Hôtels de luxe, clubs sportifs de renommée internationale, quartiers d’affaires entiers, chevaux, etc. L’appétit du petit émirat du Qatar pour l’Europe, et particulièrement la France, le Royaume-Uni ou encore l’Italie, ne se dément pas au fil des ans.
Ils n’hésitent pas à dépenser des milliards pour acquérir des quartiers entiers. Ils? Les investisseurs qataris qui se font au fil des ans de plus en plus remarquer sur les places internationales. Depuis des années, le petit émirat du Qatar voit grand. Très grand même. Bien décidé à se faire une place sur la scène internationale malgré l’exiguïté de son territoire, le Qatar investit sans compter, via son bras armé, le fonds souverain Qatar Investment Authority. Il réussit ainsi à se constituer un patrimoine immobilier – entre autres – hors norme.
Depuis une bonne dizaine d’années, l’émirat qui se faisait discret jusque-là, vivant de ses rentes pétrolières comme ses voisins du Golfe, se constitue un patrimoine hôtelier. Dans leur besace, des fleurons parisiens de l’hôtellerie de luxe. Les prestigieux hôtels Royal Monceau ou le Peninsula font désormais partie de leurs acquisitions, mais ce n’est pas tout. En 2014, le fonds qatari Constellation, qui avait déjà acheté l’année précédente le Concorde Lafayette et l’Hôtel du Louvre, vise le Grand Hôtel, une propriété d’InterContinental Hotels Group (IHG), avec 470 chambres, situé près de l’Opéra de Paris. Une offre de 330 millions d’euros dans sa poche, auxquels le fonds, pas près de ses sous, ajoute la modique somme de 60 millions d’euros pour de futurs travaux de rénovation. Un bel ajout au tableau de chasse déjà bien garni du fonds qatari. Car Constellation a déjà racheté auprès d’IHG d’autres hôtels de renom, comme le Park Lane à Londres ou le Barclays à New York. Début 2013, le groupe avait fait parler de lui en rachetant un portefeuille d’établissements au groupe du Louvre, propriété de Starwood, parmi lesquels figuraient donc le Concorde Lafayette et l’Hôtel du Louvre à Paris, mais aussi le célèbre hôtel Martinez de Cannes ou le Palais de la Méditerranée à Nice. Un bel investissement qui dépassait la barre des 800 millions d’euros.
En s’attaquant aux bateaux amiraux de l’hôtellerie de luxe française et internationale, le Qatar a fait de grandes réalisations. Car la priorité du Qatar Investment Authority est bien évidemment le retour sur investissement. Bien conscient de sa dépendance aux richesses de son sous-sol − le Qatar dispose des troisièmes réserves mondiales de gaz naturel, dont il est le premier producteur et exportateur mondial −, le petit émirat a entrepris de diversifier ses revenus avec des sources moins volatiles que celles d’une matière première dont les cours fluctuent sans arrêt. Selon Nabil Ennasri, le directeur de l’Observatoire du Qatar basé en France, qui s’exprimait sur BFM Business, l’ambition de l’émirat est de récupérer plus de la moitié de ses recettes hors des hydrocarbures d’ici à 2030. Une manière pour cet Etat, grand comme la Corse, de «stabiliser son budget». D’où une stratégie d’achats avisés dans la pierre sur le Vieux Continent. Et en particulier en France où le Qatar a éveillé la méfiance des médias en investissant à tour de bras, mais pour une bonne raison. Non, ce n’est pas uniquement par «amour» pour Paris que Doha y dépense des milliards. C’est aussi – et sans doute surtout – parce qu’une convention fiscale l’exonère en France d’impôts sur les bénéfices. A cela s’ajoute le fait que les investissements dans les bureaux, hôtels ou centres commerciaux lui garantissent un revenu locatif régulier, ainsi qu’une garantie de belles plus-values lors de la revente. Par ailleurs, ces achats spectaculaires font parler du petit émirat à travers le monde, lui apportant notoriété et prestige. Aux hôtels de luxe, le Qatar a, en effet, ajouté des enseignes prestigieuses comme le Printemps à Paris, ou encore le siège de la HSBC à Londres, citée comme l’acquisition la plus chère du monde en 2014. Sans oublier des participations minoritaires dans Vinci, Veolia, Total, Vivendi, LVMH ou Eads, ou encore l’actionnariat principal de Lagardère.
«Le Qatar veut rayonner à travers le monde et se faire connaître via des coups économiques qui se doublent de coups médiatiques», explique Nabil Ennasri. Une ambition qui avait déjà décidé, rappelons-le, la création de la chaîne al-Jazeera − devenue l’empire médiatique que l’on connaît − puis des chaînes consacrées au sport avec BeIn sports ou, encore, le rachat du club de football Paris Saint-Germain où sont venus des sportifs de renommée internationale comme Zlatan Ibrahimovic. La démarche est la même quand l’émirat choisit d’accueillir des compétitions internationales sportives, comme le Mondial de football prévu en 2022.
Petit par la taille et peu visible au niveau international malgré plusieurs tentatives de s’imposer sur la scène diplomatique, l’émirat construit patiemment son empire. «A partir des années 90, explique Ennasri, la majeure partie des dirigeants du Golfe sont vieux, arc-boutés sur leur vision du monde héritée de la guerre froide. Au Qatar en revanche, cheikh Hamad, qui a fait ses études en Occident, a vu le monde changer. Conscient du pouvoir des médias et de l’image, il axe sa politique sur le ‘soft power’, la diplomatie du rayonnement, pour s’ancrer dans la carte du monde». Offrir une visibilité internationale à son pays, une idée fixe pour celui qui a étudié dans la prestigieuse Académie royale militaire de Sandhurst, en Grande-Bretagne. Il raconte d’ailleurs volontiers que, lorsqu’il «voyageait en Europe, du temps où (il) était jeune, dans les aéroports on me demandait sans cesse: mais c’est où, le Qatar?». Avec un succès certain. Il y a encore dix ans, personne ne connaissait l’émirat. Selon Georges Malbrunot, auteur d’un livre intitulé Qatar, les secrets du coffre-fort (éditions Michel Lafon) avec son comparse Christian Chesnot, «le côté visionnaire de l’émir est à la fois son atout et son talon d’Achille. A ses yeux, le rayonnement du Qatar repose sur trois piliers: la chaîne al-Jazeera pour exister, la base américaine pour se protéger, et les investissements à l’étranger comme moyen d’assurer son indépendance financière et d’exercer une influence politique sur les affaires du monde».
La stratégie du Qatar est donc d’investir sur des valeurs sûres, mais aussi sur des symboles. En France, et plus particulièrement à Paris, il mise sur le tourisme, le luxe et le sport. Outre-Manche, Doha table sur la finance. Et rachète ainsi entièrement le quartier de la City. L’Italie n’échappe pas, elle non plus, à l’appétit démesuré du petit pays.
A tel point, que sur le Vieux Continent, le Qatar est devenu, depuis 2012, le premier investisseur souverain dans l’immobilier européen, selon le cabinet Real Capital Analytics. Depuis sa création en 2005, le Qatar Investment Authority aurait ainsi investi plus de 13,5 milliards d’euros en Europe, avec une préférence pour les trois pays précités. Pour la seule année 2014, le fonds aurait fait son shopping en Europe pour la modique somme de 3,7 milliards d’euros, ce qui représente tout de même 71% de ses investissements totaux de l’année dans le monde. Continuant sur sa lancée, le QIA avait déjà investi, pour les seuls mois de janvier et février 2015, 1,2 milliard d’euros en Europe.
Alors qu’il se concentrait jusqu’alors sur des investissements dans l’hôtellerie de luxe ou dans les clubs de sport, le Qatar est passé ces derniers mois, à la vitesse supérieure, axant davantage son intérêt sur l’immobilier d’affaires et de bureau. Il achète des quartiers entiers. Et pas n’importe lesquels. Fin février, le fonds souverain est devenu propriétaire d’un quartier de Milan, en Italie, Porta Nuova, dont il détenait déjà 40% des parts. Un bel investissement qui compte non moins de 25 bâtiments dont le gratte-ciel Bosco Verticale, un immeuble résidentiel qui domine Milan de toute sa hauteur, histoire d’ajouter un peu plus au prestige. Racheté au groupe Hines, à l’assureur UnipolSai et à plusieurs fonds d’investissements, il se murmure que le Qatar aurait déboursé 2 milliards d’euros au moins. Le montant de la transaction n’a pas été révélé.
Autre acquisition qui a fait couler beaucoup d’encre, celle du quartier d’affaires londonien Canary Wharf, dans l’est de Londres, pour la bagatelle de 3,5 milliards d’euros, selon les experts en janvier dernier. Là aussi, le montant exact de la transaction est resté confidentiel. Cet ancien quartier de docks au bord de la Tamise avait été développé sous le mandat de Margaret Thatcher, profitant de la relative étroitesse de la City.
Canary Wharf, c’est 35 immeubles de bureaux, mais aussi le quartier qui abrite les sièges de la HSBC, de Barclays, de J.P. Morgan, ainsi que des centres commerciaux et des logements. Le quartier est même surnommé le deuxième City de Londres. Les gratte-ciel, dominés par les emblèmes des plus grandes banques internationales, constituent des images de rêve pour les télévisions qui les utilisent pour représenter la City. C’est dire. Là aussi, le Qatar a fait une très bonne affaire, tant financière qu’en termes de notoriété, quand on sait que le périmètre de Canary Wharf propose aussi près d’un million de mètres carrés à construire…
Qatar Investment Authority était sur le coup depuis 2009, année où il devient premier actionnaire en obtenant 29% des parts, alors que le quartier frôle la faillite. Outre-Manche, cet achat faramineux aux allures de trophée s’ajoute à celui de la tour Shard ou des grands magasins Harrods.
Mi-juillet, cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jaber Al Thani, ancien Premier ministre du Qatar, s’est offert 10% de la chaîne des grands magasins espagnols El Corte Inglés, pour la somme d’un milliard d’euros.
Jenny Saleh
Pas le plus grand propriétaire!
Le Qatar investit à tour de bras, mais contrairement aux apparences, il est faux de dire que l’émirat est en train de racheter l’Europe ou même la France. En réalité, ces investissements très médiatisés de son fonds souverain privilégieraient davantage la qualité – et l’image – à la quantité. Même si Qatar Investment Authority a été le fonds souverain le plus dépensier en Europe en 2014, en nombre de propriétés, il n’apparaît même pas dans le top 15 du cabinet de Real Capital Analytics. En Europe, le plus grand propriétaire terrien n’est pas le Qatar, mais… le fonds souverain de Singapour! Quant à la France, dont les médias glosent souvent en rivalisant d’enquêtes exclusives sur les investissements faramineux du Qatar, il apparaît que 92% des investissements étrangers effectués en 2014 proviennent, avant tout, des pays développés, Etats-Unis et partenaires européens en tête.
Le sport, vitrine populaire séduisante
Pour compléter sa stratégie de soft power, le Qatar décide d’axer ses investissements aussi dans le couple sport-télé. Un visage médiatique beaucoup plus neutre que l’information où le groupe al-Jazeera a connu plusieurs revers et déconvenues. De plus, le groupe de news jouit d’une image un peu négative, accentuée depuis les Printemps arabes. Le sport, lui, ouvre davantage de portes. Quand la chaîne BeIn sports est créée, la volonté de rupture avec al-Jazeera est délibérée. L’achat du Paris Saint-Germain, club mythique de football, participe d’ailleurs au lancement de la chaîne. Cette nouvelle plateforme médiatique permet au Qatar de conquérir de nouveaux pays, en Europe ou en Afrique. Le sport est d’ailleurs vu dans l’émirat comme un «investissement avec un retour d’image et de réputation très important». D’où l’acharnement de Doha à accueillir les plus grandes compétitions sportives. C’est chose faite avec la future Coupe du monde 2022, malgré le Qatar bashing sur les conditions de travail déplorables des ouvriers étrangers ou les rumeurs de corruption auprès de la Fifa. Rien ne paraît impossible pour Doha. Les Qataris auraient même proposé d’accueillir une étape du Tour de France en vélo, à laquelle les organisateurs auraient opposé une fin de
non-recevoir…. Trop chaud.
Dernièrement, c’est la Formule 1 qui est dans le viseur du Qatar. Le Financial Times révélait, en juin dernier, que Doha soutenait le projet de Stephen Ross, le propriétaire des Miami Dolphins, une équipe de foot américain, d’acquérir 35,5% des droits commerciaux de la Formule 1. Il serait soutenu dans son entreprise par le fonds d’investissements Qatar Sports Investments, qui détient déjà le PSG. Le secteur des courses automobiles refusait jusqu’à présent les avances financières de l’émirat. En embuscade donc, le Qatar rêverait d’acquérir l’ensemble de la Formule 1… pour une enveloppe de 18 milliards d’euros, selon les experts. Rien n’est encore fait jusqu’à présent, les négociations se poursuivent. La Formule 1 traversant une crise, rien n’est impossible. Et le Qatar pourrait ainsi organiser un Grand prix, comme son rival Abou Dhabi.
D’autres émirats en embuscade
Le Qatar n’est pas le seul à investir sur le Vieux Continent. L’émirat d’Abou Dhabi est aussi de la partie, plaçant ses billes davantage dans l’immobilier de bureau. Moins médiatisé, le fonds souverain Abu Dhabi Investment Authority (Adia) est toutefois parvenu à mettre la main sur quelques belles pépites, en rachetant par exemple des portefeuilles tels le Risonamento ou les Docks Lyonnais. Autre acquisition récente et pas des moindres, celle de 60 000 m2 à Levallois en bordure de Paris, un quartier où sont concentrés de nombreux médias et sièges sociaux d’entreprises. Pour la modique somme de 500 millions d’euros…