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Nº 3012 du vendredi 31 juillet 2015

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Le cabinet reste faute de scénarios. L’impossible démission de Salam

Au-delà de la crise nauséabonde des déchets, c’est l’odeur d’un régime en pleine agonie qui étouffe de plus en plus les Libanais. Pourtant, de report des séances en disputes programmées, jusqu’à la paralysie quasi totale, il est clair que le gouvernement est appelé à rester, faute de scénario possible pour une démission. Une tragédie qui se veut grecque, mais qui n’est que libanaise…
 

Le Premier ministre Tammam Salam est sans doute le dirigeant le plus malheureux aujourd’hui. Si la crise des déchets provoque la colère des Libanais, elle a aussi porté un coup fatal à ses illusions sur la possibilité de diriger le pays pendant cette période transitoire qui se prolonge. Dans cette crise, ses alliés l’ont poignardé dans le dos avant ses rivaux. Il avait, en effet, confié le ministère de l’Environnement à son ami de toujours, Mohammad Machnouk, la mise en cause de ce dernier est un coup qui lui est directement porté. Que ce dernier ait ou non mal géré ce dossier n’est plus aujourd’hui d’actualité puisque, quelque part, ce sont les ministres druzes et même certains du Courant du futur qui ont changé d’avis à la dernière minute. Au point que Tammam Salam n’a plus eu d’autre choix que de brandir la possibilité de présenter sa démission. Tout au long du week-end dernier, ses proches ont laissé entendre que sa patience est à bout et que le Premier ministre n’a plus d’autre choix que celui de présenter sa démission. Pure manœuvre ou volonté réelle de partir, le coup a quand même porté ses fruits. D’une part, il a poussé ses alliés à lui réitérer leur confiance et, d’autre part, il a poussé les instances internationales à rappeler l’importance de maintenir le gouvernement en place. C’est du moins ce que disent les milieux proches du Premier ministre, car, pour être précis, il faut rappeler qu’il n’y a eu aucune déclaration officielle diplomatique à ce sujet.
Toutefois, la réponse la plus véhémente et la plus radicale est venue du secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, qui a déclaré dans son dernier discours, en s’adressant au camp du 14 mars et plus particulièrement au Courant du futur: n’allez surtout pas jusqu’à la démission du gouvernement, car ce serait pousser le pays vers l’inconnu.
En clair, selon les milieux du 8 mars, il s’agit de faire comprendre aux responsables du Courant du futur, qui croient pouvoir utiliser la menace de la démission du Premier ministre, et celle donc du gouvernement, pour soutirer des concessions dans plusieurs dossiers conflictuels, de renoncer à cette tentation car la démission serait grave pour tout le monde, y compris, et peut-être en premier, pour le Courant du futur lui-même.
A ces considérations politiques, il faut ajouter une autre purement technique qui rend pratiquement impossible la démission de l’actuel gouvernement. Selon les dispositions de la Constitution, le Premier ministre présente sa démission au chef de l’Etat qui doit signer le décret d’acceptation de cette démission. Or, en l’absence d’un chef de l’Etat, et selon le mécanisme adopté par l’actuel gouvernement jusqu’à présent, les prérogatives du président de la République sont dévolues au Conseil des ministres réuni. En d’autres termes, le Premier ministre devrait présenter sa démission aux vingt-trois ministres qui doivent tous, avec lui-même, signer le décret d’acceptation de la démission. Sur des questions bien moins importantes, les vingt-trois ministres plus le Premier ministre ne parviennent pas à s’entendre, que serait-ce alors pour une telle décision? Certes, le Premier ministre exige actuellement de modifier ce mécanisme sous prétexte que l’unanimité paralyse l’action de son gouvernement, et il propose de donner une sorte de droit de veto à deux composantes du gouvernement et non à chaque ministre. Mais même si ce mécanisme est adopté, il est quasiment certain qu’au moins les ministres du Hezbollah et ceux du Bloc du Changement et de la Réforme refuseraient de signer le décret de démission. Et finalement, la décision ne serait pas valable. Ou en tout cas, elle ne serait pas validée. Pour cette raison, une démission du gouvernement ne peut pas se concrétiser et elle est appelée à rester dans le cadre des menaces et des tactiques politiques.
Mais cela ne signifie pas que l’option de la «bouderie», elle, n’est pas valable. Au contraire, elle semble être le scénario le plus probable, en l’absence de possibilité d’entente  entre les différentes composantes du gouvernement. Un peu comme ce qui s’est passé lors de la première quinzaine du mois de Ramadan, lorsque le gouvernement, et son chef, se sont accordé une relative période de vacances, en principe, pour réfléchir et entreprendre des contacts destinés à aplanir les divergences actuelles. Mais au fond, nul ne se fait trop d’illusions. Le principal conflit actuel porte sur les nominations militaires et on voit mal comment il peut être réglé à partir du moment où le Courant du futur refuse de faire la moindre concession à ce sujet.
En réalité, le camp qui pèse le plus au sein du Conseil des ministres et qui paralyse le plus le gouvernement, c’est bien celui du Premier ministre, c’est-à-dire le Courant du futur et son allié retrouvé Walid Joumblatt. Ce sont eux qui ont alimenté la crise des déchets, qui aurait pu ne pas éclater de façon aussi flagrante si les «arrangements provisoires» qui avaient été convenus avaient été appliqués. Ce sont eux aussi qui adoptent les positions les plus radicales concernant les revendications portées par le Bloc du Changement et de la Réforme et ses alliés. Ce sont d’ailleurs ces positions de blocage presque systématique qui ont poussé le Premier ministre Tammam Salam à brandir la menace de la démission. En procédant à cette démarche, il voulait surtout savoir s’il continuait de bénéficier de l’appui de son camp et du parrain de ce camp, l’Arabie saoudite. Mais la réponse n’est pas venue aussi claire que Salam l’aurait souhaitée. Il y a certes eu un élan de solidarité avec lui de la part du Courant du futur, mais juste pour le pousser à «tenir bon face aux exigences du Bloc du Changement et de la Réforme et à préserver les prérogatives du Premier ministre» sunnite. Mais cet élan n’a pas été jusqu’à lui témoigner la confiance dans la gestion des affaires gouvernementales. Autrement dit, la marge de manœuvre de Tammam Salam reste réduite et lui, qui voulait un mandat pour imposer sa marque dans les décisions, se retrouve à gérer les divergences sans avoir la moindre latitude pour les régler. Ni dans l’affaire des déchets, ni dans celle des nominations militaires, ni dans tout autre dossier conflictuel, le Premier ministre n’a de pouvoir pour trancher. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’un des proches de Tammam Salam a déclaré, il y a quelques jours, que le gouvernement actuel n’a jamais eu pour mission de régler les grands conflits qui déchirent le pays. C’est donc à peine s’il peut gérer les affaires courantes à un niveau minimal. Jusqu’à ce que le dossier libanais soit examiné au niveau régional et international. A l’automne ou à la sainte Trinité…

Joëlle Seif
 

Gain de temps
Gagner du temps semble être le mot d’ordre de la période actuelle. Tout en donnant l’illusion que des contacts internes seront entrepris pour aboutir à un déblocage sur certains dossiers. Mais, au fond, nul n’y croit vraiment. Le nœud est ailleurs. Il est dans un régime qui s’effrite et dans une équation qui a imposé la formation de l’actuel gouvernement qui n’est plus valable. Ou qui a besoin d’être revue et corrigée. C’est dans ce contexte qu’il faut placer le premier report de la séance gouvernementale qui sera suivi d’autres ou même de séances qui ne devraient pas aboutir à des décisions. Les ministres et le Premier ministre lui-même ne peuvent pas en effet reconnaître publiquement leur dépendance à l’égard des capitales régionales et internationales et leur incapacité à trouver des solutions même aux problèmes les plus élémentaires loin de leurs intérêts propres. La crise des déchets a montré toutes les failles de ce système qui a épuisé toutes ses ressources, mais l’attente reste malgré tout le seul scénario possible.

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