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Mouna Béchara

Epines d’un ego

Tout va très bien, dans le meilleur des mondes, mon général. L’économie est florissante, les entrepreneurs investissent, la scolarité est assurée à tous, les emplois sont garantis, la santé pour tous n’est pas qu’un simple slogan. De quoi donc les Libanais se plaignent-ils? Pourquoi alors affrontent-ils les aventures de l’émigration pour assurer leur survie et celle de leurs familles? Nous avons tous entendu le cri d’alarme des associations économiques.
Une évidence saute aux yeux, celle de la disparition de la classe moyenne, considérée, il y a quelques années encore, source de richesse et de stabilité pour le pays. Celle des salariés, des fonctionnaires et même des agriculteurs, qui menacent d’abandonner des terres qui ne leur offrent plus les moyens de survivre. Ils ne bénéficient d’aucune aide leur permettant de résister. Autant de catégories sociales, qui ont fui le chômage et les difficultés du quotidien, pour un climat plus clément, offrant aux pays d’accueil leur savoir-faire et leur énergie.
Les associations économiques, acculées à se séparer de leurs employés, ont lancé un cri d’alarme que n’ont entendu que ceux que le pays ignore. Tout cela pour satisfaire, quel qu’en soit le prix, l’ambition démesurée de certains qui se targuent de représenter le peuple sous la coupole où il les a amenés. Ceux qu’ils ignorent et qui parlent en leurs noms. Ceux qui ne parviennent pas à se réunir pour élire un président de la République. Les conseils distribués de l’intérieur sifflent dans le désert en attendant l’intervention de facteurs étrangers, d’ailleurs imprévisibles. Les citoyens sont fatigués, parfois même dégoûtés, et pour cause, de cette guerre qui ne dit pas son nom, mais qui ne cache pas ses causes. Des courants politiques et non des moindres mènent une bataille qu’ils savent sans issue et n’y renoncent pas pour autant. Sous le slogan «protéger les chrétiens» et sauvegarder leur existence dans le dernier bastion de cette région du Levant, des forces chrétiennes, qui s’approprient une popularité, certes incontestable mais isolée, se targuent du droit absolu au pouvoir dans un pays qui a toujours promu l’entente entre les communautés et, plus exactement, comme l’a toujours revendiqué le président Hussein Husseini, celui de la vie en commun.
Les alliés du CPL laissent transpirer une certaine lassitude de cette bataille qui n’obéit à aucune logique. Le Hezbollah ne va pas aussi loin que son allié dans ses exigences et, tout en soutenant ostensiblement la candidature du général Michel Aoun à la première magistrature de l’Etat, n’a pas intérêt à le suivre jusqu’au bout. Les déclarations tonitruantes de certains membres éminents des cadres du parti de Dieu ont desservi le général, qui se voudrait la personnalité du consensus et de l’entente. Mais, selon des analystes chevronnés, le Hezb se trouve une certaine légalité par sa participation au gouvernement, laissant ainsi dire, non sans hypocrisie, que le parti de Dieu a un double visage: politique fréquentable, celui de sa présence dans le gouvernement, et militaire, qualifié sans vergogne de terroriste. Il souhaite donc ne pas encourager la chute d’une couverture dont il bénéficie. Les parlementaires engagés auprès du général Aoun ne semblent guère enthousiastes à le soutenir jusqu’au bout dans ses aventures, c’est du moins, ce qu’avancent les analystes.
Les dialogues, on ne le dira jamais assez, entre forces antagonistes, restent utiles même s’ils ne semblent pas porter de fruits. Ils serviraient, en quelque sorte, à apaiser les tensions entre les partisans des uns et des autres. Mais jusqu’où pourront-ils continuer à camoufler leurs différends?
Enfin, dans son discours inaugural, le président du parti Kataëb, Samy Gemayel, a largement insisté sur sa volonté de se démarquer de tous. Ignorant la revendication du chef du Courant patriotique libre, il s’est adressé au peuple, évoquant les soucis que les citoyens connaissent. Il a pratiquement fait l’inventaire de leurs problèmes donnant, enfin, l’exemple d’un responsable averti de la tâche qui lui incombe et de la lourde responsabilité qu’il n’occulte pas. Il a rendu l’espoir d’un renouveau, que le jeune député et chef de parti promet de construire, tout en sachant parfaitement que son chemin sera bloqué par des épines d’ego et d’ambitions démesurées. Bon courage!

Mouna Béchara

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