Venu au Liban annoncer la création d’un Conseil économique et social de la Méditerranée, mais aussi pour demander au gouvernement libanais de permettre au CES libanais de mieux fonctionner, Henri Malosse, président du Conseil économique et social européen (CESE), a accordé une interview à Magazine.
Vous avez annoncé la création d’un Conseil économique et social de la Méditerranée. Quel sera son apport pour les pays du pourtour méditerranéen, notamment pour le Liban?
Il faut faire émerger des projets concrets de développement et de coopération, et ce sont les acteurs économiques et sociaux qui sont le plus à même d’y parvenir. C’est la raison pour laquelle je trouve qu’il manque une plateforme indépendante du monde politique et financier pour développer des projets efficaces.
Vous êtes également venu pour demander au gouvernement libanais de permettre au Conseil économique et social (CES) de mieux fonctionner. Votre requête a-t-elle des chances d’être prise en considération?
J’espère que le gouvernement et le Parlement ont compris qu’il y avait une vraie urgence à nommer les membres du CES. Je suis en faveur de la politique des petits pas, pourquoi donc ne pas le faire dans les plus brefs délais? La réponse a été franche et claire: cela n’est pas possible en raison des blocages politiques. Mais j’espère que les autorités ont compris mon message: il est crucial pour le Liban de prendre des mesures concrètes pour faire fonctionner le CES libanais. Le blocage politique n’est qu’un prétexte pour ne rien faire.
Sur quelles questions la société civile des pays de la Méditerranée peut-elle se concerter?
Les sujets d’intérêt commun sont nombreux: le développement économique et social, la création d’emplois, la formation des jeunes, mais aussi les questions relatives au climat et à l’environnement. D’ailleurs, j’étais à Marseille récemment pour préparer la grande conférence de Paris sur le climat, qui aura lieu en décembre prochain. A l’occasion de cette conférence, le président François Hollande a demandé à la société civile en Méditerranée de se mobiliser sur la question du climat.
Concrètement, comment activer les dossiers et combattre les lenteurs administratives?
Le Liban doit présenter avec précision et avec un ordre de priorités ses demandes. Comment, par exemple, redynamiser la situation économique? De quoi a-t-il besoin en urgence et sur le long terme? Quels sont les secteurs dans lesquels il souhaite être aidé? Nous sommes prêts à détacher des collaborateurs pour apporter conseils et expertises, à recevoir des délégations pour accélérer les choses. En effet, le Liban avait sollicité l’aide de l’Union européenne par le passé, mais il y a eu une lenteur dans les réponses. Nous devons œuvrer afin de faire bouger les choses. Dans un autre registre, l’opinion publique en Europe ne connaît pas les difficultés auxquelles est confronté le Liban. Il faut donc utiliser la communication de façon à ce que les responsables politiques agissent vite et plus concrètement.
Vous avez fait part, lors de cette visite, de votre admiration à l’égard du Liban, capable d’accueillir un si grand nombre de réfugiés syriens. Or, le pays ploie sous le poids de la crise économique, qui s’amplifie. Quel rôle pouvez-vous jouer auprès de l’Union européenne pour la convaincre d’aider le Liban dans ce domaine?
Il faut communiquer davantage et je peux certainement contribuer à cela. Je propose que nous appuyions les ONG pour établir des camps d’accueil avec des conditions de vie et d’éducation dignes.
D’aucuns demandent un plan Marshall pour la Méditerranée. Qu’en pensez-vous?
Je vais donner l’exemple de la Grèce, qui a reçu des transferts financiers très importants. Mais qu’en a-t-elle fait? On leur a prêté de l’argent pour qu’ils le dépensent chez nous. Le pays s’est endetté et ne s’est pas enrichi. Il faut réfléchir à ce que doit être la priorité d’un plan Marshall. A mon avis, il faudrait soutenir les entrepreneurs locaux, les jeunes, les petites entreprises, les aider à devenir moyennes; il faut soutenir les moyennes à devenir plus grandes; il faut préserver les intérêts du pays dans ce sens: soutenir les investissements et encourager la diaspora libanaise à investir davantage dans son pays d’origine.
Propos recueillis par Danièle Gergès
Le CESE en bref
Henri Malosse est le responsable de la cinquième institution de l’Union européenne, en l’occurrence le CESE, créé en 1958, constitué de 350 membres et doté de 13 millions d’euros de budget. Plus d’un millier de fonctionnaires travaillent au sein du CESE et sont essentiellement chargés d’établir des rapports, de mener des études d’impact et de donner leur avis sur les propositions européennes.
Roger Nasnas, l’initiateur
Roger Nasnas, président du Conseil économique et social, est à l’origine d’un CES de la Méditerranée. Comment cette idée a-t-elle germé dans son esprit?
Henri Malosse vous a rendu hommage, à maintes reprises, assurant que vous êtes à l’origine de la création d’un Conseil économique et social de la Méditerranée. Comment avez-vous réussi à convaincre les instances concernées de la nécessité d’en créer à vocation régionale?
Avant de réussir à les convaincre, je devais l’être moi-même. Or, j’ai l’honneur de dire que tout en étant homme d’affaires, le CES a beaucoup enrichi mon expérience. De ce fait, on m’appelle le militant de la participation civile à titre consultatif aux décisions économiques et sociales, compte tenu de mon expérience sur le terrain. Je suis donc devenu un fervent défenseur de ce dialogue consensuel, basé sur des études pragmatiques et techniques. En tant que président de ce conseil, je me suis tourné vers l’Europe, précisément vers le CESE, pour obtenir son assistance technique et son support afin de m’aider à avancer plus rapidement dans ma tâche. Cette relation a vite évolué vers des réunions avec les autres conseils de la région, que ce soient les Conseils européens ou certaines instances du Maghreb, comme le Maroc et l’Algérie. Entre-temps, l’Union pour la Méditerranée (UMP) a été créée par le président Nicolas Sarkozy et j’ai considéré que la société civile devait donner son avis. Avec les décideurs politiques de l’UMP, nous avons demandé que les conseils puissent avoir un rôle d’observateurs. Henri Malosse a non seulement encouragé l’idée, mais il l’a faite sienne. A Marseille, nous avons pu nous réunir, discuter de l’idée et signer un accord de principe, qui se concrétisera rapidement. Ceci est dans l’intérêt des pays du sud de la Méditerranée, notamment le Liban.
Comment cette initiative se concrétisera-t-elle pratiquement? A votre avis, pourquoi le gouvernement libanais n’aide-t-il pas le CES comme il se doit?
Quand on fait participer la société civile, on en fait un projet d’Etat et non de gouvernement, tout le monde est ainsi mobilisé. J’ai été un peu trop optimiste en pensant qu’en trois ans, je pouvais en faire une institution performante, à l’image d’autres Conseils économiques et sociaux. Je m’étais trompé. Il fallait habituer la société civile et les hommes politiques à l’idée d’un CES avec ma foi et mon enthousiasme. J’ai opéré seul, puisque le mandat des membres était terminé et que je devais gérer les affaires courantes. Je ne manquais pas de mettre les responsables politiques au courant et j’avais leur aval. Le gouvernement devait nommer les 60 membres, il n’a pas pu le faire à cause des tiraillements politiques. J’espère qu’avec l’élection d’un nouveau président de la République et la formation d’un nouveau gouvernement, les nominations seront débloquées. Le conseil entamera alors, en parallèle avec les études qu’il mènera, le chantier du renouveau du CES: recrutement informatique, modification de certains articles de loi et du règlement intérieur. Mais finalement, ce qu’il y a à retenir c’est que la reconstruction du Liban doit se faire en complémentarité entre l’Etat, la société civile et les secteurs privés.
Propos recueillis par Danièle Gergès