L’ambiance aujourd’hui ressemble à celle qui prévalait en 2012, à la veille de la décision du Hezbollah de s’impliquer directement dans la guerre en Syrie pour rééquilibrer les rapports de force, qui penchaient en faveur de la rébellion islamiste. La situation est même plus complexe et plus dangereuse car, depuis, deux nouvelles guerres ont éclaté: celles d’Irak et du Yémen.
Les informations sur la «chute imminente» du régime syrien envahissent de nouveau les salons, accompagnées d’une vigoureuse campagne médiatique destinée à saper le moral des troupes syriennes. Ici on annonce la mort de Bachar el-Assad, tué accidentellement par son garde du corps «iranien», là on diffuse un enregistrement sonore du président syrien, dans lequel il annonce sa fuite de Damas (un faux… d’excellente qualité). Ou encore, on fait circuler des rumeurs sur l’abandon par l’Iran de son vieil allié syrien, ce qui expliquerait les récents revers subis par l’armée régulière à Idlib et Jisr el-Choughour.
En 2012, la participation du Hezbollah à la guerre syrienne, qui avait culminé au printemps 2013 avec la bataille de Qoussair, avait suscité des critiques sans précédent. Le parti avait été accusé de faire primer les intérêts du régime syrien aux dépens de ceux du Liban et d’attirer sur les Libanais les foudres des jihadistes. Les crispations provoquées par cet épisode avaient retardé de dix mois la formation du gouvernement de Tammam Salam. Entre-temps, le pays a été frappé par une vague d’attentats suicide, qui ont fait des centaines de morts et de blessés.
Aujourd’hui, après l’annonce de l’imminence de la grande bataille du Qalamoun, on assiste à une levée de boucliers similaire. Le même vocabulaire est réutilisé, par les mêmes visages, comme le député Okab Sakr, dont on avait presque oublié l’existence. La décision du Hezbollah d’anéantir les jihadistes du Qalamoun, comme il l’avait fait à Qoussair, est jugée par une partie de la classe politique dangereuse pour l’unité et la stabilité du pays. Dans les milieux du Courant du futur et du 14 mars en général, on recommence à parler de la «fitna», qui aurait comme point de départ le Qalamoun. Il reste à expliquer aux Libanais en quoi le fait de déloger le Front al-Nosra et Daech de l’Anti-Liban, qu’ils ont transformé en sanctuaire, menacerait l’unité interlibanaise. D’autres affirment que la défense des frontières est du ressort de l’armée nationale et non pas du Hezbollah. Ceci est vrai dans l’absolu. Mais on sait que la mission de l’armée est plus défensive qu’offensive et que, de toute façon, aucune des armées arabes impliquées dans des guerres contre les jihadistes n’est parvenue à remporter la bataille sans le soutien d’auxiliaires et de forces supplétives. C’est le cas en Irak et en Syrie.
Quoi qu’il en soit, l’histoire dira laquelle des deux visions était la plus pertinente: coexister avec des milliers de jihadistes d’al-Qaïda et de l’Etat islamique à nos frontières ou œuvrer à leur éradication.
L’ambiance actuelle montre que les tentatives de limiter l’impact des événements régionaux sur le Liban ont échoué. L’impression d’apaisement, née des multiples dialogues initiés entre les protagonistes dans le but de faire baisser la tension, n’était qu’illusion. Si l’histoire est appelée à se répéter, cette crispation pourrait aboutir à des blocages politiques. L’élection présidentielle serait alors reléguée aux calendes grecques, le Parlement serait incapable de se réunir pour légiférer et, plus grave encore, l’Exécutif serait frappé de paralysie et le gouvernement se limiterait, alors, à l’expédition des affaires courantes.
Il ne reste plus qu’à espérer que la stabilité soit toujours une ligne rouge imposée et protégée par les grandes puissances.
Paul Khalifeh