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Nº 2989 du vendredi 20 février 2015

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Rapport annuel de la Human Rights Watch. Pertinence des droits humains dans les moments difficiles

La 25e édition annuelle du Rapport mondial de Human Rights Watch examine les pratiques en matière de droits humains dans plus de 90 pays. Dans son introduction, Kenneth Roth, directeur exécutif, invite les gouvernements du monde à «reconnaître que les droits humains constituent un guide moral efficace lors de périodes agitées et que les violations de ces droits risquent de déclencher ou aggraver de sérieux problèmes sécuritaires».

Selon l’organisation, les avantages à court terme obtenus en portant atteinte aux valeurs fondamentales que sont la liberté et la non-discrimination compensent rarement le coût à long terme de telles violations. Le Rapport mondial, réalisé par Human Rights Watch, met en avant le travail d’investigation approfondi, effectué par des chercheurs de l’ONG au cours de l’année 2014.
«Les violations des droits humains ont joué un rôle prépondérant dans le déclenchement ou l’aggravation de bon nombre des crises actuelles», déclare Kenneth Roth. «Or, pour résoudre ces crises, il est essentiel «de protéger ces droits et de tenir les auteurs de violations pour responsables de leurs actes dans un cadre démocratique».
Cette 25e édition du Rapport mondial de Human Rights Watch, présentée au Liban, examine les pratiques en matière de droits humains dans plus de 90 pays. Dans son introduction, Roth montre à quel point l’approche consistant à «serrer les rangs» en occultant les droits humains, adoptée par de nombreux gouvernements au cours de l’année tumultueuse qui vient de s’écouler, est contre-productive.
Selon Human Rights Watch, «la montée du groupe extrémiste, Etat islamique, est l’une de ces crises internationales au cours desquelles les droits humains ont été relégués au second plan». Pourtant, «l’EI n’a pas surgi de nulle part. Outre le vide sécuritaire apparu dans le sillage de l’invasion américaine de l’Irak, les politiques abusives et sectaires des gouvernements irakien et syrien et l’indifférence de la communauté internationale à leur égard ont favorisé l’émergence de ce groupe armé».
Le rapport stipule que «tandis que le Premier ministre irakien, Haidar el-Abadi, a promis une forme de gouvernance plus représentative, son gouvernement continue de s’appuyer essentiellement sur les milices chiites qui procèdent toujours au massacre et à l’épuration des populations civiles sunnites en toute impunité». L’organisation dénonce les forces gouvernementales qui attaquent également des civils et des zones peuplées. Les experts estiment qu’il est tout aussi important de réformer le système judiciaire répressif et corrompu. Il faut également mettre un terme aux politiques sectaires pour que les sunnites aient le sentiment d’avoir leur place en Irak, que de mener l’action militaire pour mettre fin aux atrocités commises par l’EI. Or, jusqu’ici, Abadi n’a pas mis en œuvre les réformes essentielles promises, selon les informations du rapport.
L’exemple irakien n’est pas le seul repris par le rapport de Human Rights Watch. En Syrie, «les forces du président Bachar el-Assad ont, délibérément et sauvagement, attaqué des civils dans des zones occupées par l’opposition. L’usage indiscriminé d’armes létales, les plus notoires étant les bombes barils, rend la vie insupportable pour les civils». Les experts déplorent le fait que le Conseil de sécurité des Nations unies ne soit pas intervenu, car la Russie et la Chine ont fait usage de leur droit de veto pour bloquer les initiatives concertées visant à mettre un terme au carnage. «Les Etats-Unis et leurs alliés ont permis que leur action militaire à l’encontre de l’EI éclipse les initiatives visant à contraindre Damas à mettre un terme à ses exactions. Cette inquiétude sélective permet aux recruteurs de l’EI de se présenter à leurs soutiens potentiels comme la seule force prête à contrer les atrocités commises par Bachar el-Assad».
 

La torture, une option politique?
L’organisation a également inspecté ce qui se passe au Nigeria où les questions de droits humains sont au cœur du conflit. «Le groupe armé islamiste Boko Haram s’en prend aux civils, ainsi qu’aux forces de sécurité du Nigeria, bombardant des marchés, des mosquées et des écoles et kidnappant des centaines de filles et de jeunes femmes. L’armée nigériane a souvent réagi de manière excessive en arrêtant des centaines d’hommes et de garçons suspectés d’avoir apporté leur soutien à Boko Haram, en les emprisonnant, les torturant et en en tuant parfois certains. Pourtant, pour conquérir le «cœur et l’esprit» des populations civiles, le gouvernement devra enquêter de façon transparente sur les abus présumés impliquant l’armée et condamner les auteurs d’exactions».
Il n’y a pas que les pays en voie de développement qui ne respectent pas les droits humains selon l’organisation qui s’attaque également à l’un des piliers du monde occidental, les Etats-Unis d’Amérique. Cette tendance à faire fi des droits humains lorsqu’on est confronté à un défi sécuritaire est un problème également révélé ces huit dernières années aux Etats-Unis. «Un comité du Sénat américain a publié
le résumé d’un rapport accablant sur des actes de torture commis par la CIA; or, le président Barack Obama a non seulement nié l’utilisation de la torture par des forces sous son commandement, mais il a aussi refusé d’enquêter et, a fortiori, de poursuivre les commanditaires des actes de torture détaillés dans le rapport du Sénat. Ce renoncement à ses responsabilités légales rend plus probable le fait que les futurs présidents considéreront la torture une option politique et non un crime. En outre, cela affaiblit grandement la capacité du gouvernement américain à faire pression sur d’autres pays pour qu’ils poursuivent leurs propres tortionnaires», ajoute le rapport.
En conclusion, le rapport pointe du doigt les gouvernements et les forces de l’ordre dans de nombreux pays, notamment le Kenya, l’Egypte et la Chine. «Ils ont répondu aux menaces réelles ou perçues de terrorisme par l’instauration de mesures abusives qui, au bout du compte, alimentent les crises. En Egypte, la répression contre les Frères musulmans par le gouvernement envoie le message complètement contreproductif que, si les islamistes politiques aspirent à accéder au pouvoir par les urnes, ils seront réprimés, ce qui pourrait encourager des actions violentes. En France, la réponse du gouvernement à l’attaque commise contre Charlie Hebdo, qui consiste à s’appuyer sur une loi antiterroriste pour poursuivre les auteurs de propos qui ne font pas réellement l’apologie de la violence, pourrait avoir un effet négatif sur la liberté d’expression et encourager d’autres gouvernements à recourir à de telles lois pour faire taire ceux qui les critiquent.
Relever les défis en matière de sécurité exige non seulement de contenir certains individus dangereux, mais aussi de reconstruire le tissu moral qui sous-tend l’ordre social et politique, estime Human Rights Watch. «Certains gouvernements commettent l’erreur d’envisager les droits humains comme un luxe à ne prendre en compte que dans des temps moins difficiles, au lieu de les considérer comme une véritable composante de l’action politique», souligne Kenneth Roth. «Plutôt que de traiter les droits humains comme une contrainte encombrante, les décideurs politiques feraient mieux de reconnaître qu’il s’agit de repères moraux pouvant faciliter la sortie de crise et de situations de chaos».

 

Annne Lobjoie Kanaan

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