Jeudi 12 mars, les Emirats arabes unis ont ordonné à près d’une centaine de Libanais de quitter leur pays d’accueil. De confession chiite pour la très grande majorité d’entre eux, ils sont soupçonnés par les autorités émiraties de soutenir le Hezbollah, considéré à Abou Dhabi comme une organisation terroriste.
Ce ne seront sans doute pas les derniers. Forte de 150 000 personnes, la communauté des Libanais résidant aux Emirats est en émoi depuis que le 12 mars dernier, des dizaines de familles ont été notifiées de leur expulsion du territoire. La décision tombe comme un couperet. Sur les arrêtés, les autorités ont clairement indiqué que les expulsés devaient se défaire de tous les biens qu’ils possèdent avant de quitter le pays sous les 48 heures. Sachant que le vendredi, dans les pays du Golfe, est un jour férié, il ne restait aux Libanais éconduits que 24 heures pour effectuer toutes les démarches administratives. Hassan el-Ayan, président d’un comité représentant les Libanais expulsés du pays, était à l’aéroport tout le week-end pour accueillir les ressortissants qui arrivent au compte-gouttes, en totale discrétion. «Ils sont en état de choc. L’un d’eux me disait qu’il n’a pas eu le temps de vendre sa voiture et ses meubles. Tout ce qu’il a pu faire, c’est régler sa situation avec la société qui l’emploie et demander un document officiel autorisant les membres de sa famille qui sont encore aux Emirats de devenir les propriétaires de ses biens».
A l’heure où ces lignes sont écrites, les autorités émiraties n’ont donné aucune explication officielle. Visiblement, Abou Dhabi n’a pas informé au préalable les autorités libanaises de cette décision. Les ambassades et les consulats du Liban aux Emirats n’ont été prévenus qu’après décision prise, a expliqué le ministre libanais des Affaires étrangères, Gebran Bassil. Le Premier ministre Tammam Salam a sollicité le chef du gouvernement émirati et émir de Dubaï Mohammad Ben Rached Al Maktoum, tous deux présents à Charm el-Cheikh en marge d’une conférence économique. Diffusé par le bureau de presse du chef du gouvernement libanais, le communiqué qui a suivi cet entretien explique que «les Emirats arabes unis n’ont ni de politique ni d’intention visant spécifiquement les résidants libanais. Si des mesures ont été prises contre certains Libanais, elles sont certainement basées sur des considérations sécuritaires». Ce n’est pas l’avis de la grande majorité des chiites libanais résidant dans le Golfe qui s’expriment notamment sur les réseaux sociaux. «A cause de notre appartenance communautaire, nous sommes a priori accusés d’être des complices du Hezbollah», explique l’un d’eux. «Nous sommes devenus persona non grata», renchérit un autre.
Sous-entendant que les expulsés ont sans doute été fautifs, le secrétaire général du Courant du futur Ahmad Hariri, qui s’est rendu à l’ambassade des Emirats au Liban, s’est montré plus compréhensible face à la décision des autorités émiraties. «Tant que les Libanais se montrent loyaux aux pays qui les accueillent, ces pays protègeront leurs droits et leurs intérêts en retour. Les expatriés libanais se doivent de respecter la loi et la souveraineté du pays où ils résident. Tout manquement à ces devoirs constituerait une attaque contre ces pays et saperait le prestige des expatriés libanais dans leur ensemble», précise le communiqué qui a suivi cette visite.
Ces expulsés qui ont, pour la plupart d’entre eux, quitté leurs villages natals du Sud, sont montés à Beyrouth pour faire des études et ont tenté l’aventure de l’eldorado du Golfe sont retournés à l’envoyeur, sur des présomptions d’ordre politique, dans le cadre du grand bras de fer qui oppose les sunnites aux chiites dans la région.
Julien Abi Ramia
Trois séries d’expulsion en six ans
En 2009, des dizaines de chiites libanais avaient été expulsés des Emirats arabes unis dans les mêmes circonstances, en raison de leurs liens supposés avec le Hezbollah. A l’époque, le président du Parlement, Nabih Berry, avait réussi à convaincre le président des Emirats, Khalifa Ben Zayed, de garder les membres des familles des expulsés sur le territoire émirati.
En 2011, c’était au tour du Bahreïn d’expulser des ressortissants libanais de confession chiite, officiellement «pour des raisons de sécurité».
En juin 2013, 18 Libanais sont expulsés du Qatar après une décision du Conseil de coopération du Golfe (CCG) prévoyant des sanctions contre les «membres» du Hezbollah résidant dans ses pays membres, en raison de la «flagrante intervention du Hezbollah dans la crise syrienne».