Le train est remis sur les rails, reprise exceptionnelle de L’illusion conjugale à Deir el-Qamar, les 16, 17 et 18 août. Le texte d’Eric Assous, mis en scène par Valérie Vincent et interprété par Cécile Longé, consule générale de France au Liban, Joe Abi Aad et Joe Toutounji, continue d’effeuiller ses multiples couches…
Cela fait un peu moins d’un an qu’ils vivent avec leurs personnages respectifs: Cécile Longé dans la peau de Jeanne, Joe Abi Aad dans celle de Maxime, son mari, et Joe Toutounji dans celle de Claude, son amant peut-être. Un trio scénique, un triangle mimétique sous tension et émotion, qui s’agrippe et arrime les spectateurs autour d’une thématique qui reste sans réponse déterminée, un débat ouvert à tous les possibles et qui porte bien son titre: L’illusion conjugale, la pièce d’Eric Assous, Molière 2010 du meilleur auteur, mise en scène par Valérie Vincent.
Jouée en avant-première, le 24 avril, à la Salle des ambassadeurs au Casino du Liban, puis au théâtre Monnot, du 19 au 24 mai, L’illusion conjugale sera reprise les 16, 17 et 18 août, à Deir el-Qamar, au Palais de l’émir Youssef Chéhab, toujours au profit des quatre mêmes associations: la Société française de bienfaisance (SFB), l’Association du foyer de l’enfant libanais (Afel), l’Institut de rééducation audio-phonétique (Irap), et l’association Langages et expressions (L&E), qui ont déjà reçu, chacune, un chèque à cinq chiffres. Le plaisir d’aider ces associations, dans des temps économiques de plus en plus durs, se conjugue au plaisir de jouer et à celui de faire plaisir au public. Un public qui s’est fait nombreux la première fois, et face à un public potentiel supplémentaire, l’idée de reprendre la pièce, un vœu au départ, s’est donc concrétisée, sans aucune hésitation, d’autant plus que l’équipe a eu l’appui, le soutien et la collaboration du Festival international de Beiteddine.
S’approprier un rôle
Nouvelle scène, nouvelles répétitions, certaines adaptations sont nécessaires pour correspondre au nouvel emplacement, à ce nouveau défi, de jouer en plein air dans la cour du palais entourée de gradins surplombant la scène, en prenant en considération les aléas de la pollution sonore, l’éventualité d’avoir recours à des micros, même si le théâtre est à la base un jeu a capella et que cette pièce, en particulier, est mieux servie par des voix naturelles qu’amplifiées.
L’essentiel reste de faire passer les émotions, d’incorporer dans le jeu, la gestuelle, l’expression, dans chaque détail, toutes les couches des personnages et des situations, les multiples intentions du texte. Cécile Longé de rappeler cette recommandation de Valérie Vincent: «Il faut jouer pour le spectateur unique. Tout le monde ne percevra peut-être pas les multiples couches et intentions, mais on le sait, il y a forcément un spectateur lambda qui le fera. C’est pour ce spectateur qu’il faut jouer».
A mesure que sont évoquées les rencontres au cours de l’atelier d’improvisation théâtrale fondé par Longé, il y a plus d’un an, à son domicile, sous la houlette du professeur d’art dramatique Jean Daoud, les représentations passées, les diverses préparations en coulisse avant d’entrer sur scène, la complicité qui unit l’équipe… les souvenirs ressurgissent, le ton s’échauffe, les attentes s’aiguisent. Entre Cécile Longé et Joe Abi Aad, les répliques se complètent, Jeanne ayant droit de regard sur le personnage de Maxime et vice-versa, en tant que spectateur. Chacun d’entre eux semble donner corps à son personnage, il l’évoque comme une personne existant dans la vraie vie, comme quelqu’un qu’ils côtoient au quotidien, qu’ils connaissent si bien et apprennent encore à connaître, sur le comportement duquel ils ne cessent de réfléchir. Un personnage qui vit depuis des mois avec eux. «Le personnage de Jeanne s’est emparé de moi, non pas de manière pathologique, mais dans certaines réactions qu’elle a et que je n’aurai pas, je suis en train de basculer dans ma vie quotidienne du côté de ses réactions à elle, parce que je les trouve classes. C’est exactement cela, une femme classe. Parfois dans les conflits interpersonnels on est tenté de céder à la facilité; m’être imprégnée du personnage de Jeanne, cette espèce d’humour mêlé de douleur continue, me plaît bien».
«Aucun des personnages n’est monolithique», ajoute Cécile Longé. Plus nous répétons, plus nous jouons et plus nous nous approprions cette duplicité, et nous ajoutons de la profondeur et de l’étoffe. C’est cela au final s’approprier un rôle». Joe Abi Aad va même jusqu’à affirmer comprendre les réactions de Maxime, le défendre, lui trouver beaucoup de circonstances atténuantes. «Mais il reste quand même un personnage, comme un costume que j’enlève quand je sors de scène». Même s’il lui est arrivé d’être accosté dans la rue par un «Bonjour Claude», et lui de préciser être Maxime avant de devoir répondre à la question qui a été le plus posée: y a-t-il eu adultère? Jeanne a-t-elle finalement trompé Maxime avec Claude?
Le débat reste ouvert
Mais il est tout aussi difficile de répondre de manière tranchée, puisque, toujours selon Joe Abi Aad, «le texte est ambigu, et en fonction de la mise en scène, la pièce peut ne pas apporter de réponse. Elle se vit. Chacun est donc libre de décider de ce qui s’est passé. Cela crée un espace de débat». D’ailleurs, ajoute Cécile Longé, «les réactions ont été plurielles. Dans la plupart des cas, les gens sont renvoyés à eux-mêmes. Un spectacle qui marque les esprits est précisément celui que les gens continuent à emporter chez eux, au-delà du moment de plaisir, forcément passager, qu’ils ont pu passer, en riant ou en s’émouvant».
Susciter un débat, le résultat a été au-delà des expectatives de toute l’équipe. Du côté des femmes, comme du celui des hommes, les réactions sont différentes. Les couples ne sont certes pas repartis indifférents, le trajet du retour était même mouvementé. La discussion est enclenchée, elle l’est encore, et le restera. «Le texte, la manière de l’interpréter ont brassé pas mal de choses. Certaines dames me remerciaient en me disant qu’elles avaient besoin de cela. Du coup, ça a pris des allures de manifeste auxquelles on n’avait pas du tout prétendu».
La discussion se poursuit en échanges, en précisions, en répliques complémentaires entre les deux comédiens qui estiment que, loin d’un manifeste féministe quelconque, la pièce est plutôt une déclaration d’amour. Comment cette femme manipule son mari, dans le bon sens du terme, pour le tenir, à la manière de Shéhérazade qui manipule son sultan pour le tenir en haleine et conquérir son amour afin de sauver sa vie et son couple, à la manière dont le public est tenu en haleine, suspendu aux lèvres des acteurs, parce qu’ils l’ont conduit où ils le voulaient à force d’émotions suscitées. «Le fait que, soirée après soirée, les mêmes attentes se répètent de la part de personnes forcément différentes, crée une connivence, un sentiment de communion qui égale peu de chose. Une grande satisfaction qui dure au-delà de la représentation».
Pour Longé, tout comme pour Abi Aad, le jeu est addictif, comme une drogue dont on ne pourrait pas se passer. Après cette première expérience théâtrale face à un public, Cécile Longé est bien déterminée, désormais, à poursuivre sa passion, à ne pas arrêter le théâtre, ni son métier évidemment. «Je suis encore là pour deux ans, je savoure cette aventure et j’espère qu’elle va se prolonger jusqu’à la fin de mon séjour». Consciente de s’aventurer sur un autre métier de représentation public, la consule générale de France reconnaît la chance et l’honneur qu’elle a eus de faire «ses débuts au théâtre» durant le mandat de l’ambassadeur français Patrice Paoli, lui aussi un homme de scène, guitariste, compositeur et chanteur. «Une conjoncture astrale improbable» qui a sûrement facilité l’encouragement qui lui a été prodigué, et qui, des propos même de l’ancien ambassadeur à Magazine, l’a incité lui-même à médiatiser son dernier concert au Music-Hall. La suite alors? En attendant peut-être un nouveau projet, «on aimerait reprendre la pièce plus tard, peut-être pas au Liban. Il y a une idée encore très évanescente de tourner dans la région mais, pour l’instant, on ne peut pas en dire plus».
Nayla Rached