Il ne s’agit pas de rendez-vous secret, mais d’un appel ouvert à Beyrouth à respirer en poésie, à aller à la rencontre des mots et des auteurs vivants, aux deuxièmes rencontres littéraires de la Maison internationale des écrivains à Beyrouth, qui ont eu lieu les 8 et 9 mai au théâtre Gemmayzé.
L’espace de quelques jours, le week-end dernier, la poésie et les poètes se sont tellement mêlés à la ville que plus rien n’était étranger, de croiser l’un ou l’autre dans un café, peu de temps avant le rendez-vous. D’ailleurs, qu’y a-t-il d’étranger encore à cela quand, peut-être pas tous, mais on est plus nombreux qu’on ne le croit, dans nos discussions de tous les jours, ou presque, nous échangeons avis et contre-avis autour de la poésie, quand même sur nos murs virtuels Facebook, nous donnons en partage telle ou telle phrase, vers, prose, lus ou chéris. La poésie, un mot à désacraliser, à dépoussiérer, à débarrasser du sacro-saint «sérieux» dont on pourrait se prétendre, parce qu’il est émaillé de découvertes quotidiennes aussi précieuses que jouissives.
Le mot, le poème, n’est peut-être qu’une rencontre, qu’un espace d’échange, de communication, de l’intime vers le public, toujours intime, toujours partagé. C’est cette sensation d’immanente ambiguïté qui régnait lors de ces rencontres organisées par la Maison internationale des écrivains à Beyrouth et l’Université Rennes 2. Poésie et performance – 12 poètes dans la ville, même si, au final, ils étaient 10 poètes, Fouad Fouad et Keston Sutherland n’ayant pu faire le déplacement.
Entre le sacré et le profane, le mot du poème, entre le poète et le public, des vases communicants de sensations, d’émotions, autour d’un silence tissé de murmures. Si l’occasion ne s’est pas présentée, effervescence culturelle oblige, d’assister à plus de quelques lectures, en fonction aussi évidemment des choix personnels, il suffit de s’imprégner de l’ambiance qui y régnait, de se saisir de ce «petit vent plein de secrets et qui ne souffle mot, mais se contente de respirer tout bas», pour reprendre l’émerveillement engendré par le poète belge Guy Goffette.
La poésie, ici et maintenant
C’est un autre poète belge qui a ouvert les rencontres, William Cliff, qui vient de recevoir le prix Goncourt 2015 de la poésie Robert Sabatier pour l’ensemble de son œuvre. Ouvert au public tout en gardant le regard rivé sur son monde intérieur, il a lu des extraits de ses recueils, notamment Autobiographie et America, qui, au grand bonheur des lecteurs, étaient disponibles à l’achat. Puis, exercice périlleux et très rare, l’auteur français Pierre Parlant a lu des extraits de son travail en cours, fruit de sa résidence d’écriture à Beyrouth au mois d’avril, évoquant ce «sentiment paradoxal d’une nostalgie anticipée». Leur ont succédé, le jour même et le lendemain, Hind Shoufani (Palestine), Andrea Brady (Etats-Unis), Jad Hatem (Liban), Faouzi Yammine (Liban), Sébastien Lespinasse (France), Carles Duarte (Espagne), Iskandar Habache (Liban) et Florence Pazzottu (France).
Au-delà du moment présent, l’intérêt de ces rencontres, telle est d’ailleurs l’une des missions de Beyt el-kottab, réside dans la possibilité donnée aux Libanais d’avoir accès à ces auteurs, à ces poètes contemporains, internationaux, qu’on n’aurait pas l’occasion de connaître autrement; par manque de librairies et bibliothèques, que ce soit pour des consultations sur place ou pour un achat, qui proposeraient sur leurs étagères d’autres titres que les «best-sellers» du moment, à moins de trouver la perle rare, cela arrive des fois; par manque aussi de conseils guidés, Internet n’étant pas aussi fiable et riche qu’on le souhaiterait; par manque de curiosité surtout par rapport à la littérature contemporaine. C’est qu’on ne cesse de ressasser, de remanier Baudelaire, Rimbaud et les autres, l’image du poète maudit et de l’albatros déchu, de se demander si la poésie peut exister au-delà de ce XIXe siècle français qui l’a instaurée, et pour nous francophones, enserrés dans un cercle vicieux, d’occulter ce qui se crée au-delà de la langue française, oubliant même notre langue natale, notre langue arabe, sa poésie, ses poètes, ici et maintenant. Une ouverture à la littérature contemporaine, vivante, internationale, toutes langues confondues, la Maison internationale des écrivains à Beyrouth nous tend les bras. En attendant les prochaines rencontres!
Nayla Rached