Les anciens présidents Amine Gemayel et Michel Sleiman ont regroupé, au sein de la Rencontre consultative, huit ministres chrétiens, soit le tiers des membres du gouvernement. Leur démarche jouit du soutien du patriarche Béchara Raï, mais ne réjouit pas leurs alliés du 14 mars.
Les débats qui ont animé la Rencontre consultative, à l’en croire des sources Kataëb, ont porté sur deux points: d’abord, considérer le point de vue du patriarche Béchara Raï, qui souligne la nécessité d’axer les efforts sur la question de la vacance du fauteuil présidentiel, au lieu de perdre du temps en cherchant à s’adapter au vide en usant des prérogatives du chef de l’Etat pour valider des clauses et décrets importants comme le sort des ressources gazières et autres. Ensuite, exercer des pressions sur Saad Hariri et Tammam Salam pour maintenir le mécanisme actuel par le biais duquel des centaines de décrets ont été adoptés jusque-là.
Contre Michel Aoun
Des sources ministérielles participantes à ces assises estiment que la rencontre n’était aucunement dirigée contre Saad Hariri, «mais essentiellement contre le leader du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, qui essaie de s’approprier la voix chrétienne au sein du cabinet. Nous avons voulu lui prouver qu’il existe un nouveau bloc de huit ministres chrétiens, soit le tiers du nombre de ministres de confession chrétienne, prêt à l’empêcher de monopoliser les ententes et les décisions».
Arracher Sleiman à Maarab
En réalité, le président Gemayel cherche à réactiver son rôle via un accord avec Michel Sleiman, afin d’amener ce dernier à abandonner Maarab pour Bikfaya. En attirant les trois ministres de Sleiman et les indépendants, les Kataëb pourront consolider leur position en attendant des jours plus favorables à la présidentielle. De son côté, le président Michel Sleiman, qui ne souhaite pas abandonner la scène, cherche à mettre sur pied un bloc politique, d’autant plus qu’il ne dispose pas d’un bloc parlementaire. Ainsi, il existe un recoupage d’intérêts évident pour les participants à cette rencontre. Les deux ex-chefs d’Etat souhaitent camper sur leur position et ne sont pas prêts à faire une quelconque concession sur la procédure suivie au sein du gouvernement depuis la vacance de la première magistrature.
Effets positifs
Même si les deux hommes ont tenté d’adoucir leur mouvement en lui donnant l’appellation de «rencontre politique consultative» et non de bloc ministériel, ils sont quand même satisfaits du succès enregistré par leurs retrouvailles. Ils ont senti les effets positifs de leur action à trois niveaux:
♦ Retour en force sur la scène médiatique. Alors que ces derniers mois, Sleiman avait comme disparu de la circulation et Gemayel semblait hésitant…
♦ La création d’un contrepoids politique sur la scène chrétienne face au tandem du dialogue Aoun-Geagea. Surtout que la nouvelle rencontre consultative bénéficie de la bénédiction du patriarche Raï et prend l’allure d’un «mini-Kornet Chehwan».
♦ La formation d’un axe ministériel influent et uni dont le poids au sein du Conseil est comparable à celui de Aoun, abstraction faite de la stature parlementaire de chacun.
Chaouki Achkouti
Le 8 mars serein
Un député chrétien opposé à Michel Sleiman estime que cette rencontre n’est pas aussi innocente qu’on veut bien l’avouer. En atteignant le nombre de huit, la rencontre veut montrer que le tiers des membres du gouvernement évolue hors du cadre du 14 et du 8 mars. Or, ce message manque de perspicacité surtout que les ministres Kataëb sont issus du 14 mars, tout comme Boutros Harb et Michel Pharaon. Au final, on peut dire que la démarche de Michel Sleiman n’est pas très réussie en ce sens qu’elle sème la discorde au sein du 14 mars, sans vraiment déranger la coalition du 8 mars qui compte, depuis un moment déjà, l’ex-chef de l’Etat et son équipe dans les rangs du 14 mars. Quant au secrétariat général de cette coalition, certains de ses membres considèrent que la démarche Kataëb sert les intérêts du candidat Michel Aoun à la présidence sans faire de pression sur lui au plan gouvernemental. Ces mêmes sources pensent que l’attachement à l’adoption des décisions à l’unanimité alimente les craintes relatives à la prolongation du vide constitutionnel, à l’intensification des crises et à l’infiltration du terrorisme… Certains observateurs estiment que si, à ce stade, Aoun réussit à accéder à Baabda, ce sera grâce au push que lui auront donné ses adversaires du 14 mars. Appuyé par le Hezbollah, il mettra la communauté internationale devant le choix suivant: l’instabilité découlant du vide et du dysfonctionnement gouvernemental ou, alors, l’acceptation de son arrivée à Baabda.