En brûlant vif le pilote jordanien Moaz el-Kassasbeh et en mettant en ligne la vidéo de son assassinat, digne des meilleures productions hollywoodiennes, l’organisation de l’Etat islamique a montré qu’elle était capable de pousser toujours plus loin les limites de la barbarie. On pensait avoir atteint le summum de l’horreur en regardant les lapidations, la punition par le fouet, l’amputation d’un membre ou les décapitations collectives d’otages. On commençait même à s’habituer à ces scènes, aussi insoutenables soient-elles. Mais Daech nous a surpris en inventant un châtiment inédit, dans le seul but de casser la routine. Car telle est la fonction première de ce crime filmé par des professionnels disposant d’un matériel dernier cri et monté par des techniciens macabres mais compétents: répandre la terreur pour déstabiliser autant ses ennemis que ses sujets. Il est, en effet, plus commode d’affronter un adversaire paralysé par la peur et de gouverner une population soumise par la terreur, que de se battre contre un ennemi confiant et courageux et d’administrer un peuple rebelle.
Les théoriciens des slogans «Daech est un grand mensonge», «une invention du régime syrien» ou «Daech n’est pas notre problème» sont bien obligés, aujourd’hui, de se rendre à l’évidence. Les troupes d’Abou Bakr el-Baghdadi se trouvent à deux heures de route de Beyrouth et elles se renforcent tous les jours davantage. Cette organisation existe et elle est beaucoup plus puissante et dangereuse qu’ils ne le pensaient. Ou peut-être le savaient-ils très bien, mais se croyaient-ils à l’abri et se frottaient-ils déjà les mains en se voyant rafler la mise après que Daech et le Hezbollah se soient mutuellement anéantis? Il ne faut pas sourire, car certains politiciens libanais, voire des dirigeants de pays soi-disant grands, ont cru – et peut-être le croient-ils encore – qu’il est possible d’instrumentaliser cette organisation pour servir leurs propres intérêts. Qu’elles soient infantiles ou diaboliques, ces attitudes ont les mêmes résultats dévastateurs. Certains pensent qu’il sera possible, un jour, lorsque la guerre sera terminée, de coexister avec le califat de Baghdadi. Après tout, un Etat en plus ou en moins ne changera pas grand-chose au destin de cette région tourmentée, pourvu que les affaires redémarrent, que les investissements affluent, que l’argent coule à flots, que les comptes en banque gonflent. Ce type de raisonnement est nuisible, car il a tendance à minimiser la gravité de la situation et à ignorer les réalités. Par conséquent, la mobilisation générale de toutes les capacités de la nation, impérative pour combattre et vaincre Daech, faiblira. Abou Bakr el-Baghdadi en sortira plus puissant et sa défaite sera plus coûteuse, en temps et en ressources… et ce n’est pas bon pour les affaires!
Sans une reformulation des priorités dans la tête de certains dirigeants internationaux, la défaite à l’échelle régionale de Daech sera impossible. La même logique s’applique à l’échelle locale. Une partie des Libanais a tardé à considérer Daech comme un danger existentiel. D’autres sont conscients du danger que représente cette organisation, mais estiment que la combattre n’est pas une priorité. Il faut qu’ils accordent leurs violons, surtout que Daech n’est plus une simple organisation terroriste. Il est devenu un Etat totalitaire, qui veut imposer, aux musulmans d’abord et au reste de l’humanité ensuite, sa vision de l’islam.
Paul Khalifeh