Aussitôt que le général Michel Aoun a lancé au commandant en chef de l’armée, Jean Kahwagi, sa mise en garde – lui demandant de ne pas intervenir si les partisans du Courant patriotique libre décidaient de descendre dans la rue –, les politiciens du 14 mars se sont insurgés contre ses attaques, affirmant qu’il s’appuie sur des considérations personnelles, après que le ministre de la Défense eut reporté la date de départ de Kahwagi. Magazine a interviewé Ziad Assouad, député de Jezzine, pour une mise au point.
Pourquoi affaiblir l’une des rares institutions qui fonctionnent toujours, en l’occurrence l’institution militaire?
Nous avons toujours respecté et défendu cette institution et cela ne changera pas. Ce que nous avons dénoncé, c’est l’attitude des responsables de l’armée et précisément de Jean Kahwagi qui utilise ses prérogatives pour servir ses propres intérêts. Le droit de manifester est légal et constitutionnel. Or, Kahwagi est un outil entre les mains du pouvoir, il exécute ce qu’on lui demande pour gagner les bonnes grâces des politiciens. Au lieu de tout mettre en œuvre pour préserver la sécurité et la stabilité, il utilise l’armée comme outil de répression qui porte atteinte aux manifestants, mais aussi aux parlementaires aounistes qui sont des représentants du peuple. Chaque fois que nous décidons de descendre dans la rue, il demande des changements de soldats sur le terrain et choisit ceux qui ont une haine communautaire contre nous. Il fallait entendre certains membres de l’armée nous attaquer en criant «Allah w akbar», alors que nous sommes des gens pacifiques qui souhaitent tout simplement manifester leur désapprobation fasse à ce qui se passe, face à l’injustice au niveau du partage du pouvoir. Pour s’assurer des acquis, Jean Kahwagi est capable de vendre et acheter en un clin d’œil. Dans un autre sens, c’est lui et non le CPL qui porte atteinte à l’institution militaire pour des considérations personnelles.
Votre ton à l’encontre du général Jean Kahwagi est dur et agressif. Vous lui en voulez autant d’avoir accepté la prorogation de son mandat?
Nous lui en voulons de ne pas être à la hauteur des responsabilités qui lui incombent. A le voir dans cette fameuse photo où, entouré de Nouhad Machouk et Michel Sleiman, il fume le cigare et boit le champagne, pour célébrer cette prorogation, est écœurant, d’autant plus que le sang des martyrs de Abra n’a pas fini de sécher. Il n’a aucune pudeur, aucun respect des sentiments des autres et de leur douleur. Mais j’aimerais lui dire que ce prolongement de son mandat n’est pas définitif. Qu’il ne se réjouisse pas trop, il peut «sauter» en une fraction de seconde.
Il semble qu’il y a des changements au niveau des développements dans la région et qu’un scénario d’entente a été établi entre les décideurs internationaux et locaux. La visite du ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, s’inscrirait dans ce cadre. Craignez-vous un compromis à vos dépens?
Les choses ne se décanteront qu’à partir du mois de janvier. Certes, le 14 mars peut faire de petits arrangements à la sauvette, mais les grandes questions ne se règleront qu’avec le consentement de tous et surtout du 8 mars.
Vos détracteurs affirment que la prorogation du mandat des responsables militaires n’aurait pas pu avoir lieu sans l’accord du Hezbollah. Ils considèrent que si vous hésitez à descendre dans la rue, c’est parce que vous n’avez pas reçu son aval. Etes-vous lâchés par vos alliés comme certains le laissent croire?
Qu’ils prétendent ce qu’ils veulent si cela leur remonte le moral. Ils sont de mauvaise foi. Ils veulent sous-entendre que nous sommes des pions, que nous n’agissons que sur commande du Hezb. Comme ils se trompent! Nous sommes maîtres de nos décisions et notre but est actuellement de défendre les droits spoliés des chrétiens et, dans cette affaire, tout le monde est concerné et non seulement les aounistes. Il faut sortir du statu quo et en finir avec les méthodes adoptées par le 14 mars qui disent une chose et font autre chose.
Propos recueillis par Danièle Gerges