L’art urbain est dans l’air du temps partout dans le monde et, depuis quelques années, au Liban. Les murs de la capitale sont ornés de tags, graffitis, peintures murales, logos… Impossible de les manquer. Ils sont partout et embellissent les quartiers. Les peintures murales, ou graffitis, se multiplient, le talent et le style des artistes s’affinent. Le «street art», ou art de rue, devient à la mode au Liban et les graffeurs veulent la reconnaissance et n’ont plus peur de taguer même durant la journée. Les Libanais sont, eux, de plus en plus réceptifs à ce nouvel art et curieux de découvrir les artistes qui se cachent derrière, ces jeunes «writers» ou graffeurs aspirant tous à un même but: faire passer un message et extérioriser, pacifiquement, des blessures passées ou existantes.
Guerre civile et graffitis
Durant la guerre civile libanaise, Beyrouth a assisté à une prolifération de graffitis, d’affiches, tags et logos à caractère politique, sur les murs, portes, devantures de magasins, etc. Les milices et partis politiques de l’époque utilisaient les logos de leurs partis et leurs slogans afin de délimiter leur territoire et définir leur espace.
La bombe à peinture était l’outil le plus utilisé par le milicien, car bon marché et, surtout, facilement transportable. L’avantage du graffiti c’est d’être immédiatement visible, facile à faire et, surtout, indélébile.
L’exception culturelle
Aujourd’hui, le graffiti et le «street art» sont en pleine expansion au Liban. Les graffeurs ne sont plus des miliciens qui marquent leur territoire, mais de jeunes «writers» désirant faire connaître le graffiti et l’intégrer dans la scène libanaise locale comme un art à part entière.
Le graffiti libanais profite d’ailleurs d’un statut unique dans le monde, puisque ses acteurs bénéficient d’une relative impunité. Aucun texte de loi n’interdit ou ne réglemente les graffitis au Liban.
Les artistes profitent donc de l’indulgence de la police libanaise, tout en respectant certaines règles spécifiques qu’ils se sont eux-mêmes fixées: pas de détérioration d’espaces privés, de préférence des dessins sur des murs anciens et des bâtiments en ruine, etc.
La scène des graffeurs libanais
Les jeunes artistes au talent très prometteur viennent d’horizons distincts avec chacun un parcours spécifique et un style propre.
Ali Rafei
C’est un jeune artiste de rue libanais originaire de Tripoli. Il a commencé à peindre dans le chef-lieu du Nord, en 2010, avant d’envahir récemment les murs de Beyrouth. Rafei ne se considère pas un «graffiti artist», mais plutôt un «street artist», un peintre qui utilise les murs comme supports pour créer une connexion avec le public et avec la rue.
Son style est une combinaison de calligraphie arabe et de portraits. Selon lui, les artistes libanais doivent tout faire pour se distinguer et sortir du cliché de «graffeurs». C’est ce qu’il essaie de faire en peaufinant son style et en se découvrant chaque jour un peu plus.
Rafei est beaucoup plus à l’aise à Beyrouth pour faire passer des messages politiques, même s’il a risqué plusieurs fois de se faire arrêter.
La dernière peinture murale qu’il a réalisée dans une petite passerelle à Hamra s’intitule L’homme chat. Elle représente une tête de chat avec un corps d’homme. L’artiste s’intéresse d’ailleurs de plus en plus à la morphologie humaine et animale et a déjà réalisé plusieurs peintures combinant corps d’homme (le sien) et d’animal.
Yazan Halwani
A 22 ans, Yazan est un artiste de rue et calligraphe libanais. Etudiant en ingénierie des télécommunications à l’AUB (American University of Beirut), il tague, depuis environ sept ans, principalement dans les rues de Beyrouth.
Son style est proche de celui de Ali Rafei et combine calligraphie arabe, géométrie orientale et portraits. Tout comme Rafei, Halwani se qualifie de «street artist» et moins de «graffiti artist».
Pour lui, une fresque doit parler aux individus qui la contemplent: une fois terminée, elle devient un élément de la ville et appartient alors au citoyen et non à l’artiste.
Halwani peint principalement les grands noms de la scène arabe ou libanaise comme Mahmoud Darwich, Gebran Khalil Gebran, Feyrouz et, récemment, Sabah. Il estime que les jeunes doivent s’inspirer de ces artistes et non pas des politiciens corrompus. Voilà pourquoi il choisit toujours de peindre au-dessus de portraits de politiciens ou d’affiches politiques.
Sur la façade d’un bâtiment culte au-dessus du Costa Café à Hamra et en l’honneur de son idole, la chanteuse libanaise Sabah, Halwani vient tout juste de terminer la plus grande peinture murale jamais réalisée à ce jour par un Libanais. Cet exploit a été rendu possible grâce au soutien de l’association libanaise MARCH, qui défend la liberté d’expression et lutte contre la censure.
Phat 2
De son vrai prénom Georges, Phat 2, 26 ans, est un graffeur libanais basé à Beyrouth. Diplômé en Graphic design, il a plus de 200 graffitis à son actif. Les tags de son nom, Phat2, dominent les ruelles de Beyrouth.
Contrairement à Halwani et Rafei, Phat2 se considère un vrai graffeur et aspire à être reconnu internationalement. Il peint pour son propre plaisir et ne cherche pas à ce que ces graffitis soient facilement déchiffrables par un simple spectateur amateur. Sa cible, ce sont plutôt les autres graffeurs qui sauront «lire et pas seulement regarder» ses graffitis.
Zed
Elie Zaarour, alias Zed, est un artiste de rue et illustrateur libanais qui a étudié les beaux-arts à l’Université libanaise. Son intérêt pour les personnages, les couleurs et les textures se révèle à travers ses graffitis qu’il réalise surtout à Beyrouth. Zed est un artiste reconnu internationalement. Il participe, avec d’autres amis graffeurs, à de nombreux événements et expositions à l’étranger et au Liban pour promouvoir l’art de rue libanais.
Ashekman
A l’origine, ils sont deux rappeurs libanais. Les deux frères jumeaux Omar et Mohammad Kabbani se sont ensuite spécialisés dans les graffitis, principalement réalisés en arabe. Les deux artistes sont notamment connus pour leurs graffitis à caractère social et politique.
Le mot «Ashekman» est utilisé pour dire «pot d’échappement» en argot arabe. Les deux frères ont fait de cette appellation une marque plus ou moins connue surtout de leurs fans, comprenant un groupe de rap et de hip-hop arabe, un groupe de street art arabe et une ligne de t-shirts.
Le plus touchant lorsqu’on va à la rencontre de tous ces jeunes talents est de constater à quel point Omar et Mohammad, tout comme leurs homologues, sont attachés non seulement à leur art, mais aussi à leur pays et à leur culture.
Avec Ashekman et tous les artistes impliqués dans ce genre de graffitis, il semble que le street art libanais, déjà en pleine expansion, n’en est qu’à ses débuts et son avenir semble très prometteur.
Dania Rammal