Nul ne prévoyait que le général Michel Aoun ouvrirait un nouveau front, interne celui-là, au cœur du Courant patriotique libre (CPL), alors qu’il est l’objet de fortes pressions et que sa situation ne supporte pas la moindre secousse à l’intérieur de son parti ou sur sa popularité.
La décision du général Michel Aoun d’accélérer le transfert de la présidence du CPL à Gebran Bassil se fonde, peut-être, sur son souci de clore ce dossier avant le départ du général Chamel Roukoz à la retraite et son passage de l’armée à la politique, où il se positionnerait en concurrent de Bassil. Le transfert du leadership sera complété par d’autres nominations au sein de la direction. Aoun a pu ainsi éviter au courant une bataille électorale interne susceptible de déboucher sur des divergences, ce qu’il ne veut pas de son vivant. C’est pourquoi il a mis tout son poids pour imposer un compromis et un accord et pour convaincre Alain Aoun de se retirer de la course.
Selon des sources bien placées au CPL, le général Aoun avait planifié sa décision et n’acceptait pas de discussions sur le sujet. Il s’est adressé aux députés de son parti en leur disant: «Je veux Bassil à la présidence, point final. S’il n’y parvient pas, vous m’aurez brisé et créé une cassure importante au sein du courant…».
Il devenait difficile aux opposants de Bassil de résister à la volonté du général et à son point de vue que l’échec de Bassil signifie son propre échec. Comme il leur est également difficile de freiner leurs sentiments, alors que le général les avait réunis la veille pour leur dire, les larmes aux yeux, qu’ils formaient un même courant et qu’ils devaient être solidaires sans conditions. Il n’y a, leur dit-il, ni vainqueur ni vaincu. Tout le monde est gagnant car cela s’est fait à une quasi-unanimité.
Une nouvelle étape
Le général Aoun a achevé ses propos sur une nouvelle étape du courant, qui sera suivie de près car elle ne le concernera pas seul, mais aura des répercussions sur la double scène politique et chrétienne.
Ce qui s’est passé au CPL au niveau de la passation des pouvoirs de Aoun à son gendre est arrivé au parti Kataëb pour le président Amine Gemayel et son fils Samy. Au Parti socialiste progressiste (PSP), on attend une opération du même genre entre le député Walid Joumblatt et son fils Taymour. Chez les Marada, le député Sleiman Frangié prépare son fils Tony à occuper son siège au Parlement.
Dans ces cas de figure, nous retrouvons l’héritage politique transmis du vivant des pères qui préfèrent que cela soit fait de leur vivant, les circonstances ayant changé et les difficultés de transmission plus grandes. L’autre raison est que l’héritage passe à la jeune génération qui débute dans la vie politique et manque d’expérience, de pratique et de maturité… avec ce que signifie en chute de la moyenne d’âge des nouveaux, même si cela est positif sur le plan de la dynamique et des leçons qu’ils ont tirées des années de la guerre.
Si le général Aoun fait ce que font les autres, il diffère sur un point essentiel, c’est que l’héritage politique des premiers se transmet dans les familles politiques (Gemayel-Joumblatt-Frangié), alors que de son côté, ceci se fait à l’intérieur d’un parti qui n’appartient pas au club des familles traditionnelles.
La question s’est posée avec force ces derniers temps dans les cercles fermés sur l’avenir du Courant patriotique libre après le fondateur et son leadership historique. La réponse est toute donnée. Le CPL poursuivra l’action et maintiendra la stabilité de la politique que contrôlera Aoun.
Mais ce qui s’est passé ne donne pas une réponse définitive et rassurante. La question n’est pas de savoir si le courant survivra, mais ce qu’il fera. Pourra-t-il préserver sa solidarité interne et sa popularité? Il a été créé en courant populaire et trouve des difficultés à se transformer en parti organisé. Maintiendra-t-il ses alliances politiques, notamment avec le Hezbollah, qui tiennent essentiellement à la personnalité du général Aoun?
Chaouki Achkouti
La retraite du général
Leader du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun demeurera président du Bloc du Changement et de la Réforme. Par son initiative, il annonce «sa retraite politique» et entame le compte à rebours de l’abandon de la scène politique, autrement dit de la scène chrétienne, qui entre dans le champ d’une jeune génération. Il ne restera des «seigneurs de la guerre» que Samir Geagea, en avance sur les autres grâce aux acquis qu’il a engrangés ces deux dernières années en termes d’organisation et de gains politiques.