On ne sait pas grand-chose d’eux. Ni ce qu’ils font ni d’où ils viennent. Tout ce qu’on sait c’est qu’ils ont réussi, en dehors – et contre – les partis politiques traditionnels, l’exploit de mobiliser la société civile, tant de fois accusée de paresse et de laxisme, de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes le samedi 29 août. Avant l’expiration du délai de 72 heures accordé au gouvernement. Prenant tout le monde par surprise, ils investissent les locaux du ministère de l’Environnement et réclament la démission du ministre Mohammad Machnouk. Qui sont les principales figures des mouvements Tol3it rihetkon (Vous puez!), Badna n7assib (Nous réclamons des comptes), 3al cheri3 (A la rue). Voici les portraits express de ces meneurs devenus véritable menace pour le gouvernement et dont l’action commence à faire des remous dans les cercles du pouvoir.
Imad Bazzi
L’un des fondateurs du mouvement Vous puez! Il est incontestablement le premier blogueur libanais et possède son propre blog Trella.org depuis 1998. Journaliste et activiste, militant pour les droits de l’homme, il défend la liberté d’expression, dénonce la corruption et la violation des droits de l’homme. Il a fait des études en New Media Campaining and Advocacy à la Queen Victoria University. Actuellement, il occupe les fonctions de Digital media expert à la télévision al-Jadeed et animateur à la radio al-Jadeed FM. Il est athée et appelle à l’abolition du confessionnalisme. Imad Bazzi fut classé par la revue Foreign Policy un des sept plus influents blogueurs du Moyen-Orient. Il affirme qu’à trois reprises, la Sûreté générale a refusé de lui remettre son passeport. En 2011, il fut arrêté pendant 10 heures à l’aéroport du Caire et expulsé après un long interrogatoire.
Marwan Maalouf
A 32 ans, il est l’une des principales figures du mouvement Vous puez! Avocat de formation, il fait ses études secondaires au collège Notre-Dame de Jamhour. Après des études de droit à l’Université Saint-Joseph, il obtient un master en Droit international de l’Université de Louvain en Belgique et un LLM de l’Université de Georgetown aux Etats-Unis. Président de l’Amicale des étudiants de la Faculté de droit de l’Université Saint-Joseph en 2005, il a été très actif dans les manifestations de la même année et a participé à toutes les actions contre la présence syrienne. «J’ai ensuite quitté le Liban de 2005 à 2013. Je suis rentré de Tunisie où je travaillais, en 2013, le jour même où ils ont voté la prorogation de la Chambre et je me suis rendu directement à la place de l’Etoile, où j’ai dressé une tente devant le Parlement pour protester contre la prorogation. L’armée m’est tombée dessus et j’ai été arrêté pendant quelques heures», confie Marwan Maalouf à Magazine. Il a pris part à tous les mouvements de protestation. Il exprime son ras-le-bol et son indignation face à un pouvoir qui a volé la voix du citoyen. «Le peuple s’est réveillé et il sort de sa léthargie. Ce qui s’est passé le samedi 29 août est un événement historique. C’est la preuve qu’il y a encore des Libanais qui ne sont pas partisans et confessionnels». Pour Marwan Maalouf, le souci principal de ce mouvement est une solution au problème des ordures. «C’est ainsi que le mouvement Tol3it rihetkon a commencé. Nous voulons une solution permanente et que les municipalités retrouvent leur rôle. Le régime essaie de montrer que le problème est technique, alors que tel n’est pas le cas. C’est une affaire de corruption qui dépasse toute imagination, un gâteau que le pouvoir se partage». Pour cet activiste, le problème des déchets illustre parfaitement le mépris de la classe gouvernante à l’égard du citoyen et son absence d’intérêt pour tout ce qui relève de sa santé. «Nous avons réalisé de petits succès et les citoyens commencent à avoir confiance en ce mouvement».
Assaad Thebian
Originaire de Mazraat el-Chouf, Assaad Thebian est âgé de 27 ans. Orphelin de père et de mère, il a deux sœurs. Il est l’un des principaux activistes du mouvement Vous puez! Il affiche son athéisme et, depuis la publication d’anciens tweets, fait l’objet d’une vive polémique en raison de ses critiques contre le christianisme et l’islam sur Twitter et Facebook. Conseiller en marketing et digital media, Assaad Thebian a fait des études en audiovisuel à l’Université libanaise. Il a travaillé en tant que journaliste free-lance auprès de plusieurs quotidiens libanais d’expression arabe: al-Akhbar, an-Nahar et as-Safir. A son actif, plusieurs recueils de poèmes en langue arabe dans un style suggestif et osé. Son blog, Beirutiyat, a été nominé en 2010 meilleur blog arabe par le Deutsche Welle. Il a pris part à plusieurs manifestations en particulier celles appelant à l’abolition du système confessionnel.
Riad Sawma
Après avoir été secrétaire général de l’Association des étudiants de l’Université libanaise et membre du comité central du parti communiste, il fut le coordinateur de l’action nationale pour le changement démocratique. Aujourd’hui, Riad Sawma se considère activiste de gauche, n’ayant pas de liens avec un parti politique, appartenant au groupe Badna n7assib (Nous réclamons des comptes), qui regroupe des activistes proches du peuple et quelques organismes de gauche. Analyste politique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages. Pour lui, ce mouvement est un véritable succès du fait même qu’il a réussi à rassembler autant de personnes, loin de tout slogan ou toute fibre confessionnelle. «C’est la première fois qu’une action déclenchée par la société civile prend une telle envergure. Auparavant, c’étaient les communautés qui menaient l’action, aujourd’hui la société civile a pris le dessus». Selon Riad Sawma, ce mouvement peut enregistrer quelques victoires, même si elles sont minimes. «Au moins, il pourrait régler la crise des ordures à des prix logiques, redonner un rôle aux municipalités et, enfin, cette action pourrait réussir à pousser dans le sens de l’adoption d’une nouvelle loi électorale sur la base de la proportionnelle et le Liban comme unique circonscription».
Neemat Badreddine
Diplômée en relations internationales et diplomatiques, elle détient également une licence en psychologie et en sciences politiques. Principale figure du groupe Badna n7assib (Nous réclamons des comptes), à 34 ans Neemat Badreddine est une activiste sociale, politique et économique depuis plus de 15 ans. Elle fut également membre du parti communiste. «J’avais quelques critiques à l’encontre de la direction du parti et j’ai préféré quitter», dit-elle. Elle a participé à l’émission de la chaîne al-Jadeed al-Zaïm et elle est restée jusqu’à l’avant-dernier épisode. Au cours de cette émission, elle a évoqué plusieurs thèmes tels que les droits de la femme, l’abolition du confessionnalisme politique, la transmission de la nationalité, l’économie, etc. Elle travaille dans la presse audiovisuelle et a déjà réalisé plusieurs documentaires. En 2013, Neemat Badreddine s’est portée candidate aux élections législatives. Au cours de la même année, elle fut élue par le comité de Rachaya Wadi «personnalité de l’année». «J’ai commencé à réclamer des comptes depuis longtemps. J’ai intenté un procès au ministre Ghazi Aridi, supposé être responsable des biens publics et qui a failli à sa tâche». Elle croit fermement à l’indépendance de la justice. «S’il n’y a pas de justice et de contrôle, on ne peut pas réussir». Neemat Badreddine se veut citoyenne libanaise. Chiite, elle a rayé sa confession de sa carte d’identité. Elle est pleine d’espoir que toute cette action pourrait changer les choses. «Il faut garder l’espoir pour pouvoir continuer. Qui aurait pu imaginer que la manifestation de samedi pourrait réunir autant de monde?».
Paul Abi Rached
Dès son plus jeune âge, Paul Abi Rached a participé à des mouvements sociaux. Scout, il fut aussi secouriste à la Croix-Rouge de 1986 à 1992. Après des études de droit, il se passionne pour l’environnement et depuis 1988 c’est devenu sa cause, comme il le dit. Il n’a jamais fait partie d’un parti politique. Pendant quatre ans, il a enseigné l’éducation à l’environnement à l’Université Antonine, avant de fonder T.E.R.R.E (Tentons ensemble de réaliser un rêve pour nos enfants). En 1995, il lance avec des amis une opération appelée Papivore (ceux qui mangent des papiers), qui vise à encourager le triage des déchets à la source auprès de 500 écoles. «C’est ainsi qu’a débuté l’aventure Terre». En 2002, il fonde l’association Terre-Liban. «En 1996, j’ai arrêté l’enseignement et j’ai pris ma guitare. J’ai écrit 70 chansons sur l’environnement. De 2004 à 2010, il est membre du conseil municipal de la ville de Baabda. En 2007, il est choisi «Arab world socialinnovator» parmi 22 personnes des pays arabes. En 2012, trente-deux associations fondent Lebanon eco movement qui élit Paul Abi Rached à sa tête. «Notre but est de faire face aux grands crimes écologiques. Nous avons participé à plusieurs campagnes dont celle réclamant la fermeture du dépotoir de Naamé, des barrages qui détruisent la nature. Nous avons présenté une solution durable pour les déchets. C’est à cause de l’Etat que la campagne Tol3it rihetkon a vu le jour. Nous étions déjà présents sur le terrain et ce groupe est venu se joindre à nous. Ils ont fait un excellent travail et ont réussi à mobiliser un nombre très important de personnes».
Hassan el-Zein
Originaire de la ville de Tyr, Hassan el-Zein se décrit citoyen indépendant. Journaliste depuis 1995, il a travaillé au quotidien An-Nahar puis as-Safir et dans la revue Zahret el-Khalij. Il fut également secrétaire de rédaction au quotidien al-Akhbar et au Safir. «Actuellement, je suis en train de créer un blog baptisé Taghrida. En tant qu’indépendant, il estime que ce groupe de mouvements appartient à tous les citoyens. «Je fais partie de ce mouvement, car j’estime être en mesure de cordonner entre tous ces groupes et d’établir des liens entre eux. Dès que cette action sera bien structurée, je me retirerai et reviendrai à mes occupations». Pour ce journaliste, l’importance de ce mouvement est de jeter les bases d’une nouvelle société en poussant les citoyens à reconstituer la classe politique à travers de nouvelles élections et en renforçant le rôle des municipalités. «Ce qui m’intéresse, c’est de travailler dans le social», dit-il. Il pense que ce mouvement ne va pas faire tomber le régime, mais au moins il réussira à régler le dossier des déchets et poussera les citoyens à réclamer des comptes. «Il faut arrêter la corruption. Mon pari n’est pas sur ce que ce mouvement réalise à court terme, mais sur son avenir qui est la réintroduction de la notion de contrôle et la réclamation de comptes».
Omar Dib
Il est secrétaire de l’Union de la jeunesse démocratique (proche du parti communiste) et collabore avec Tol3it rihetkon et Badna n7assib. A 32 ans, il est détenteur d’un PhD en physique, matière qu’il enseigne à l’Université arabe de Beyrouth. Depuis 2011, il participe à toutes les manifestations contre le confessionnalisme et la prorogation de la Chambre. Il milite pour faire baisser le prix des appartements au Liban, pour que les jeunes bénéficient de taux d’intérêt relativement bas. «Le régime nous a habitués à faire la sourde oreille et à ne pas nous écouter. Aujourd’hui, cela n’est plus permis. Tout retard dans une solution apportée par l’Etat va pousser les gens à réagir encore plus vivement et le nombre des manifestants va augmenter».
Samer Abdallah
Il est activiste dans le groupe 3al cheri3. «Le gouvernement a échoué dans sa mission. La classe politique se partageait le gâteau des ordures». Lui et ses camarades essaient de soutenir le principal instigateur de ce mouvement populaire, le groupe Tol3it rihetkon. Samer Abdallah n’appartient à aucun parti politique. «Lorsque Tol3it rihetkon s’est retiré de la rue pour protéger les gens, nous y sommes descendus pour ne pas la laisser vide». Leur souci est de tenir leur mouvement à l’écart de la politique. «La population en a marre! Quel que soit le chiffre avancé, ceci montre que les gens ne veulent plus rester passifs chez eux. Ils réagissent. Leur réaction a fait peur à la classe politique qui n’a rien trouvé de mieux qu’appeler à une table ronde».
Joëlle Seif
Coup de force à l’Environnement
En principe, les organisateurs de la manifestation de samedi 29 août avaient donné un ultimatum au ministre de l’Environnement, ultimatum qui devait expirer le mardi à 18h. Mais les mêmes organisateurs n’ont pas attendu la fin l’échéance fixée pour se diriger vers le siège du ministère dans l’immeuble de Lazarié au centre-ville avec un cortège de journalistes et de caméras. L’idée était de faire pression sur le ministre Mohammad Machnouk afin qu’il démissionne et pour que les organisateurs puissent offrir une victoire à la population. Mais, comme on pouvait l’imaginer, les choses ont mal tourné. Pendant six heures, les manifestants ont investi le siège du ministère emprisonnant le ministre dans son bureau, alors que les forces de l’ordre encerclaient le bâtiment où se trouvaient les journalistes… avant de les expulser par la force. Avec les médias qui retransmettaient l’événement en direct, le mouvement s’est radicalisé et la colère populaire a décuplé. Le fossé s’est creusé entre les manifestants et le pouvoir en place, rendant de plus en plus complexe, un possible compromis…
C’est une quarantaine de jeunes menés par Imad Bazzi et Marwan Maalouf du mouvement Tol3it rihetkon qui ont investi les locaux du ministère. Aussitôt, des activistes de 7ello 3anna et Badna n7assib dont Neemat Badreddine, les ont rejoints.
La Croix-Rouge a confirmé avoir soigné quatorze personnes, sept autres ont été transportées à l’hôpital. L’un des activistes, Lucien Bou Rjeily, a été grièvement atteint, ainsi que l’activiste Neemat Badreddine.