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Mouna Béchara

A l’ère des ordures

Les Libanais, que l’Histoire ramène avec nostalgie aux époques phénicienne, grecque et romaine, vivent tristement aujourd’hui l’ère des ordures. Dans la capitale comme dans toutes les régions du pays, les déchets polluent l’atmosphère et entraînent des conséquences néfastes sur la santé de tous. Les bennes qui déversent les déchets à tous les coins de rues y forment des monticules géants sans que certains responsables ne s’en soucient dans leurs limousines aux vitres fumées. Après des mois d’attente, d’annonces et de plans prometteurs, toujours sans la moindre réalisation en vue, la situation reste inchangée avec le seul espoir, si cela en est un, de voir transférer le dossier au Conseil des ministres. Comme cela avait été promis.
Un Conseil de ministres dont l’efficacité, malgré des efforts indéniables de certains de ses membres et de son président, semble dans l’incapacité, étant donné les divergences internes qui le caractérisent, de trancher dans le vif et de prendre les décisions sur un sujet, pourtant d’intérêt public. Le gouvernement lui-même est atteint d’une pollution politique difficile à traiter. Dans quel climat politique, sécuritaire et sanitaire vivent aujourd’hui  les Libanais et quelles sont leurs priorités? La réponse à cette question est multiple. S’adresse-t-elle aux responsables qualifiés, à tort, de leaders, ou aux simples citoyens lambda? Si le référendum politique, dit-on, n’est pas prévu par la Constitution, un sondage de la société, en revanche, est tout à fait permis. Mais apporterait-il des résultats concrets et convaincants? Ne révèlerait-il pas le large fossé qui sépare la population de ses dirigeants? Les slogans utilisés par certains «chefs» confortent ces promesses, sinon volontairement mensongères, n’en sont pas moins trompeuses. Peut-on blâmer ceux qui, pour tirer la sonnette d’alarme sur les risques et les difficultés auxquels ils doivent faire face au quotidien, n’ont qu’un seul recours: envahir les rues empoisonnées? Cette fois, il s’agit d’une revendication sociale – qui touche tout le monde – motivée par la peur des épidémies et la pollution environnante. Ainsi après une sérieuse, mais en définitive inutile, mise en garde des citoyens contre les dangers de cette plaie ouverte à tous les vents, les manifestants n’ont plus que le mince espoir de rappeler aux institutions le rôle et le devoir qui sont les leurs, tant est qu’elles ne soient pas sourdes et aveugles à ce qui se passe autour d’elles, ou dans l’incapacité d’y apporter une solution.
Mais la pollution n’est pas que physique. Le 1er août, l’armée ne sera pas à la fête pour célébrer ses soixante-douze ans, en l’absence d’un président de la République, commandant en chef des armées. L’ambiance de ce jour sera telle que le mot tristesse n’est pas assez fort pour la décrire. Alors que les soldats s’acharnent à protéger nos frontières, qu’ils luttent contre un terrorisme qui frappe également avec barbarie et sans pitié le Moyen-Orient et l’Occident, l’insécurité règne dans le pays.
Les «Unes» des médias audiovisuels ou écrits sont, de plus en plus, consacrées aux assassinats crapuleux: prises d’otages, dont on ne connaît pas les suites, agressions en plein jour et en pleine rue, vengeances mortelles dans la capitale et sa banlieue… enfants enlevés à leurs parents, accidents de la route, noyades sur des plages populaires, mal ou non, surveillées. Autant de méfaits si souvent mortels… banalisés et classés dans la rubrique «faits divers» ou rapportés sans preuves, faute de communications policières ou judiciaires qui, pourtant, empêcheraient le bouche à oreille si néfaste.
Dans le paysage actuel, le danger pour le Liban, toujours privé d’un chef et même d’un Etat, est que ses dirigeants, habitués à s’en remettre aux étrangers, dorment sur leurs lauriers et se basent sur des analyses plus ou moins optimistes des développements régionaux et de leurs éventuelles répercussions sur la situation interne du pays. Ils pourraient, hélas, se réveiller sur des épines, si entre-temps ils ne réagissaient pas pour se construire eux-mêmes et chez eux, évitant au peuple une pollution d’un autre genre, celle d’une politique aussi nocive que les épidémies dont il est menacé.

Mouna Béchara

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