Il semble que le suspense autour des nominations militaires tire à sa fin. Après avoir penché pour la nomination d’un nouveau chef d’état-major, entre deux candidats favoris, le général Marwan Halawi et le général Doureid Ezzeddine, Walid Joumblatt a finalement opté pour une prorogation du mandat de l’actuel chef d’état-major Walid Salman, qui prend fin le 7 août prochain.
La raison principale du revirement, devenu familier, du seigneur de Mokhtara serait due à la position de l’ancien chef du gouvernement Saad Hariri. Au cours de la dernière rencontre entre les deux hommes, qui a eu lieu il y a quelques jours à Jeddah, Saad Hariri aurait confié à Walid Joumblatt que la nomination d’un nouveau chef d’état-major impliquerait celle de Chamel Roukoz à la tête de l’institution militaire. Selon Hariri, il serait difficile dans cette situation de s’opposer à la nomination d’un nouveau commandant en chef de l’armée. Dans ce cas-là, le général Roukoz serait le seul candidat à la succession du général Jean Kahwagi, ce que le Courant du futur rejette pour deux raisons. En premier lieu, il est très satisfait de la performance et de la manière dont le général Kahwagi gère l’institution militaire et la situation sécuritaire aux frontières, en particulier à Ersal et ses environs. Le Courant du futur est également très heureux des relations entre les services de renseignements de l’armée et ceux des Forces de sécurité intérieure (FSI), qui n’ont jamais connu un tel niveau de coopération et de coordination. En second lieu, pour le Futur, le commandement de l’armée n’est pas uniquement une fonction militaire mais une position politique, qui n’est pas moins importante que la présidence de la République. Il ne voudrait pas la donner au général Michel Aoun tant que celui-ci reste attaché à son alliance avec le Hezbollah et ne veut pas renoncer à sa candidature à la première magistrature de l’Etat.
La position du Courant du futur n’apporte aucune surprise en réalité et elle est apparue clairement à l’instant même où le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, a pris la décision de proroger le mandat du général Ibrahim Basbous aux FSI pour une durée de deux ans. Mais la position de Joumblatt n’était pas encore tranchée, car il avait accepté le souhait de Aoun de désigner Chamel Roukoz commandant en chef de l’armée et n’avait soulevé aucune objection si Nabih Berry et Saad Hariri acceptaient. Walid Joumblatt a même été plus loin, conseillant à Hariri d’accepter la nomination de Roukoz, pour ouvrir la voie à un président consensuel et au retrait de Michel Aoun. Après la fameuse rencontre nocturne entre Aoun et Hariri au mois de février, au cours de laquelle fut célébré l’anniversaire du général, ce dernier avait rendu visite à Joumblatt à Clemenceau et lui avait fait part de son souhait de désigner le général Chamel Roukoz à la tête de l’armée. Aoun avait également rencontré Nabih Berry à ce sujet. Ce dernier lui avait affirmé qu’il n’avait aucun inconvénient pour la nomination de Roukoz, «à condition qu’il y ait un consensus autour de sa personne. Mais au cas où il n’y a pas de consensus, je suis contre le vide à la tête de l’institution militaire et je voterai pour la prorogation du mandat du général Kahwagi». Corrigeant les informations de Aoun, le président de la Chambre aurait ajouté: «D’après mes informations, Hariri serait pour la prorogation et j’ai été notifié par le Courant du futur qu’il voudrait celle de Basbous».
Les accords nocturnes
Les milieux proches de Rabié rapportent qu’un accord portant sur la nomination du général Imad Osman directeur général des FSI et le général Chamel Roukoz commandant en chef de l’armée avait eu lieu au cours de la rencontre nocturne au domicile de l’ancien Premier ministre au centre-ville. Mais cet accord avait également besoin de l’approbation de toutes les forces politiques. Après avoir effectué une tournée auprès de Berry et Joumblatt et entrepris des contacts avec le Hezbollah, les Kataëb et les Forces libanaises, le général Aoun a contacté Hariri pour le mettre au courant du résultat de sa tournée. «Je vais étudier cette affaire à mon retour à Beyrouth», fut la réponse de l’ancien chef du gouvernement. Mais il n’est pas revenu à Beyrouth, n’a pas respecté ses engagements et n’a pas tenu sa parole, selon le CPL. Cette violation de ses engagements dans une affaire si délicate fait voler en éclats des mois de négociations entre les deux parties, détruisant les progrès réalisés et les efforts pour rétablir la confiance entre elles, replaçant la situation au stade initial.
Pourtant, ces milieux ne précisent pas les raisons qui ont poussé Hariri à se rétracter et à ne pas exécuter ses engagements. Ils ne disent pas non plus s’il avait rusé dès le départ en appuyant le choix de la prorogation en connivence avec Berry et se partageait les rôles avec ce dernier ou si tout simplement il misait sur le président de la Chambre pour faire avorter la nomination de Roukoz sans qu’il assume lui-même le poids de la prorogation et la colère de Aoun. La dernière explication serait que Hariri aurait revu ses comptes à la lumière des développements régionaux, qui ont mis en évidence une escalade dans la confrontation entre l’Iran et l’Arabie.
Durcissement saoudien
Ces développements ont montré un durcissement dans la position saoudienne qui s’est traduit sur le plan libanais au niveau de l’élection présidentielle, du commandement de l’armée et tout ce qui a trait au Hezbollah et à son allié Michel Aoun.
Il est fort probable que le scénario adopté pour la prorogation du mandat du général Ibrahim Basbous aux FSI soit réutilisé encore une fois. Le ministre de la Défense, Samir Mokbel, proposera plusieurs noms pour le commandement de l’armée, parmi eux celui du chef de l’unité des commandos Chamel Roukoz. Aucun des noms proposés n’obtiendra la majorité des 2/3. Face à cette situation, le ministre de la Défense se trouvera «acculé» à prendre, à l’instar de son collègue Nouhad Machnouk, la décision de proroger le mandat du général Kahwagi sous prétexte qu’il est impossible de lui trouver un successeur et qu’il lui incombe de ne pas laisser le poste vacant.
Ceux qui refuseront la nomination d’un nouveau commandant en chef de l’armée avanceront plusieurs arguments. Les uns verront que l’élection d’un président de la République devrait précéder la nomination d’un commandant en chef. Les autres soutiendront qu’il n’y a pas d’entente autour d’un seul nom ou diront qu’il n’y a pas eu un compromis entre la présidence et le commandement et que les conditions sécuritaires ne permettent pas la vacance du poste.
Selon les milieux aounistes, il existe une forte impression que le ministre de la Défense va proroger les mandats du chef d’état-major et du commandant en chef de l’armée et que cette affaire est quasiment tranchée. Le général Michel Aoun ne pourrait pas s’opposer en Conseil des ministres à une telle décision, celle-ci étant du ressort exclusif du ministre de la Défense. Il ne lui restera plus, alors, que la possibilité de paralyser l’action du gouvernement, chose que ni Salam ni le Courant du futur ne pourraient accepter.
Face à cette situation est née l’idée de transformer le gouvernement actuel en un gouvernement chargé de gérer les affaires courantes, à l’instar de celui de Najib Mikati. Quoique la présence du président Michel Sleiman donnait une couverture au pouvoir exécutif, il n’en demeure pas moins que pendant un an, le gouvernement a continué à expédier les affaires courantes comme si de rien n’était. On pourrait de nouveau vivre la même situation avec le gouvernement de Tammam Salam. Sa première démarche serait la signature par le ministre de la Défense de la décision de proroger les mandats du chef d’état-major et du commandant en chef de l’armée. De cette manière, il n’y aurait aucune répercussion sur le gouvernement ni sur les résolutions des ministres qui étaient tributaires de l’accord de Aoun sur toutes leurs décisions.
Joëlle Seif
Mokbel à Rabié
La visite effectuée par Samir Mokbel à Rabié auprès du général Michel Aoun et qui a duré une trentaine de minutes serait de pure forme malgré le fait que les deux hommes se déclarent contre la prorogation. Mokbel aurait informé le général Aoun que la prorogation du mandat des chefs sécuritaires actuels aura lieu si les nominations s’avèrent impossibles. Il aurait également indiqué au général qu’il était question de retarder le passage à la retraite d’autres généraux, de promouvoir Chamel Roukoz, du grade de brigadier à celui de général et de retarder ainsi son passage à la retraite. «Nous ne pouvons accepter pour nous-mêmes ce que nous refusons aux autres, c’est-à-dire une violation de la Constitution. Pourquoi n’œuvrez-vous pas pour que les nominations soient approuvées au lieu de contrevenir aux lois? Quant à la promotion du général Roukoz, il s’agit d’une proposition qui ne me concerne pas, et mieux vaut ne pas traiter avec moi de propositions au sujet desquelles j’ai beaucoup de réserves constitutionnelles», fut la réponse de Aoun.