Magazine Le Mensuel

Nº 3008 du vendredi 3 juillet 2015

POLITIQUE

Saudi cables. Le silence embarrassé des politiques libanais

La publication des dépêches du fameux site WikiLeaks ne cesse de créer des remous sur la scène locale libanaise et chaque jour apporte avec lui un nouveau lot d’informations. Les hommes politiques cités par les câbles gardent un silence embarrassé.
 

Dans l’un de ces câbles, le député Walid Joumblatt est largement mentionné. Alors que le leader druze voudrait donner l’impression que la relation entre l’Arabie et lui est basée sur l’amitié, il semble que, de leur côté, les Saoudiens ne partagent pas le sentiment du bey. Dans un câble remontant à 2010 et attribué au ministre des Affaires étrangères Saoud el-Fayçal, celui-ci traite Joumblatt avec beaucoup de froideur. Pourtant à cette époque, la relation entre les deux hommes n’était pas rompue et Joumblatt faisait partie du gouvernement de Saad Hariri. A l’époque où cette dépêche a été publiée, une réconciliation syro-saoudienne était en cours et on assistait à un rapprochement entre Saad Hariri et le président syrien Bachar el-Assad. Joumblatt était inquiet. Selon l’ancien ministre Ghazi Aridi, son inquiétude venait de son sentiment d’avoir été laissé seul. Un sentiment qui serait atténué si le roi d’Arabie et le prince Saoud el-Fayçal accepteraient de recevoir Joumblatt et son fils Taymour.
 

Rupture avec Riyad
Selon l’ambassadeur Ali Awad Assiri, la peur de Joumblatt de l’attitude de la Syrie à son encontre le pousserait à attirer l’attention de l’Arabie par n’importe quel moyen, en se rapprochant du 8 mars ou en montrant sa capacité à gêner l’action de Saad Hariri. En même temps, Joumblatt prépare son fils à lui succéder, après avoir échoué à retrouver les faveurs de Damas. L’inquiétude du leader druze pourrait aboutir à des résultats négatifs qui auraient, à leur tour, des répercussions sur la ligne politique que mène Hariri. Se basant sur ces données, Saoud el-Fayçal a proposé d’accepter la requête de Joumblatt pour visiter le royaume.
Au début de l’année 2011, la relation entre l’Arabie et Joumblatt est rompue à la suite de la participation du leader druze au «coup d’Etat» contre le gouvernement de Saad Hariri et la nomination de Najib Mikati pour lui succéder. La relation était restée mauvaise jusqu’au déclenchement de la crise en Syrie, en 2011. En 2012, Joumblatt a visité le Qatar. L’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ali Awad Assiri, a établi un lien entre cette visite et la levée du plafond des critiques adressées par Joumblatt au régime syrien lorsqu’il a appelé les druzes de Syrie à déserter l’armée syrienne. Malgré le fait que d’autres dépêches saoudiennes aient mis ces propos sur le compte d’une tentative de «s’attirer les sympathies du royaume», un rapport présenté par le chef des Renseignements saoudiens, Mokren Ben Abdel-Aziz, au roi Abdallah, a attribué à la rencontre de Joumblatt avec l’émir du Qatar une dimension financière, liée à la guerre en Syrie. Mokren allègue que la visite de Joumblatt au Qatar a pour but le financement de toute activité populaire que pourraient entreprendre les druzes en Syrie. Selon lui, il existerait une coordination entre Joumblatt et les druzes de Syrie. Joumblatt aurait eu l’intention d’acheter avec le don du Qatar des armes destinées aux druzes de Syrie, d’appuyer les dissidents de l’armée régulière et de les pousser à rejoindre les rangs de l’Armée syrienne libre. Dans une dépêche adressée par Saoud el-Fayçal à son roi, et dans laquelle il lui explique la situation au Liban, parlant de Joumblatt, il dit: «Le cheikh Ahmad el-Assir a appelé à un sit-in à Beyrouth contre le régime syrien. Certains disent qu’il a été encouragé par Walid Joumblatt et par les fonds qataris, ce qui a poussé le bureau de Walid Joumblatt à nier toute contribution à l’organisation ou à l’appel à tenir ce sit-in. Pourtant, ce démenti n’a pas convaincu un ami du seigneur de Mokhtara. Il paraît, a ajouté Fayçal, que Walid Joumblatt avait pour but de faire pression sur Bahia Hariri, vu que le cheikh Assir est originaire de Saïda, fief de la famille Hariri». Le 4 mars 2012, une décision royale a été publiée refusant le rétablissement des relations entre les Saoudiens et Joumblatt. Deux jours après la décision de refus, l’ambassadeur d’Arabie saoudite a envoyé une dépêche dans laquelle il faisait part de l’intention du leader druze de visiter le royaume.

 

Les rapports de Siniora
Le mois suivant, Joumblatt est reçu par Fayçal à Jeddah. A ce moment, le chef du PSP avait placé la visite dans un cadre personnel. Quelques jours plus tard, le ministre adjoint des Affaires étrangères, Abdel-Aziz Ben Abdallah, envoie une dépêche à Fayçal l’informant qu’il avait reçu un appel du secrétaire d’Etat adjoint pour les Affaires du Proche-Orient, Jeffrey Feltman, lui annonçant avoir «reçu un mail de la part de Walid Joumblatt lui disant qu’il avait présenté «ses excuses» concernant ses anciennes positions et lui avait fait part de son intention «de coopérer et de travailler selon la vision du royaume concernant la situation dans la région et en particulier sur la scène libanaise».
L’ancien Premier ministre Fouad Siniora figure aussi en bonne place dans les dépêches WikiLeaks. Bien que sa relation avec les Saoudiens ne soit pas aussi solide que celle qu’il entretient avec les Américains, Siniora fait quand même l’éloge du roi de temps à autre, exécute scrupuleusement la politique saoudienne et présente des rapports réguliers sur son activité. Dans une des dépêches, l’ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban déclare avoir reçu de la part de Siniora la copie d’une lettre qu’il aurait adressée au chef du gouvernement irakien de l’époque, Nouri el-Maliki, dans laquelle il manifestait sa surprise de l’entendre déclarer qu’il n’envisageait pas la chute du régime syrien et qu’il ne voyait aucune raison justifiant sa chute. Siniora faisait également part de son intention de poursuivre cette affaire auprès de Maliki et de son engagement à le faire changer d’avis.
Les dépêches publiées rapportent également que l’ancien ministre Mohammad Safadi, au cours d’une réunion avec l’ambassadeur d’Arabie, se serait excusé auprès de lui pour avoir nommé Najib Mikati. Il aurait confié qu’il y avait eu une grande erreur dans le mécanisme de la nomination de Mikati. Il aurait également justifié la nomination de celui-ci en disant qu’il était une «garantie pour le Liban contre une guerre civile» et que «la composition du gouvernement présente plus de chance pour l’entente».
L’homme d’affaires libanais Roger Eddé, président du Parti de la paix, voudrait, d’après les dépêches, jouer un rôle politique local et régional. Il a confié au ministère des Affaires étrangères saoudien qu’il était en contact avec le dénommé Louay Zohbi, un salafiste syrien, actif sur le terrain, comptant de nombreux combattants et partisans dans plusieurs régions de Syrie, notamment dans les environs de Deraa. Eddé aurait également aidé des salafistes en utilisant son pouvoir et ses connaissances pour les présenter aux médias. Zohbi aurait été accueilli sur la CNN et la chaîne al-Arabia. Eddé aurait proposé ses services pour faciliter la coordination entre Zohbi et l’Arabie si celle-ci le souhaitait.

 

Joëlle Seif 

Les promesses de Mujtahidd
Depuis le mois de novembre dernier, un compte Twitter appartenant au dénommé Mujtahidd relate les détails confidentiels de la famille royale saoudienne. Ses révélations n’épargnent personne, commençant par le roi. Son identité est toujours tenue secrète, mais on le soupçonne d’être un prince, membre de la famille royale saoudienne ou alors une personnalité proche des cercles de décision, tant ses informations sont précises. Dans l’un de ses tweets, le fameux Mujtahidd affirme que tout ce qui a été dévoilé par WikiLeaks n’est rien comparé à ce qui ne l’a pas été, promettant des révélations encore plus graves. Il a estimé que toutes les dépêches qui ont été publiées ne contiennent rien de nouveau qui sorte de la ligne politique déclarée du ministère des Affaires étrangères.

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