Magazine Le Mensuel

Nº 2998 du vendredi 24 avril 2015

general

Mémoire arménienne… En noir et blanc

Mme Joséphine racontait avec émotion la déportation, la fuite, la terreur. L’arrivée dans les jardins d’orangers de Bourj Hammoud. Mme Joséphine n’est plus. Mais demeurent les photos de Vartan Dérounian qui racontent le tragique exode des Arméniens. Même réalité, même drame. Un trésor pour la mémoire, un devoir pour l’Histoire.
 

Pour ne jamais oublier les souffrances des milliers de personnes comme Mme Joséphine, ce photographe brillant et illustre du début du XXe siècle a immortalisé les camps de réfugiés de 1922 à 1936, à Alep. Localité que les déportés devaient absolument atteindre pour échapper aux massacres dont ils étaient victimes.
Des photos d’archives que le Centre culturel Tékéyan, sous la direction de l’historien Lévon Nordiguian, a mises à la disposition du public, à la galerie de l’Institut français de Beyrouth (jusqu’au 26 avril), dans la foulée des manifestations de commémoration du centenaire du génocide arménien.
Sur les murs blancs qui jouxtent la salle Montaigne, des pans de vie en noir et blanc font revivre l’arrivée et l’installation des réfugiés dans une ville dont ils ne parlaient même pas la langue, autour des habitations souvent insalubres dans lesquelles ils créchaient à plusieurs, entourés d’animaux domestiques. A travers l’exposition Vartan Dérounian 1922 -1936, témoin des camps arméniens d’Alep, on découvre comment vivaient quelques dizaines de milliers de personnes dans des baraquements, en terre battue, édifiés sur des rigoles, sous la toile ondulée; les bassines dans lesquelles ils se lavaient, leurs matelas superposés; leur linge, dans l’arrière-cour quand ce n’était pas carrément dans la rue… Des scènes domestiques intimistes, mais aussi des instantanés sur leur mode de vie ancestral: les femmes brodeuses, les métiers à tisser, les cordonniers (souvent en bas âge) à l’ouvrage; témoignage vibrant de leur désir de s’intégrer dans la société qui les avait recueillis. Il y a dans ces photos d’un autre siècle beaucoup d’enfants en manteaux de laine, aux grands yeux intenses, hagards, soucieux. Des groupes qui posent, visiblement en situation précaire, en habits d’époque, couvre-chefs et vêtements superposés. Il y a là des instantanés pris dans des écoles où les élèves accroupis par terre utilisaient les bancs comme pupitres, dans des «salles» qu’une simple tenture sépare. Il y a surtout ces portraits de vieillards sur le pas de ce qu’ils étaient heureux de considérer comme leur porte et ces regards soutenus des femmes au voile sur la tête qui en disent bien long…
Une exposition triplement émouvante où l’ombre parle et redonne la parole à ceux qui ont vécu l’enfer: des photos d’archives précieuses d’une grande qualité esthétique, une rétrospective sur une «entorse» innommable dans l’histoire de l’humanité et, aussi, un rappel douloureux que la bêtise et l’horreur n’ont pas de fin, quand on pense au sort que subit aujourd’hui Alep, glorieuse et fière il y a à peine quelques mois encore.

 

Gisèle Kayata Eid
 

L’ouvrage
Mémoire arménienne par Vartan Dérounian (aux Presses de l’Université St-Joseph), d’où sont extraites les photos de l’exposition, est en vente dans les librairies. L’ouvrage de 127 pages comporte 74 photographies tirage papier sur les camps de réfugiés à Alep (1922-1936). Il est introduit par Lévon Nordiguian et commenté par deux spécialistes du génocide arménien, Raymond Kévorkian et Vahé Tachjian, et de Jean-Claude David, fin connaisseur d’Alep, qui éclairent le rôle de la plaque tournante qu’était Alep dans cette phase cruciale de l’Histoire des Arméniens.

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