Alors que les négociations entre l’Iran et le groupe des 5+1 battent leur plein à Genève, laissant espérer un accord d’ici le 1er juillet, le chef de la diplomatie américaine John Kerry souffle le chaud et le froid avec ses alliés du Golfe, pour tenter de les rassurer.
Les Etats-Unis prennent soin de leurs alliés. C’est en tout cas le message qu’a semblé vouloir faire passer John Kerry ces derniers jours, lors de son passage dans le Golfe. Une visite qui succédait à d’intenses négociations menées avec son homologue iranien Mohammad Javad Zarif, à Genève, sur l’épineux dossier du nucléaire iranien. Car ce n’est un secret pour personne, les Saoudiens comme les pays voisins du Golfe ou Israël ne voient pas d’un bon œil la perspective d’un accord prochain entre les Occidentaux et les Iraniens.
Dès le 5 mars, le chef de la diplomatie américaine s’est donc efforcé de rassurer autant que possible ses alliés. Depuis Riyad, John Kerry a ainsi précisé que «les Etats-Unis surveillent de près les actes déstabilisateurs de l’Iran». Plus tard, il ajoutera que les Américains resteraient «pleinement engagés» face à Téhéran, «y compris du fait de son soutien au terrorisme». Enfin, le samedi suivant, après une rencontre avec son homologue français Laurent Fabius, John Kerry a fait savoir que Washington comme Paris partageaient les mêmes opinions sur l’Iran et sur l’éventuel accord sur le nucléaire. Le chef du Quai d’Orsay avait fait état, lors d’une déclaration conjointe, «d’un certain nombre de progrès», tout en soulignant qu’il «rest(ait) un certain nombre de divergences dans plusieurs domaines». «Nous avons besoin d’un accord solide, non seulement pour nous, mais pour l’ensemble de la région», avait ajouté Fabius, conformément à la position stricte de la France. Puis dimanche, ce fut au tour de Barack Obama en personne de surenchérir. Dans un entretien accordé à la chaîne américaine CBS, le président américain a affirmé que «si nous ne pouvons pas vérifier qu’ils ne vont pas obtenir une arme nucléaire, que nous aurons suffisamment de temps pour agir durant une période de transition, s’ils trichent, si nous n’avons pas ce genre d’assurances, nous n’accepterons pas un accord». Il a souligné qu’il s’agissait désormais plus d’obtenir un accord sur «une volonté politique» que sur des questions «de problèmes techniques».
Téhéran s’implique
Toutes ces déclarations n’avaient d’autre objectif que de rassurer le royaume saoudien, le deuxième allié de poids des Américains après Israël dans la région. Car Riyad se sent presque trahi par le dialogue engagé entre les grandes puissances et Téhéran, qui apparaît comme un prélude à une nouvelle hégémonie iranienne au Moyen-Orient.
Car c’est un fait, un accord conclu avec l’Iran ne pourrait, quoi qu’on en dise, que renforcer les capacités iraniennes dans la région. Déjà, Téhéran a prouvé son utilité dans la lutte contre l’Etat islamique, en Irak. Le général Martin Dempsey l’a d’ailleurs souligné mardi dernier. Le rôle de l’Iran et des milices chiites sous son influence dans l’offensive pour reprendre la ville de Tikrit des mains de l’Etat islamique pourrait bien être «positif». Téhéran n’hésite pas à s’impliquer sur le terrain, ce que ne font pas les alliés arabes de la coalition internationale contre Daech. Washington a beau s’en défendre, il aura du mal à s’opposer à toute tentative de l’Iran d’étendre son influence, une fois l’accord sur le nucléaire signé.
Un accord qui permettrait, entre autres, une levée des sanctions internationales à l’encontre du régime des mollahs. Et pourrait conduire, par effet domino, à une montée en puissance du rôle régional de Téhéran.
Bien qu’ils s’en défendent, les Américains ont beaucoup évolué sur le dossier iranien. Notamment sur leurs priorités. L’axe du Mal, dont Téhéran était l’épicentre du temps de George W. Bush, appartient désormais au passé. D’une part, parce que Barack Obama a décidé de désengager son pays de ses guerres sans fin au Moyen-Orient et, d’autre part, parce que l’échec de l’intervention américaine en Irak a remis l’Iran en perspective. Aujourd’hui, il est impossible de passer outre le rôle prédominant de Téhéran dans la région. Les conflits sanglants en Irak et en Syrie, des pays jadis piliers du Moyen-Orient, en sont la preuve. Au milieu de ce capharnaüm, le régime des mollahs tient et n’est pas près de s’effondrer. Et c’est bien ce qui inquiète les monarchies du Golfe, qui voient de plus en plus, les tentacules iraniennes s’étendre en Irak, en Syrie, au Liban, mais aussi au Yémen, comme l’ont prouvé les derniers développements, ou encore à Bahreïn où Téhéran est accusé de soutenir la contestation chiite.
Si un accord sur le nucléaire devait être signé − même si de l’avis de nombreux observateurs, les écueils sont encore nombreux −, il s’assortirait d’une normalisation des relations avec l’Iran. Un retour à la realpolitik en somme. Aujourd’hui, les Américains voient de plus en plus l’Iran comme un allié incontournable pour éliminer leur nouvel ennemi numéro un, l’Etat islamique.
La réplique saoudienne
L’Arabie saoudite se préparerait donc à l’éventualité d’un accord des 5+1 avec l’Iran. Selon Bruce Riedel, contributeur du site web al-Monitor: the Pulse of Middle-East, Riyad tenterait, face à cela, de renforcer ses alliances régionales via le Conseil de coopération du Golfe (CCG), dont les deux maillons faibles sont Oman et le Qatar. L’Egypte de Abdel-Fattah el-Sissi apparaît aussi comme un partenaire-clé des Saoudiens, même si pour l’heure, elle est plus préoccupée par la menace de l’Etat islamique sur ses terres, que des velléités iraniennes dans la région.
Mai c’est bel et bien le Pakistan, le seul pays musulman à détenir l’arme nucléaire, qui pourrait devenir l’atout majeur dans la manche saoudienne.
En réponse à un futur accord avec l’Iran qu’il ne peut éviter, le royaume saoudien s’affaire, c’est un secret de polichinelle, à se doter lui aussi d’un arsenal nucléaire. Un protocole d’accord de coopération sur l’énergie nucléaire vient d’être signé avec la Corée du Sud, portant sur la construction de seize réacteurs à échéance 2030. Mais le nucléaire militaire dissuasif reste le principal objectif de Riyad. Depuis deux ans, d’ailleurs, des rumeurs enflamment régulièrement les médias concernant une bombe atomique made in Pakistan qui serait livrée à l’Arabie saoudite. Un échange de bons procédés, en somme, puisque le programme nucléaire d’Islamabad a été financé en grande partie par les Saoudiens.
En février, le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a été convoqué d’urgence à Riyad et accueilli royalement par ses hôtes. Un séjour qui a été suivi d’effet très concret, le Pakistan ayant transféré son ambassade au Yémen à Aden, où s’est réfugié le protégé des Saoudiens, le président Abd Rabbo Mansour Hadi.
Rappelons que le roi Salmane, quand il n’était encore que prince héritier, avait d’ailleurs accordé 1,5 milliard de dollars à Islamabad l’an dernier, afin de réaffirmer l’accord stratégique entre les deux pays. L’obtention du précieux sésame nucléaire dissuasif permettrait à Riyad d’entrer dans le club très fermé des détenteurs de l’arme atomique, et ainsi, de préserver son influence dans la région, face à un Iran conquérant et déterminé à retrouver sa place.
Jenny Saleh
Le «non» des républicains
En écho à la tribune véhémente du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, lors de sa venue au Congrès américain début mars, les sénateurs républicains ont publié lundi une lettre ouverte clamant leur hostilité à tout accord sur le nucléaire iranien. Signée par 42 sénateurs et publiée sur Internet, cette lettre envoyée à l’attention de la République islamique souligne que les accords internationaux sur le nucléaire iranien devront être adoptés au Congrès par une majorité significative et tenir compte du mandat des sénateurs.
«Compte tenu de ces deux dispositions constitutionnelles, cela veut dire que nous considérerons tout accord concernant notre programme d’armement nucléaire qui ne serait pas approuvé par le Congrès comme rien d’autre qu’un accord de l’Exécutif entre le président Obama et l’ayatollah Khamenei», écrivent les sénateurs. Et d’avertir qu’un tel accord pourrait être révoqué d’un «simple trait de plume et les futurs membres du Congrès pourraient en modifier les termes à tout moment».
Le vice-président américain, Joe Biden, a estimé que cette lettre constituait une tentative de «saper» l’autorité de Barack Obama.
Quant à Mohammad Javad Zarif, principal négociateur iranien du dossier nucléaire, il a déclaré qu’il s’agit surtout d’un «stratagème de propagande».