Après Fatmeh, Ali Chahrour présente une nouvelle performance, Leila se meurt – danse/concert/lamentation, du 19 au 29 mars, au théâtre al-Madina. Une rencontre entre le religieux et l’artistique.
Leila se meurt – Danse/concert/lamentation. «Le sous-titre donne d’emblée à la performance le côté d’un concert, explique Ali Chahrour, où Leila serait une chanteuse et les musiciens (Ali Hout et Abed Kobeissi) l’accompagnent sur scène comme un groupe. La musique entraîne la danse. Les lamentations se situent justement ainsi au niveau d’un concert, ce qui opère en même temps un retournement vers une situation dure; sur scène on voit quelqu’un qui célèbre des malheurs, mais on ne sait plus si elle joue ou si elle dit la vérité. Ce dilemme de Leila a induit la célébration». Leila est une pleureuse, un métier en voie de disparition, ou presque entièrement disparu. Un métier qui consiste à se rendre aux enterrements, à écouter les histoires relatives au mort, son passé, sa relation avec sa famille, à les transcrire en mots, en poésie, en lamentations, mis ensuite en musique et chantés.
«Leila est issue d’un background très religieux. Mais il y a dans son travail un côté spectaculaire et quand elle chante, c’est très artistique. Elle n’en est pas consciente, ni ceux qui l’écoutent d’ailleurs», ajoute Chahrour. Pourtant, Leila n’avait jamais auparavant enjambé une scène, et c’était la première fois même qu’elle entrait dans une salle de théâtre. Il a fallu du temps pour la convaincre. Surtout pour lui expliquer que ce qui allait s’effectuer sur scène est une rencontre entre le religieux et l’artistique. «Une rencontre qui peut être dangereuse mais qui est, en même temps, très puissante, parce qu’il faut insister sur le côté artistique; il ne s’agit pas simplement de préserver les traditions ou de placer une pleureuse sur scène. C’est avant tout une rencontre artistique».
L’essence du mouvement
Une fois qu’il a pu convaincre Leila, le processus chorégraphique a débuté. Un processus qui consiste en une répétition à laquelle il apporte un léger changement. «Ce qui fait peur dans ce genre de travail, explique-t-il, c’est que je ne peux pas proposer un mouvement, ce serait ridicule, d’autant plus que Leila a besoin de se mettre dans une certaine situation pour danser, elle ne peut pas le faire en fonction de directives extérieures». C’est donc elle qui propose le mouvement que Ali Chahrour adapte par des outils très limités, sans ajout technique ou danse moderne. Même ses mouvements à lui suivent ce processus. Tout se condense ainsi autour de l’essence même du mouvement de Leila. Pourtant, «Leila n’est pas l’héroïne de la performance. Elle existe car tous les autres existent, sa présence est liée à ceux qu’elle pleure. C’est ce qui explique aussi le titre de la performance, Leila se meurt».
Depuis début 2014, le public attend la deuxième performance de Chahrour, depuis Fatmeh où deux danseuses non professionnelles, Umama Hamido et Rania Rafei, ont donné corps et mouvement à la mélancolie ancrée dans nos sociétés arabes, et qui éclate dans les traditions des enterrements et du deuil. Cette performance était née à l’issue d’un travail de recherche entamé par Ali Chahrour pour sonder, ou plutôt faire émerger, l’authenticité de la danse contemporaine arabe, la qualité du mouvement du monde arabe. Ayant en tête de faire une trilogie, il est de plus en plus convaincu «de la richesse et de la puissance de cette danse arabe contemporaine. Il y a une identité, une qualité, des références du mouvement dans le monde arabe qui sont très fortes, au Liban plus particulièrement. Si on les laisse s’exprimer loin des contraintes religieuses et politiques, cela pourrait créer une base impressionnante de la danse contemporaine, reliée au contexte arabe, sans avoir besoin de se référer à des traditions européennes qui, d’ailleurs, ne nous impliquent pas».
Une deuxième performance donc et la promesse d’une troisième qui irait, une nouvelle fois, encore plus loin, toujours dans le cadre du deuil, des rituels de la mort, le seul espace-temps social et religieux qui permet à ces mouvements de s’exprimer dans une sorte de transe reliée à la tristesse. Tout en respectant ces donnes religieuses, traditionnelles, ces coutumes, Ali Chahrour les place dans un contexte artistique auquel le public peut se relier, mais qui le pousse à poser des questions, des questions qui devraient être actuellement posées.
Nayla Rached
Du 19 au 29 mars, à 20h30, au théâtre al-Madina.
Billets en vente à la Librairie Antoine et en ligne.