Magazine Le Mensuel

Nº 3011 du vendredi 24 juillet 2015

POLITIQUE

Otages militaires. L’appel au secours d’al-Nosra

Dans un soudain et inhabituel élan de mansuétude, le Front al-Nosra a invité les familles des seize militaires qu’il détient en otages à leur rendre visite. Une opération marketing pour tenter de relancer les négociations.
 

L’offre du Front al-Nosra a coïncidé avec la fête du Fitr et elle a été présentée comme un souci de la part des ravisseurs d’alléger la souffrance des otages et de leurs familles en cette période de fête. Elle est aussi intervenue au moment où l’émissaire officiel chargé de négocier la libération des otages, le général Abbas Ibrahim, avait déclaré que l’accord était pratiquement conclu et il ne reste plus qu’à s’entendre sur le mécanisme de son exécution.
Pour assurer cette visite, les ravisseurs et leur principal interlocuteur à Ersal, le cheikh Moustafa Houjeiri dit Abou Takié, avaient préparé trois autobus qui ont pris la direction du jurd ayant à leur bord les familles presque au complet chargées de cadeaux, de vêtements et de nourritures destinés aux otages isolés depuis le dur hiver dans la région. Les familles des otages étaient prêtes à tout accepter et à tout subir pour pouvoir voir leurs enfants, maris ou pères. Elles ont donc subi un long et fatigant périple à l’aller et au retour mais au moins, la rencontre avec leurs proches en valait la peine puisqu’apparemment, ceux-ci sont apparus en relative bonne santé.
Mais au-delà de l’aspect humanitaire − qui reste discutable, car on peut difficilement croire que cette initiative d’al-Nosra est dictée uniquement par la compassion envers les otages et leurs familles −, cette visite inattendue a permis au Front al-Nosra d’envoyer des messages précis aux autorités libanaises. C’est d’ailleurs pour remplir cette mission qui leur a été confiée que les familles des otages se sont rendues au lendemain de leur retour de ce périple difficile chez le ministre de la Santé, Waël Abou Faour. Selon les informations qui ont filtré, al-Nosra aurait voulu faire savoir aux autorités libanaises qu’il serait prêt à accélérer le processus de libération à condition de modifier quelques dispositions de l’accord, concernant notamment le fait de lui permettre de s’installer dans certaines localités entre la région du Zabadani et celle du Qalamoun. Les combattants d’al-Nosra dans cette région seraient dans une situation particulièrement difficile, pris entre les feux croisés des combattants de Daech et ceux de l’armée syrienne, aidée par le Hezbollah.

 

Ibrahim jugé ferme
Face à l’avancée de l’armée syrienne et du Hezbollah depuis le déclenchement de la bataille dite du jurd du Qalamoun, ils avaient essayé de se replier vers les zones contrôlées par Daech, mais ils s’étaient heurtés à la violence de cette organisation qui les plaçait devant une seule alternative: soit l’allégeance totale, claire et officielle, soit la mort. Certains se sont ralliés, d’autres sont morts et ce qui reste cherche une issue par le biais des négociations, en utilisant la carte des militaires libanais pris en otages. C’est pour cela que les combattants d’al-Nosra auraient décidé de reprendre directement contact avec les familles des otages et à travers elles, avec les autorités libanaises, sans plus passer par les canaux officiels, du directeur de la Sûreté générale et ses contacts en Turquie et au Qatar. A cet égard, selon les informations parvenues à Magazine, le Front al-Nosra considèrerait que le général Abbas Ibrahim est un négociateur trop ferme et préfèrerait miser sur les sentiments des familles en les poussant à recourir au ministre Abou Faour, représentant du leader druze Walid Joumblatt, considéré comme plus susceptible de comprendre les demandes d’al-Nosra.
Cette organisation estime ainsi qu’elle a fait preuve de bonne volonté en permettant aux familles de voir les otages dans les meilleures conditions possibles et elle espère que cette initiative sera accueillie comme il le faut de la part des autorités libanaises, en lui donnant une possibilité de repli à travers une intervention auprès du régime syrien et du Hezbollah. Selon une source qui suit de près le dossier, il est clair que cette initiative d’al-Nosra est l’indice concret de la situation déplorable des combattants de ce front dans la région du jurd du Qalamoun et de Zabadani. Il s’agit donc en quelque sorte d’un appel à l’aide destiné aux autorités libanaises qui, pour l’instant, ne semblent pas remettre en cause le mandat accordé au général Ibrahim pour mener les négociations pour la libération des otages.

 

Joëlle Seif

L’accord selon Ibrahim
Dans une déclaration à la revue mensuelle de la Sûreté générale, suivie d’une autre au quotidien as-Safir, le général Abbas Ibrahim avait affirmé que l’accord pour la libération des otages détenus par le Front al-Nosra est pratiquement achevé. Il a répété cette affirmation après une visite en Turquie, où il a même rencontré des responsables qataris. Mais en même temps, il semble que sur le terrain, le Front al-Nosra souhaiterait arracher de nouveaux acquis, en agissant de sa propre initiative sans tenir compte des médiateurs qu’il a lui-même acceptés. C’est que pour lui, il y a désormais urgence…

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