Le président du Conseil supérieur de la magistrature, Jean Fahed, a participé à un colloque qui s’est tenu à Budapest pour marquer le 4e anniversaire de l’adoption de la nouvelle Constitution hongroise. Seul non-Européen à être convié à cette manifestation, le président Fahed a donné une conférence sur le thème Dialogue et identité.
«Ne faut-il pas mettre à l’avant le système du pluralisme culturel libanais, à l’heure de la mondialisation des mosaïques communautaires, ethniques et religieuses dans presque tous les pays, et le proposer comme solution?», s’est interrogé le président Fahed.
Il a rapidement brossé l’histoire des empires qui, en 1 300 ans, se sont succédé dans le monde arabe. Dans les années 1940-1950, l’idée d’une nation arabe intégrant tous les arabophones, apparut durant la Nahda du XIXe siècle, souffla de nouveau. La Syrie, l’Irak et l’Egypte s’y essayèrent. L’idée était simple: tout individu se trouvant dans l’espace national est citoyen de l’Etat, en principe, laïque.
Mais qu’en fut-il dans la réalité? Dans les faits, on chercha à camoufler toute appartenance communautaire, ethnique, tribale ou linguistique. Ainsi, l’identité laïque à l’arabe ne put constituer par la seule force d’une constitution laïque, une identité arabe viable au-dessus de tous les clivages.
En conséquence, cinquante ans après l’émergence de l’Irak, de la Syrie et de l’Egypte, ces identités communautaires prirent leur revanche, et des mouvements politiques d’inspiration fanatique se dressèrent pour faire le procès de la laïcité qui, pour eux, sert à détourner les musulmans des enseignements religieux et des principes moraux musulmans et à détruire la nation islamique,
la Oumma.
L’horreur du néo-jihadisme
Ce faisant, ces fanatiques tombent dans la même erreur que l’Arabité, c’est-à-dire dans une vision totalisante et totalitaire de la société, qui rejette tout ce qui n’est pas elle. Tout comme l’Arabité avait tenté d’éradiquer leur histoire, leur culture et les droits communautaires acquis, ne réussissant à le faire, en réalité, que dans la conscience de la communauté majoritaire, qui les traitait en inférieurs, les néo-jihadistes de «Daech», avec des outils appartenant aux périodes sombres de l’humanité, font redécouvrir au monde entier, le triste sort réservé aux «différents», que ce soit en Syrie ou en Irak.
Le Liban, lui, a choisi d’être plus pragmatique. Riche de l’expérience d’un gouvernement basé sur le partage communautaire du pouvoir, qui s’était incarné dans les régimes des deux caïmacamiats et de la mutassarifia, le Liban réalisait la nécessité de concilier la généralité de la norme juridique avec les spécificités des communautés du territoire, afin de construire, avec la patience du tapissier, une identité constitutionnelle libanaise.
En 1926, une première Constitution vit le jour. Elle garantissait le statut de chacune des communautés, ainsi que le maintien de l’indépendance des lieux de culte et des institutions scolaires et éducatives communautaires. En outre, les communautés gardèrent le droit de légiférer et une compétence judiciaire en matière de statut personnel.
En 1943, un Pacte national exprima le consensus par lequel les Libanais acceptaient de sacrifier une partie de leurs héritages pour édifier les orientations de base de l’Etat libanais. Fait unique dans l’Histoire: des chrétiens et des musulmans contribuèrent, ensemble, à la création d’un Etat.
Joëlle Seif
La Constitution de Taëf
En 1990, la Constitution libanaise dut subir des amendements à la suite des accords de Taëf, et on précisa qu’aucune légitimité ne serait reconnue à un quelconque pouvoir qui contredirait le pacte de vie commune. C’était l’acceptation de toutes les communautés comme partenaires à part entière dans la patrie, indépendamment de leur poids démographique. La démocratie consensuelle voyait ainsi le jour. Vu de l’extérieur, le système constitutionnel libanais peut paraître complexe et peu apte au développement de la société. Mais l’ancrage des valeurs et la reconnaissance du pluralisme religieux et culturel dans la Constitution ont permis à celles-ci de s’enraciner dans la conscience de tous les Libanais. Aussi, sont-ils parvenus à constituer ensemble, un dénominateur commun, un médiateur politique entre le culturel et le juridique. C’est la convivialité ou la convivance.