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Nº 3023 du vendredi 16 octobre 2015

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Iraqi Odyssey de Samir. L’Irak, quand le rêve était l’Histoire

Lancé dans la course aux Oscars, le film Iraqi Odyssey du réalisateur irako-suisse, Samir, jette un regard lucide et objectif sur l’histoire du pays à travers l’odyssée d’une famille vivant aujourd’hui en exil dans différents points du globe.
 

Un documentaire personnel et familial. Un journal cinématographique. La démarche du réalisateur irako-suisse Samir n’est pas unique ou originale. Le point de départ est, peut-être, celui de tout exilé: partir à la découverte, à l’exploration de ses origines. Et chemin faisant, impliquer toute sa famille dans ce processus, ou du moins une partie des membres de sa famille: ceux qui ont bien voulu entrer dans ce jeu, dangereux et exaltant à la fois, de réappropriation d’une identité perdue, enfouie dans les souvenirs ou au creux d’un rêve coupé à la racine, en plein épanouissement, un rêve encore non éclos, dans l’espoir de le voir bourgeonner, loin d’eux, peut-être, un jour. Ce rêve, c’est celui d’un pays, l’Irak dont on ne connaît plus qu’un présent sanglant et meurtri, à l’avenir obscur et apparemment obscurantiste. Le désespoir total est-il permis?
Sous-titré A global family saga in 3D, Iraqi Odyssey retrace l’histoire de plusieurs générations d’Irakiens, issus d’une famille de la classe moyenne, la famille Jamal Eddine, éduquée, engagée, moderne, voire même avant-gardiste. Chronologiquement, tout commence avec le grand-père et sa traversée atypique du Tigre et de l’Euphrate jusqu’aux différents pays d’exil où se sont dispersés ses multiples descendants, entre la Suisse, Auckland, Moscou, Paris, Londres et Buffalo NY. Cinématographiquement, tout commence avec Samir et son envie de raconter l’histoire de sa famille, de son Irak d’origine qu’il a définitivement quitté adolescent, en direction de son pays maternel, la Suisse, pour n’y revenir que des années plus tard, devenu adulte, se recueillir sur la tombe de son père.
Gros plan sur grand écran: une mappemonde circulaire qui ne cessera de s’animer tout au long du film pour localiser les incessants voyages à travers les frontières. Une véritable odyssée qui ne s’est pas encore achevée, et qui ne s’achèvera peut-être jamais, à la différence de celle d’Ulysse. Les personnages font leur apparition l’un à la suite de l’autre, tandis que le fil cinématographique se déroule. Un arbre généalogique présenté dans la simplicité d’une animation technologique, censée être visionnée en 3D. Le spectateur commence à se familiariser avec les membres de la famille Jamal Eddine, le grand-père, les oncles et les tantes, les beaux-frères et les belles-filles, les cousins et les cousines, les frères et les sœurs. Et un focus sur certains d’entre eux qui, face à la caméra, dérouleront le fil de leur histoire, de leurs souvenirs, de leurs multiples pérégrinations.

 

Un point de vue objectif
Le plus intéressant peut-être des membres de la famille Jamal Eddine est celui qui n’apparaît pas à l’écran, celui qui a refusé de prendre part à ce projet, celui dont la présence est tellement elliptique qu’elle en devient imposante: l’oncle Yehya qui s’est réfugié à Paris depuis tellement longtemps et qui n’a jamais refoulé la terre de ses origines. Se couper de ses racines parce qu’elles portent les effluves de la déception amère, des regrets jamais confessés, de ce qui ne peut être dit, cerné ou même identifié clairement. Le sel de l’amertume.
Iraqi Odyssey, qui représentera la Suisse aux Oscars 2016, dans la catégorie du meilleur film étranger, aurait peut-être gagné à être serré davantage; trois heures de temps c’est à peine suffisant pour retracer une odyssée interminable, mais pour le spectateur, le temps réel reste mesurable. Qu’importe, ce n’est qu’un détail.
Samir réussit à garder un œil lucide sur tout ce qui se raconte; le pouvoir des mots, loin de tout sentimentalisme, de tout pathos, de toute misère. Une caméra objective qui accroche les émotions sans aucun débordement. Une caméra qui tisse aux mots des images d’archives, des images photographiques, des séquences de cinéma international. A l’instar de ces extraits du film Ulysses de Mario Camerini (1955) qui ne cessent de revenir en arrière-plan. Un processus qui se répètera à plusieurs reprises avec des films différents, à majorité en noir et blanc. Les références du réalisateur, les rappels d’images et de mots sont bel et bien cinématographiques. Le cinéma dans le cinéma, une mise en abyme qui conforte l’idée d’un passé qui ressemble plus à un rêve.
Pour un public occidental, c’est peut-être l’étonnement de voir un Irak moderne, progressiste, qui a existé il y a environ un demi-siècle, alors que le pays actuellement ne renvoie qu’aux pires images de massacre, de fanatisme et d’obscurantisme, diffusées par les médias. Pour les Libanais, le film sonne un peu comme un rappel de notre propre histoire, de celle de notre pays il y a des années de cela, il n’y a pas très longtemps encore, ce Liban qui était surnommé la Suisse du Moyen-Orient. Iraqi Odyssey, encore un film qui se positionne dans cette trajectoire d’un regard jeté dans le rétroviseur. Est-ce désormais la seule voie qui nous reste? De toujours regarder en arrière, pour montrer et se rappeler notre passé glorieux? Certes, une lecture et une relecture de l’Histoire c’est une nécessité, mais qui reste insuffisante. En attendant que l’espoir perdure ou qu’il se rompe définitivement… L’appel ne peut émaner que de l’intérieur… Et c’est ce que suggère Iraqi Odyssey.

Nayla Rached
 

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