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Mouna Béchara

Le syndrome de la page blanche

A force d’avoir le sentiment de n’être ni lus, ni surtout compris, les journalistes finissent par avoir le syndrome de la page blanche. Mais peut-on ne pas décrire et décrier ce que vit le citoyen libanais, qui n’a pas eu l’occasion ou la chance de se trouver une vie meilleure ou du moins un abri ailleurs? Alors que les pays riches d’Europe, dans un élan de «générosité», nourri et ému par la seule vue d’un petit Aylan syrien, la tête enfoncée dans le sable d’une plage turque, se rendent compte, soudain, après les avoir si longtemps ignorées, que des familles sont chassées de leurs terres, par l’agressivité des assaillants. Ils ont, à contrecœur, recueilli, sur leurs vastes territoires, quelques milliers de réfugiés avant de se rétracter sous la pression de la peur populaire et décider de prendre des mesures pour freiner, sinon interdire, le refuge aux migrants. Pourtant, les Européens comme d’autres populations occidentales, ont tous, plus ou moins, souffert, à travers les décennies, des affres des nombreuses guerres violentes.
Aujourd’hui, sur les 10452 km2 si difficiles à protéger, quelque 450000 Palestiniens ont été accueillis en 1948, suivis d’un second flux au lendemain du Septembre Noir de Jordanie, pour être, de toute évidence, définitivement implantés au Liban. S’ajoutent maintenant un million et demi de Syriens qui, fuyant la guerre dans leur pays après avoir provoqué la nôtre dans les années 70, subissent le même destin. C’est ainsi que, selon les chiffres avancés, pour une population nationale de 4 millions et demi de Libanais, nous aurions quelque 2 millions d’étrangers vivant sur notre terre. Nos frontières continuent à rester largement ouvertes à tous vents et l’affluence des nouvelles arrivées ne semble guère inquiéter les responsables du pays. Pourtant, les nationaux, s’ils ne crient pas misère, comprennent qu’elle est à nos portes. Ils se révoltent avec une violence qui se renforce au fil du temps et une unanimité quasi populaire que le pays n’a jamais connue. Terre d’accueil par excellence, le Liban paie le prix fort de ce qui pourrait être de la générosité, mais qui découle surtout de la mauvaise gestion, de l’absence de prévoyance ou, plus simplement, de la corruption.
Les dons promis à l’Etat libanais à l’intention des réfugiés, ou par l’Arabie saoudite, à l’adresse de l’Armée libanaise, qui n’en a pas encore vu la couleur, ont-ils été versés dans les caisses de l’Etat? Peuvent-ils être acceptés sans l’aval du Parlement dont chacun connaît le sort actuel et même passé? Est-il permis que les «élus» du peuple qui, mis à part certains, hélas rares, guidés par quelque scrupule, continuent à recevoir leurs émoluments, alors que les salariés de l’Etat et les enseignants sont privés de leurs justes dus? Ils en ont pourtant tant besoin, en cette période de rentrées scolaires. Pourquoi les représentants du peuple refusent-ils de se réunir? N’est-ce pas par une sorte de lâcheté? Pour n’avoir pas à prendre position dans l’élection d’un président de la République contre ceux qui continuent à appeler leurs partisans à prendre, sans réticence, le chemin de Baabda, en raccourci de la place de l’Etoile? Le président de la Chambre, comble d’humour noir, porte plainte, dit-on, contre un manifestant qui aurait eu l’audace de le mettre dans le même panier que ses compères. La justice réagira-t-elle? Peut-on imaginer en être arrivé à ce point de la déchéance politique?
Les journalistes, dont la profession est à la fois d’informer et d’orienter, ont, pour la plupart, le syndrome de la page blanche. Ils savent qu’ils ont beau tirer la sonnette d’alarme et décrier sur tous les tons ce qui se passe au pays du Cèdre, rien n’y fait. Les citoyens en ont ras le bol, et la colère les a jetés dans la rue avec l’espoir d’obtenir, par des rassemblements et des slogans, ce qu’ils n’avaient pas obtenu à travers leurs représentants place de l’Etoile. Ils n’ont, hélas, pas encore réalisé les succès escomptés. Bien au contraire, les revendications se multiplient jour après jour, rendant plus sourds encore ceux qu’ils accusent de tous les maux, présents et passés, tandis que les «dialogues» se poursuivent avec toujours le même objectif et qui, pour d’aucuns, ne sont qu’une perte de temps. Chacun campe sur des positions que rien ne semble ébranler. Pour redorer le blason du Liban, il suffirait que des dirigeants renoncent à leurs ego et que leurs partisans arrêtent de les prendre pour des dieux.

Mouna Béchara

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