«Mon principal souci est l’unité et la continuité du Courant patriotique libre». Ces mots sont ceux du député du Metn Ibrahim Kanaan, membre du CPL et président de la Commission parlementaire des Finances et du Budget, véritable artisan de l’accord qui portera le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil à la présidence du parti. Dans un entretien exclusif, il répond aux questions de Magazine.
Comment qualifier ce qui s’est passé au sein du Courant patriotique libre?
Dès fin juin, et avant l’ouverture du délai du dépôt des candidatures, j’ai travaillé sur un accord entre les différents courants au sein du CPL. J’étais convaincu que le timing pour procéder à des élections n’était pas propice. Nous devons faire face à beaucoup de défis, des attaques médiatiques féroces sont lancées contre nous et nous n’avons pas suffisamment de temps pour mener des campagnes électorales. C’est à partir de cette vision que j’ai pris l’initiative de trouver un accord entre les différents protagonistes, me fixant comme date limite le 20 août pour permettre aux militants, au cas où je ne réussissais pas, de prendre position concernant ces élections, et à ceux qui le souhaiteraient de présenter leurs candidatures. Pour moi, c’était un défi et je suis convaincu que ce qui s’est passé est dans l’intérêt du CPL. D’ailleurs, le général Aoun a béni cette solution car, pour lui aussi, l’unité et la continuité du CPL sont une priorité.
Mais cet accord ne porte-t-il pas atteinte à la démocratie que votre courant prône?
En quoi a-t-on agi contre la démocratie? Deux personnes ont voulu se porter candidates, chacune d’elles représentant une idée et une image du CPL. Nous avons recherché un dénominateur commun entre elles et nous sommes arrivés à un accord global portant sur quatre articles dont le choix du président fait partie intégrante. Cette différence au cœur de la même entité nécessitait un accord. Cet accord englobe la présidence, ainsi que la neutralité des vice-présidents. Nous avons œuvré pour la mise en place d’une direction variée, pour l’activation du bloc parlementaire et la vérification des nouvelles adhésions au CPL. Ce qui s’est passé est la création d’un nouvel esprit qui n’a pas annulé le processus électoral. C’est une coalition, une union entre deux listes et deux idées, qui ont fusionné. Est-ce que l’union entre deux concurrents n’est pas démocratique? En quoi l’union entre deux parties est-elle contre la démocratie? L’union fait la force. Si, au contraire, nous avions choisi un autre scénario, toutes les possibilités auraient été ouvertes: interventions extérieures, campagnes médiatiques, etc. Tout aurait pu être utilisé pour porter atteinte au général Michel Aoun. Cet accord a empêché de faire du tort au CPL et au général Aoun. Comment peut-il annuler la démocratie, alors que nous appelons à des élections générales en janvier 2016? Un bureau politique et un conseil national vont être élus. La démocratie n’a pas été touchée. Aujourd’hui, il faut que nous soyons une garantie les uns pour les autres, comme l’a demandé le général Aoun. Cet accord représente une bouffée d’oxygène pour préparer les élections de janvier. De toute façon, le problème n’est pas dans la démocratie ou son absence. Le problème c’est quoi qu’il fasse, le CPL est attaqué.
Pourtant, de nombreux partisans du Courant patriotique libre étaient contrariés et nous les avons vus déchirer leurs cartes.
Ce sont des réactions exagérées par les médias et les réseaux sociaux.
Ne craignez-vous pas que cela creuse encore plus le clivage au sein du CPL entre les partisans des uns et des autres?
Il n’y a pas de clivage au sein du CPL. Au contraire, cet accord a formé une coalition et cela ne peut être que dans son intérêt. D’ailleurs, si quelqu’un estime avoir une plus grande représentativité, il peut toujours se présenter. Cet accord a donné une bouffée d’oxygène au CPL. Tous les partisans sont convoqués à des élections au mois de janvier. Les candidatures sont ouvertes à tout le monde. Le conseil national comprend toutes les tendances et il sera élu par la base.
Pourquoi n’étiez-vous pas vous-même candidat à la présidence du CPL?
Je ne suis pas convaincu que les circonstances actuelles permettent la tenue d’élections. Ce n’est pas le moment propice. Le CPL est victime de plusieurs attaques et des campagnes féroces sont menées contre lui. Je me sens responsable de cette formation très importante pour moi. Je ne suis pas à la recherche d’un titre, j’en ai eu plusieurs. Ce qui m’intéresse, c’est l’unité et la continuité du CPL. J’ai la conviction qu’à cette étape je ne pourrai pas donner au parti ce qu’il mérite. Je préfère me concentrer sur mon travail parlementaire et rassembler tout le monde autour de la même idée. Si je m’étais porté candidat à la présidence du parti, je n’aurais pas pu conclure cet accord qui porte sur plusieurs articles dont fait partie la présidence, qui est confiée à Gebran Bassil. J’ai choisi la solution qui protège le CPL et sauvegarde son unité et sa continuité. L’union fait la force et consolide la démocratie.
Alors que le général Michel Aoun se bat contre l’héritage politique et le népotisme, on constate que, finalement, ce sont son gendre et son neveu qui se sont portés candidats à la présidence du parti…
Est-ce que la démocratie interdit à un proche de se présenter s’il se sent capable? Y a-t-il une loi qui interdit cela? N’ont-ils aucun atout à part d’être le neveu et le gendre du général Aoun? On peut ne pas voter pour eux, mais on ne peut pas les empêcher de se présenter sous prétexte qu’ils ont des liens familiaux avec le général Michel Aoun.
Est-il vrai qu’on vous a proposé la vice-présidence et que vous l’avez refusée?
Plus d’une fois, j’ai dit que les positions et les titres ne m’intéressent pas. Ils servent juste à réaliser un objectif. Si le CPL a réellement besoin de moi, je serai toujours présent. Je ne suis pas demandeur. Peut-être qu’on m’a sollicité mais, dès le départ, je n’ai eu qu’un seul souci: l’unité et la continuité du CPL. C’est aussi la préoccupation du général Aoun et mon principal souci pour l’avenir. Si l’unité du CPL est touchée, c’est le général Aoun et le symbole qu’il incarne qui le seront.
Quelle a été la réaction du député Alain Aoun?
Il a publié un communiqué assurant qu’il était avec l’unité et la continuité du CPL. Aujourd’hui, nous sommes tous les trois, Gebran Bassil, Alain Aoun et moi-même face à un défi, celui de traduire par notre action cet accord par une collaboration, un partenariat et une communication avec le collège électoral en toute transparence. Cet accord a protégé la démocratie au sein du CPL, tout en assurant son unité et sa continuité.
Quelle sera la prochaine étape?
Cet accord représente une bouffée d’oxygène pour le CPL jusqu’en janvier pour assurer le passage à une étape ultérieure. Le CPL a besoin d’une période de transition pour passer de la présidence d’un grand leader qu’est Michel Aoun à n’importe quel responsable après lui.
En tant que Bloc du Changement et de la Réforme, envisagez-vous un retrait de vos députés du Parlement ou du gouvernement?
Nous vivons actuellement une période de confrontation. Nous cherchons à protéger les droits des Libanais et ceux des chrétiens. Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens qui nous permettent de réaliser ce but. Si notre retrait du gouvernement ou du Parlement servait notre cause, nous n’hésiterions pas à le faire. Si nous pouvons déclencher un processus électoral par le biais de notre démission, nous le ferons. Mais malheureusement, selon notre Constitution, notre retrait ne servirait qu’à procéder à des élections partielles pour remplacer nos sièges. Si notre retrait du gouvernement aboutissait à un résultat positif, nous le ferions. Mais si nous faisons un pas qui affaiblisse notre cause, alors nous ne le ferons pas. Nous ne le ferons que si c’est dans notre intérêt. Toutes les possibilités sont envisageables et chaque jour nous procédons à une réévaluation de la situation.
Pourriez-vous assister à une séance parlementaire extraordinaire?
Si Nabih Berry accepte un accord sur l’ordre du jour, nous le ferons. Mais une session extraordinaire doit prendre en considération des circonstances exceptionnelles. Vingt-cinq ans d’attente pour une loi électorale c’est trop long! Pourquoi cela est-il considéré comme un obstacle à l’ouverture d’une session parlementaire? Est-ce que l’adoption d’une nouvelle loi électorale bénéficierait uniquement au CPL ou à tous les Libanais? La solution aux problèmes des Libanais n’est pas dans l’élection d’un président élu par un Parlement illégitime, mais l'élection d'un président par un Parlement légitime non pas qui a voté sa propre prorogation.
Propos recueillis par Joëlle Seif