roi et héritiers – et fonctions régaliennes. Pour assurer la continuité dynastique, qui reste la priorité absolue de ses membres malgré les luttes de pouvoir qui existent au sein de la famille royale, le roi en place attribue à l’autre «camp» les titres d’héritier et la direction des ministères de la Défense et de l’Intérieur, qui placent ses locataires en situation de traiter les affaires extérieures du pays.
Comment contourner cette mécanique et assurer que les protégés du roi en place accèdent au trône? Abdallah trouve la parade. Le 27 mars 2014, il publie un décret royal qui nomme Moqren, le plus jeune des fils encore vivants du fondateur du royaume, vice-prince héritier. Ce titre n’existait pas jusqu’alors. Même si, un mois plus tôt, Moqren avait été nommé second vice-Premier ministre, un titre qui fait de lui le futur prince héritier de façon présomptive, Abdallah a jugé nécessaire de verrouiller cet ordre de succession. Conséquence immédiate, le roi Salmane se voit privé à l’avance du choix de son propre héritier.
Ben Nayef, le favori
Pour contrebalancer la manœuvre de Abdallah, le roi Salmane a décidé de confier le poste de vice-prince héritier à Mohammad Ben Nayef, le fils de l’ancien prince héritier Nayef, mort en 2012. Cette nomination est une révolution. C’est la première fois que l’un des petits-fils du fondateur du royaume est en position de régner. Les membres éminents de la deuxième génération de la famille royale préparent, depuis plusieurs années, l’arrivée mécanique au pouvoir de leurs progénitures. En tête de la course, donc, Mohammad Ben Nayef, 55 ans, considéré aujourd’hui l’homme le plus puissant du pays. Le ministre de l’Intérieur, qui jouit du soutien appuyé des Etats-Unis où il a été reçu en chef d’Etat, il y a quelques semaines, est envisagé comme l’architecte de la lutte de l’Arabie saoudite contre al-Qaïda, qui a tenté de l’assassiner en 2009.
Il était prédestiné, dans l’ombre de son père, et de par sa formation, à occuper ce poste à l’Intérieur. Il héritera du ministère en novembre 2012 après un intermède de six mois, assuré par son oncle Ahmad Ben Abdel-Aziz, devenant le plus jeune de sa génération à obtenir un poste aussi élevé. Son cursus comprend une formation spécialisée dans la lutte contre le terrorisme dispensée par la CIA et parachevée à l’école locale du renseignement de Taëf. Il occupe son premier poste officiel en 1999, lorsqu’il est nommé assistant du ministre de l’Intérieur. C’est à ce titre qu’il conduit la chasse implacable aux jihadistes d’al-Qaïda à l’intérieur de l’Arabie saoudite. Le réseau d’Oussama Ben Laden se livre entre 2003 et 2006 à une campagne d’attentats sanglants dans le royaume contre les symboles du pouvoir, les installations militaires et pétrolières et les expatriés occidentaux. Mais il est largement anéanti par l’action des services de Mohammad Ben Nayef. Derrière lui, la meute des princes aiguisent leurs ambitions.
Julien Abi Ramia
Les princes puissants
Mohammad Ben Salmane, le fils du roi
Face à Mohammad Ben Nayef, le fils du roi Salmane, Mohammad Ben Salmane, apparaît comme un concurrent sérieux. A 35 ans, il grimpe très vite les échelons. Conseiller spécial de son père lorsque ce dernier a occupé les postes de gouverneur de Riyad, ministre de la Défense et prince héritier, il est nommé par son père, devenu roi, à plusieurs postes. Il devient ainsi ministre de la Défense, où il succède… à son père, ministre d’Etat et secrétaire général de la Cour royale, en remplacement du controversé Khaled el-Touwaïjri, placé à ce poste par le roi Abdallah.
Moteeb Ben Abdallah, l’autre concurrent
Le 3e fils du roi Abdallah doit être considéré comme le troisième homme dans la course au pouvoir suprême au sein de la troisième génération des princes. A 62 ans, il occupe le poste de ministre de la Garde nationale, la 2e force militaire du royaume face à l’armée régulière. Un poste créé spécialement par son père pour lui permettre de siéger au gouvernement. Cavalier émérite, le prince Moteeb a la particularité d’avoir étudié à l’école primaire de Taif-Barmana au Liban, avant de revenir en Arabie saoudite poursuivre des études militaires.
Les autres fils prodiges
Le gouvernement compte parmi ses membres deux fils du roi Fayçal. Saoud Ben Fayçal est l’inamovible ministre des Affaires étrangères depuis 1975. A 75 ans, l’âge avancé de ce diplomate d’envergure ne fait plus de lui un concurrent sérieux à l’accession au trône. Le deuxième fils du roi, Khaled Ben Fayçal est, depuis 2013, le ministre de l’Education. Autre fils à la notoriété reconnue, le fils du feu prince héritier Sultan, Bandar Ben Sultan qui, après avoir dirigé l’ambassade d’Arabie saoudite aux Etats-Unis et les services de renseignements du royaume, est revenu au Conseil national de sécurité.