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Paul Khalifeh

Les clones du Liban


La dynamique créée par l’accord sur le nucléaire iranien commence à se mettre en place plus tôt que prévu. Elle se manifeste par un rapprochement russo-américain sur les crises qui secouent le Moyen-Orient. Le fait marquant est que les deux puissances semblent, désormais, percevoir ces crises comme des tiroirs dans un seul dossier et non comme des problèmes indépendants les uns des autres, pouvant, par conséquent, faire l’objet de règlements séparés. En effet, en estimant que le danger prioritaire est le terrorisme, essentiellement incarné par Daech, qui est par définition transnational, Washington et Moscou considèrent que les dossiers irakien et syrien sont intrinsèquement liés, avec de fortes répercussions sur le Liban. Après des années d’hésitations, les Etats-Unis ont ainsi adhéré à la vision de la Russie qui affirmait, depuis le début, que la priorité devait être accordée à la lutte contre le terrorisme. En contrepartie, les responsables russes ont modifié leur discours, évitant de mentionner le président Bachar el-Assad dans leurs déclarations, se contentant de parler du «gouvernement syrien». La nouveauté dans la position des deux pays réside dans le fait que le renversement ou le maintien du président syrien passe au second plan devant la priorité absolue, la lutte contre le terrorisme.
Cette nouvelle vision commune ne peut pas se transformer en stratégie sans l’adhésion des acteurs régionaux. Washington et Moscou ont donc entamé une campagne de persuasion coordonnée, chacun en direction de ses alliés. La rencontre tripartite de Doha, entre Sergueï Lavrov, John Kerry et Adel el-Jubeir, et la visite à Téhéran du représentant officiel du président russe pour le Moyen-Orient, le vice-ministre des Affaires étrangères, Mikhaël Bogdanov, s’inscrivent dans ce cadre. Le diplomate russe a déclaré qu’une réunion tripartite entre les ministres adjoints des Affaires étrangères de Syrie, d’Iran et de Russie se tiendra à Téhéran pour discuter des développements de la situation en Syrie.
La visite à Riyad, fin juillet, du patron des Renseignements syriens, Ali Mamlouk, où il aurait rencontré le vice-héritier, le prince Mohammad Ben Salmane, est la manifestation la plus directe de l’évolution des positions des uns et des autres. Dans ce contexte, M. Bogdanov a révélé que des efforts sont actuellement déployés pour organiser des rencontres entre des responsables américains, russes, iraniens, saoudiens et turcs,«pour aider les Syriens».
La lutte contre le terrorisme est une vision «sécuritaire» qui ne suffit pas pour régler les crises régionales, si elle n’est pas accompagnée d’un volet politique. En réalité, la dimension politique existe, même si elle ne s’affirme pas encore avec force. Le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hussein Amir Abdallahian, a dévoilé, mardi, les détails d’une initiative iranienne de règlement de la crise syrienne, dont le point le plus important est le suivant: élaboration d’une nouvelle Constitution en Syrie, susceptible de «rassurer les groupes ethniques et confessionnels». Ce projet prévoit, en somme, de transformer le régime politique syrien en système communautaire, similaire à celui de l’Irak. Le Yémen aussi semble être engagé sur la même voie, surtout après la reprise d’une partie du Sud par les troupes soutenues par l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe.
Tels sont les contours du «nouveau Moyen-Orient». Des fédéralismes communautaires et/ou ethniques, avec un pouvoir central affaibli, exactement comme le Liban. On comprend mieux, maintenant, pourquoi notre pays est relativement préservé de la tempête qui souffle sur la région. Car ce n’est pas lui qui est appelé à cloner la Syrie, l’Irak ou le Yémen, mais l’inverse.
La bonne nouvelle est que la stabilité sécuritaire et militaire au Liban reste une priorité des acteurs régionaux et internationaux. La mauvaise nouvelle est que le système confessionnel sera pérennisé – avec éventuellement de nouveaux équilibres – et, avec lui, la classe politique qui en est issue.
Le seul espoir pour s’en débarrasser est l’adoption du projet d’exportation des déchets. Et encore, il en restera toujours des traces résiduelles.

Paul Khalifeh

 

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